Intervention de Nicolas de Tavernost

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 mars 2016 à 9h30
Audition de Mm. Gilles Pélisson président-directeur général de tf1 jean-christophe thiery président du directoire du groupe canal+ et nicolas de tavernost président du groupe m6

Nicolas de Tavernost, président du groupe M6 :

Je vous remercie, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, d'avoir bien voulu nous entendre sur cette proposition de loi votée à l'Assemblée nationale.

À titre liminaire, je soulignerai que notre fonctionnement, dans l'ensemble de nos domaines d'activités, est encadré par une multiplicité de normes qui s'avère sans équivalent en Europe. Pour preuve, le président du CSA a lui-même souligné les difficultés qui furent les siennes, au moment de sa prise de fonctions, pour se familiariser avec les règles qui régissent notre secteur. J'évoquerai d'ailleurs, dans le cours de mon propos, des exemples illustrant les difficultés concrètes que nous éprouvons, dans ce contexte normatif, à exercer notre métier.

Dans le domaine plus spécifique de l'information, cette proposition de loi soulève deux problèmes majeurs. Nous devons exercer nos responsabilités de responsables de publication qui ne peuvent être déléguées et sommes, à ce titre, pénalement responsables de nos publications. Cette responsabilité n'est pas un vain mot puisqu'il nous faut parfois répondre, devant la justice, de faits reprochés à nos collaborateurs dans le domaine de l'information. Nous considérons que le vote de cette proposition de loi en rendrait très difficile l'exercice. Nous devons en conséquence nous assurer que la création de comités et les aménagements de la loi sur la liberté de l'information ne suscitent pas de difficulté quant à l'appréciation du juge et à la façon dont nous pourrons exercer notre responsabilité de décisionnaire in fine de ce qui passe sur nos antennes.

Deux points me paraissent importants. Le premier concerne l'interférence éventuelle entre les actionnaires et notre responsabilité d'information : ceux-ci influent-ils, de manière significative, sur le contenu de l'information délivrée sur nos antennes ? Ce présupposé de l'influence de nos actionnaires sur notre programmation me paraît abusif. Je peux vous citer mille anecdotes qui le démontrent. En effet, dans des émissions comme Capital, nous subissons plutôt l'influence du contexte économique et nous ne faisons pas prévaloir les intérêts de nos actionnaires. En outre, de nombreuses dispositions en ce sens sont mentionnées dans nos conventions avec le CSA ; celles-ci rappellent notre devoir d'indépendance vis-à-vis de nos actionnaires.

Nous devons veiller à assurer la permanence de groupes audiovisuels en France. Le dispositif qui est aujourd'hui proposé alimenterait une forme de suspicion à l'encontre de notre programmation. Nous aurions alors le droit de parler de tous les films, à l'exception de ceux que nous coproduisons, une telle démarche étant alors assimilée à l'immixtion de l'actionnariat de notre groupe. Le dispositif proposé nous apparaît très intrusif. Pour la mise en place de synergies industrielles, dont la France a besoin pour conserver des groupes audiovisuels, nous devons impérativement pouvoir travailler avec nos actionnaires, comme nous le faisons régulièrement, y compris avec les activités amont et aval de nos groupes. En ce qui nous concerne, nous remettons un rapport chaque année au CSA, conformément à notre convention, sur les activités que nous conduisons avec les principales filiales de nos actionnaires qui ne représentent que 2,5 % de notre activité. La rédaction d'un tel rapport, que j'ai remis hier, s'avère fortement chronophage.

Par ailleurs, nous ne souhaitons pas d'interférence des représentants du personnel avec le comité d'éthique et les rédactions. Les membres du comité d'entreprise défendent les intérêts du personnel et le comité d'éthique n'a rien à voir avec leur démarche. D'autre part, nous ne souhaitons pas que les principes, qui ont été fixés par la loi, soient réinscrits dans nos conventions, puisque leur origine législative nous paraît suffisante. Enfin, nous ne souhaitons pas que les comités d'éthique puissent faire l'objet d'une saisine par toute personne. Si une telle démarche venait à ressembler au courrier des téléspectateurs, auquel il nous est déjà difficile de répondre, nous croulerions sous une bureaucratie invraisemblable, alors que le comité d'éthique n'a pas cette fonction.

Si la loi prévoit la transmission d'un bilan au CSA, nous sommes néanmoins défavorables à ce que ce bilan soit rendu public et donne lieu à débat. Il ne faut pas présupposer que les entreprises audiovisuelles privées iraient à l'encontre de la déontologie ou de l'éthique dans le domaine de l'information.

Sur la composition du comité d'éthique, nous considérons que le délai de deux ans pour garantir l'indépendance des membres vis-à-vis des différentes entreprises concernées nous semble de nature à évincer trop de membres compétents. Un délai ramené à un an nous paraît plus raisonnable !

Que le CSA vérifie l'indépendance des membres et annexe leur nom aux conventions nous semble à la limite recevable, à la condition qu'il n'y ait pas d'autre immixtion de la Haute autorité dans le choix des membres de ce comité d'éthique. L'esprit de cette proposition de loi ne nous convient pas. Nous remercions le Sénat d'approfondir ces questions et de nous donner l'occasion de nous exprimer.

Je souhaiterais enfin donner un exemple qui illustre, à mon sens, les contradictions que notre action doit prendre en compte. Nous avons réalisé une émission de Capital sur le groupe Lidl. Pendant toute l'émission, nous avons désigné nominativement ce distributeur, ce qui n'a entraîné aucune réaction, alors que dans le même temps nous devions, conformément aux prescriptions du CSA, flouter toute image de son enseigne. Nous regrettons ainsi que cette loi vienne alourdir, plutôt que de les alléger, de telles pratiques bureaucratiques. Enfin, les journalistes concernés, que ce soient les directeurs de nos rédactions qui ont demandé à être reçus ou les journalistes eux-mêmes, ne sont pas satisfaits par les mesures contenues par cette proposition de loi pour garantir l'indépendance de l'information.

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