Intervention de Delphine Ernotte

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 mars 2016 à 9h30
Audition de Mme Delphine Ernotte présidente de france télévisions

Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions :

Pour le service public, le principe d'indépendance et de pluralisme des médias est central ; il est au coeur de sa mission. Il est donc normal qu'existent déjà des dispositions législatives et conventionnelles pour le garantir.

Vous savez que sur le secret des sources des journalistes, la proposition de loi a été amendée. J'ajoute qu'au sein du service public, la directive sur le secret des affaires a suscité une mobilisation assez forte, portée notamment par Élise Lucet. Ceci pour dire que par tradition, par tempérament, la sensibilité est aiguë, chez les journalistes, attentifs au libre exercice de leur métier.

L'indépendance à l'égard du pouvoir économique, du pouvoir politique, est gravée dans l'identité de France Télévisions. On pourrait certes craindre que la publicité, qui reste un élément important de notre modèle économique, ne fasse peser un risque, mais en pratique, tel n'est pas le cas. Depuis sept mois que je suis en place, je n'ai reçu aucune pression des annonceurs. Au demeurant, le fait que notre ressource principale soit issue d'une contribution publique nous met à l'abri de tels risques, que les chaînes privées peuvent a contrario ressentir.

Le droit de refus prévu dans la proposition de loi s'applique déjà pour nous depuis 1982, et a été intégré par la loi de 1986. Au reste, il ne pose pas de difficulté tant la séparation est stricte entre le coeur de métier de journaliste et les questions d'ordre managérial. Il n'arrive donc pas que nous nous trouvions en porte-à-faux et qu'une équipe ait à exercer son droit de refus face à des pressions managériales. J'ajoute que des contre-pouvoirs importants existent au sein de la maison, et c'est une bonne chose. Les organisations syndicales font porter leur voix haut et fort sur tous les sujets, et ne manqueraient pas de se signaler si elles constataient qu'une pression contraire à la déontologie de la profession s'exerçait sur un journaliste. C'est pourquoi la consultation obligatoire du comité central d'entreprise sur ces questions de liberté éditoriale, telle que prévue par la proposition de loi, me semble une disposition excessive. Un comité central d'entreprise est là pour débattre des grands sujets stratégiques et rendre des avis en ce domaine. Il ne peut être l'instance qui va décider si la liberté des journalistes est respectée. Autant lui livrer une information précise sur la situation déontologique me semble normal, autant le consulter obligatoirement me paraît excessif.

Il faut à notre sens éviter que les dispositions de ce texte, qui s'appliquent déjà à France Télévisions, ne viennent alourdir une gouvernance déjà assez complexe, comme le soulignait le rapport Schwartz - un État actionnaire à 100 %, un conseil d'administration, dont tout le monde s'accorde à dire qu'il conviendrait de renforcer le rôle, des syndicats puissants avec lesquels nous entretenons un dialogue nourri, une instance de régulation, enfin, le CSA. Répondre à la demande d'une éthique journalistique plus forte, soit, mais selon des modalités intégrées à notre gouvernance. Pourquoi ne pas prévoir, à l'instar de ce qu'il se passe dans d'autres entreprises, que le comité honnêteté, indépendance et pluralisme soit formé au sein du conseil d'administration, susceptible d'être saisi et chargé de rendre des avis sur la bonne santé éthique de l'entreprise ? Notre conseil d'administration, composé de représentants de l'actionnaire mais aussi de personnalités qualifiées nommées par le CSA, s'en trouverait renforcé. Parce que nous sommes souvent interrogés sur nos relations avec le monde de la production, j'ai annoncé que je souhaitais mettre en place, à compter de cette année, un déontologue au sein du groupe, qui aura charge de s'assurer que les salariés sont formés aux règles de déontologie, pour prévenir les dérapages involontaires. Il serait celui que l'on alerte en cas de problème. J'ai également proposé au conseil d'administration que ce déontologue vienne lui rendre compte, en toute liberté, des travaux en cours en matière de déontologie, comme cela est le cas dans une société anonyme de droit commun.

J'en viens au rôle du CSA. Le texte initial a, il est vrai, beaucoup été amendé. Nos craintes sont de deux ordres. La responsabilité éditoriale ne peut être partagée. À France Télévisions, c'est moi, et personne d'autre, qui porte la responsabilité pénale. S'il est important qu'un contrôle soit effectué sur l'information, sur les programmes, il reste que ce contrôle ne saurait s'exercer a priori. À supposer que je décide, pour des raisons éthiques, de ne pas diffuser une fiction, et qu'une instance de régulation juge, avant la date programmée, qu'il faut diffuser cette fiction, qui portera la responsabilité éditoriale ? Il faut bien séparer le contrôle de la décision ; nous sommes en phase, là-dessus, avec le CSA. Dans la rédaction actuelle de la proposition de loi, les choses sont claires pour ce qui concerne l'information, mais elles restent assez vagues pour ce qui concerne les programmes. Il serait bon de préciser la nature du contrôle qui s'y opère, et que celui-ci intervient bien a posteriori, afin de ne pas entamer la responsabilité éditoriale du patron de média.

Vous savez que France Télévisions, à l'initiative de mon prédécesseur, a engagé un processus de fusion des rédactions. Le terme mérite d'ailleurs d'être précisé, car on parle tout à la fois de « la rédaction du 20 heures » et de « la rédaction de France 2 », alors que l'une s'emboîte dans l'autre. Il ne faudrait pas que l'indépendance des rédactions soit comprise comme l'indépendance de chaque sous entité.

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