Intervention de Christopher Baldelli

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 16 mars 2016 à 9h30
Audition de M. Christopher Baldelli président de rtl

Christopher Baldelli, président de RTL :

C'est au titre du syndicat des radios généralistes privées, qui regroupe Europe 1, RMC et RTL en même temps que comme praticien, au titre de mes fonctions de président du directoire du groupe radio RTL, que je vous livrerai cette appréciation.

Je serai direct, ce texte pose un certain nombre de problèmes. Présenter et adopter en 2016 une proposition de loi sur l'indépendance des médias dans un pays comme la France me semble pour le moins paradoxal, pour ne pas dire discutable au regard de la réalité de notre paysage médiatique. Car c'est supposer, a contrario, que l'indépendance des médias n'est pas assurée, y compris dans son cadre législatif.

Vous connaissez la réalité médiatique : si l'indépendance d'un média est mise en cause, s'il donne le sentiment que son traitement de l'actualité est discutable, qu'il y a eu censure, il s'expose aussitôt à être dénoncé. Quand seule une émission comme Arrêt sur image était autrefois susceptible de le faire, ce sont aujourd'hui une multitude d'émissions, de réseaux sociaux, d'organes de presse qui s'emparent du sujet et s'empressent d'en informer l'opinion publique. Le travail de régulation est donc très largement assuré par les médias eux-mêmes. Voyez le film Merci patron : le traitement qu'entendait lui réserver tel média, détenu par tel groupe, a immédiatement été porté sur la place publique. Même chose avec ce qu'il s'est passé pour le groupe Canal+. Autant dire qu'au-delà même du cadre législatif posé par la loi de 1881 et la loi de 1986, il existe aujourd'hui un monde médiatique très large, qui, allant des réseaux sociaux aux titres de presse et aux groupes audiovisuels, assure largement, lorsqu'ont lieu des épisodes contestables, l'information du public. Le média qui aurait ce type de pratique s'expose ainsi à une publicité dommageable, car le citoyen peut en venir à se détourner de lui, par défiance.

En deuxième lieu, cette proposition de loi instaure une inégalité de traitement entre la presse et les médias électroniques, d'un côté, et les médias audiovisuels - radio et télévision - de l'autre. Ce texte renforce l'inégalité qui existe déjà dans un certain nombre de domaines. Certes, les médias audiovisuels ont ceci de particulier qu'ils travaillent sur une délégation du domaine public, les fréquences hertziennes, concédées par le CSA. Cela peut légitimer certaines contraintes ou règles spécifiques. Mais de telles règles existent déjà : le CSA a un rôle de garant et une mission de contrôle sur l'information des médias audiovisuels, quand il n'existe aucun organe analogue pour la presse et pour Internet. Ce texte, loin de réduire cette inégalité de traitement, la renforce. C'est pourquoi il est injuste. J'ajoute que l'enquête annuelle du quotidien La Croix sur la crédibilité des médias fait apparaître que le média radio, que je représente devant vous, arrive en tête. C'est le média que les Français considèrent comme le plus fiable, le plus indépendant, donc, le plus exact dans l'information qu'il délivre. Pourquoi lui imposer, dès lors, un tour de vis supplémentaire ? Si je dénonce une telle inégalité de traitement entre la presse et les médias audiovisuels, ce n'est pas pour réclamer que l'on aligne le traitement de la presse sur celui de l'audiovisuel mais pour demander que l'on ne rajoute pas de règles supplémentaires ne s'appliquant, une fois encore, qu'à ce dernier. Si vous entendez ajouter des règles, il faudrait qu'elles s'appliquent à tout le moins aussi à la presse, qui n'est nullement régulée. Vous m'objecterez que l'audiovisuel opère sur le domaine public, via les fréquences hertziennes, mais peut-on considérer que la presse, au regard du montant des aides publiques qu'elle reçoit, soit totalement étrangère à la sphère publique ?

Au CSA, compétent pour le seul audiovisuel, viendront se rajouter, avec ce texte, des comités éthiques, imposés au seul audiovisuel. Sans compter que cette double compétence n'ira pas sans poser problème, en cas de divergence d'avis sur le comportement de tel ou tel média. Un tel risque, sur des sujets par définition éminemment médiatique, n'est pas sans poser problème. Non seulement on judiciarise, mais on institue deux juges : est-ce bien une solution ?

Ce texte, outre qu'il ne me paraît pas nécessaire sachant que la régulation est déjà assurée par la loi et par le monde des médias, outre qu'il institue une inégalité de traitement injustifiable entre presse et médias électroniques d'un côté et audiovisuel de l'autre, va de surcroît à l'encontre d'un principe fondateur de la liberté de la presse en France, telle que définie par la loi de 1881, qui veut que la responsabilité éditoriale et judiciaire - en l'espèce, pénale - soit portée par le directeur de la publication. Un organe de presse n'est peut-être pas une entreprise comme une autre, mais c'est une entreprise, avec sa hiérarchie, au sommet de laquelle le directeur de la publication est pénalement responsable. La proposition de loi met à bas ce principe fondamental de la loi de 1881.

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