Je suis très honoré d'avoir l'occasion de m'exprimer devant vous et heureux de l'occasion qui m'est donnée de vous présenter à grand traits ces seize opérations de maintien de la paix, qui rassemblent 125 000 hommes et femmes, militaires, policiers, civils, pour certaines depuis très longtemps. La première opération de maintien de la paix a été créée dans le contexte de la première trêve entre Israël et ses voisins arabes, en 1948. D'autres opérations sont beaucoup plus contemporaines.
Un mot sur le coût de ces opérations, qui représente, pour cet exercice, environ 8,2 milliards de dollars, ce qui est beaucoup dans l'absolu. Toutefois, par comparaison, c'est exactement ce qu'a payé chaque année l'armée américaine pour climatiser ses militaires en Afghanistan et en Irak ! Cela relativise donc un peu les choses.
Autre base de comparaison : cette somme représente 0,4 % des dépenses militaires cumulées de l'ensemble des pays du monde, tout ceci pour gérer des situations dont personne ne veut vraiment s'occuper, qui sont parfois gelées. L'exemple que l'on peut en donner, c'est la question des hauteurs du Golan - encore que les choses aient pas mal bougé dans le contexte des événements survenus en Syrie ces dernières années.
On pourrait également citer Chypre. À Chypre, on sent des frémissements depuis l'an dernier. Les partis chypriotes, pour la première fois depuis cinquante ans, ont commencé à progresser vers un règlement. J'ai été personnellement impressionné par l'engagement du président chypriote et du chef de la communauté chypriote turque. Ils sont du même village. Cela aide peut-être, mais les contentieux sont énormes. Cette mission que l'on considérait comme irrémédiablement gelée va peut-être se dégeler plus tard dans l'année - c'est en tout cas ce qu'il faut espérer.
Certaines situations sont de plus en plus liées à des crises - essentiellement en Afrique, qui représente 80 % de nos effectifs - qu'il s'agisse de crises actuelles ou de sorties de crises, ainsi qu'à des processus dans lesquels nous avons des mandats de plus en plus complexes, qui consistent à la fois à essayer d'amener une stabilisation de la situation sécuritaire et, dans l'immédiat et parallèlement, de veiller autant que faire se peut au respect des droits de l'homme et à la progression de l'État de droit.
Certains de ces processus avancent bien. Nous avons eu plusieurs réunions à New York ces jours-ci. Il appartiendra au Conseil de sécurité d'en décider dans les semaines qui viennent, mais nous avons la perspective de fermer trois missions dans l'année ou dans les deux années qui viennent. Il s'agit de missions achevées. Je pense à la Côte d'Ivoire où, après les élections présidentielles de l'an dernier, qui se sont déroulées dans de bonnes conditions, la situation est bien meilleure, en dépit de l'épouvantable attentat de Grand-Bassam, il y a quelques jours - mais qui se situe dans une autre problématique.
D'ailleurs, dans ce contexte, les forces de sécurité ivoiriennes ont été plutôt performantes, certainement beaucoup plus que celles du Burkina Faso après l'attaque terroriste de Ouagadougou il y a trois mois.
La Côte d'Ivoire est donc un dossier quasiment en train de se clore, le Liberia également, ce qui ouvre au passage une perspective bien plus réconfortante pour l'Afrique de l'ouest si on le compare à la situation de cette région il y a quinze ans - massacres ethniques par dizaines de milliers, pays totalement déstabilisés, aux mains de groupe invraisemblables. Il existe certes de nouvelles menaces, comme Boko Haram ou Al-Qaïda un peu plus à l'est, mais je pense que les choses vont dans le bon sens.
Elles vont également dans le bon sens en Haïti où, malgré les palinodies actuelles, qui se traduisent par une incapacité à conclure l'élection présidentielle, la situation s'est beaucoup améliorée. Je pense que l'on va pouvoir fermer cette mission dans les dix-huit mois qui viennent.
Il reste les missions les plus lourdes en terme humains, financiers et en termes de perspectives, comme le secteur sahélien, avec la mission au Mali, qui est complexe mais dans laquelle je pense que nous progressons.
Plus à l'est, on trouve la Centrafrique. Je dois me rendre à la fin de la semaine prochaine à Bangui pour l'installation du nouveau président, Faustin-Archange Touadéra. Là aussi, malgré les difficultés, je crois qu'on a franchi des étapes significatives.
Il existe également un arc de crise, qui va de Khartoum et du Darfour jusqu'au Sud Soudan, et qui se prolonge sur la corne de l'Afrique, la Somalie - qui n'est pas une opération des Nations unies, mais qui pose de gigantesques problèmes - et la République du Congo, où l'on a je pense progressé, mais où on est encore loin du compte.
Nos mandats contemporains sont qualifiés de multidimensionnels parce qu'ils couvrent un spectre d'activités considérable, souvent excessif d'ailleurs, à tel point qu'on en perdrait presque le sens des priorités.
Toutefois, il n'est pas illégitime de ne pas seulement protéger les civils mais, de manière spécifique, également les femmes, les enfants, qui sont les premiers à souffrir de ces situations. Personne, je dois le dire, ne s'intéresse beaucoup en Europe - ni même d'ailleurs en Amérique du Nord - au conflit du Soudan du Sud, qui est une horreur.
On compte selon moi, depuis bientôt deux ans et demi, 50 000 ou 60 000 morts, 2,2 millions réfugiés et déplacés, soit un cinquième de la population du pays, des dizaines de milliers de femmes violées - et l'armée sud-soudanaise utilisant à présent le viol comme instrument de conflit - et des dizaines de milliers d'enfants recrutés de force dans les différents groupes. L'incapacité du Gouvernement comme de l'opposition armée à s'entendre pour faire avancer le processus de paix défini par les pays de la région dans le cadre de l'Intergovernmental Authority on Development (IGAD) est totale. J'étais à Djouba avec le secrétaire général il y a deux semaines : c'est scandaleux !
Ces responsables politiques ne tiennent en aucune façon compte des souffrances de leur peuple. Le Soudan du Sud a connu trente ans d'une guerre civile épouvantable mais jamais, à l'époque, les Sud Soudanais n'ont autant souffert qu'ils souffrent actuellement. En outre, d'ici à trois ou quatre mois, la famine va affecter la moitié de la population.
C'est une situation assez décourageante, dans laquelle nous faisons ce que nous pouvons. Nous avons 200 000 réfugiés sur nos bases. Si on ne les avait pas accueillis au plus chaud de la crise, ces gens seraient morts pour la plupart à l'heure qu'il est. Que peut-on en faire ? Nous sommes condamnés à gérer cette situation au fur et à mesure, sans perspective de règlement.
En République démocratique du Congo, où l'on a franchi des étapes décisives en réussissant à reprendre le contrôle de Goma, au Nord-Kivu, en battant à plate couture le groupe dit M23, composé de mercenaires plus ou moins étrangers, il reste des groupes extraordinairement tenaces et redoutables, comme les rebelles de l'Allied Democratic Forces (ADF), des Ougandais réfugiés dans le Nord-Kivu, qui descendent régulièrement la nuit sur un village, égorgent cinquante personnes et repartent ensuite pour se cacher dans la forêt.
On trouve également des FDLR, rebelles d'origine rwandaise, des Maï-Maï de nombreuses obédiences, tout cela dans un pays qui a retrouvé globalement une assez bonne stabilité, mais dont les élections présidentielles, qui devraient avoir lieu en octobre, n'auront pas lieu à cette date. Tout ceci va être générateur de tensions, dans un pays dans lequel, par ailleurs, l'espace politique a eu tendance à se rétrécir ces derniers mois.
Nous étions, avec Ban Ki-moon, du même voyage il y a quinze jours. Nous avons dit avec beaucoup d'énergie au président Kabila qu'il fallait absolument corriger tout cela.
Il n'y a pas de modèle dans ces opérations, mais toute une série de formules différentes, qui vont de l'opération gérée par une autre organisation - je pense à l'opération AMISOM en Somalie, financée en partie par les Nations unies et l'Union européenne, mais qui est menée par des troupes africaines, dans des conditions d'efficacité d'ailleurs contestables - en passant par l'opération mixte hybride au Darfour, cogérée par les Nations unies, l'Union africaine, mais intégralement financée par les Nations unies et en fait commandées par nous sur le plan politico-militaire.
Il existe également des opérations sui generis dont un pays ou un groupe de pays a pris la tête de file. Le meilleur exemple est le Mali où, sans l'initiative française au moment où Bamako risquait de tomber entre les mains des groupes djihadistes, la situation serait encore bien plus catastrophique.
Élément très satisfaisant, malgré beaucoup de retard dans notre déploiement, l'opération Barkhane fonctionne dans un esprit très coopératif. Je crois que c'est ainsi que cela doit être. C'est aussi le cas de Sangaris en Centrafrique où, en outre, nous avons assisté, pendant les huit mois critiques qui nous étaient nécessaires pour monter en puissance, au déploiement d'une force européenne intérimaire, EUFOR, qui a joué un très grand rôle et qui nous a donné l'espace et le temps nécessaires. Je crois que tout le monde s'y est retrouvé.
Voilà une série d'exemples. Historiquement, on pourrait citer la Côte d'Ivoire où, sans le dispositif Licorne, en 2010-2011, on ne serait pas à l'heure actuelle dans la situation de pouvoir dire que nous allons fermer l'opération prochainement.
Il faut donc saluer l'engagement de la France et d'autres pays. La Grande-Bretagne, pour des raisons historiques, il y a une douzaine d'années, s'était également beaucoup engagée en Sierra Leone. Cela a permis de sortir de l'ornière douloureuse dans laquelle se trouvait ce pays.
Cela se traduit, au Mali ou en Centrafrique, par une coopération extrêmement confiante : échanges de renseignements, de plans opérationnels, coordination à tous les niveaux. Ceci nous a permis, dans le cas de la Centrafrique, de mieux occuper le terrain. Sangaris va diminuer de manière significative. Je n'ai pas eu l'occasion d'en parler, au cours des semaines écoulées, avec Jean-Yves Le Drian, mais je pense qu'il va effectivement y avoir une diminution très forte des effectifs de l'armée française ; je pense que nous avons les moyens de prendre le relais. C'est en tout cas à cela que nous travaillons.
Comment faire pour réaliser un meilleur travail ? Nous avons été aidés par un panel présidé par l'ancien président du Timor oriental, José Ramos-Horta, mais aussi par les États-Unis, qui nous ont notamment prêté main-forte pour tenir, fin septembre, un sommet sur le maintien de la paix auquel ont participé une cinquantaine de chefs d'État, qui ont collectivement annoncé qu'ils étaient prêts, dans les années qui viennent, à mettre à la disposition des Nations unies jusqu'à 45 000 militaires et policiers, ainsi que les équipements correspondants. Nous sommes en train de traduire ces engagements en éléments concrets pour en accélérer le déploiement dans le système classique des Nations unies, puisque nous n'avons pas de troupes et faisons appel aux pays contributeurs. Il nous faut donc, dans le meilleur des cas, six à huit mois pour déployer une unité.
Avec le nouveau système, nous allons pouvoir ramener ce délai à une durée comprise entre trente et soixante jours dans le meilleur des cas, ce qui va beaucoup changer la perspective.
L'objectif n'est pas seulement quantitatif, il est aussi qualitatif. J'ai mené, depuis que je suis à ce poste, une politique de recherche de la performance, tout d'abord professionnelle. Nous sommes maintenant dans une situation qui n'est pas celle qu'avaient connue mes prédécesseurs où, lorsqu'on avait besoin de troupes, on prenait ce qui se présentait. Souvent, il s'agissait de troupes du tiers-monde, mal équipées, mal entraînées. À présent, on a beaucoup plus de choix. J'ai beaucoup encouragé les pays de l'Union européenne, au fur à mesure qu'ils se désengageaient d'Afghanistan, à se réengager aux Nations unies, et je suis heureux de voir que cela se fait de manière progressive.
J'étais par exemple à Berlin il y a un mois et demi, le jour même où le Gouvernement allemand annonçait qu'en réponse à l'appel lancé par la France au titre de l'article 42-7 du traité de Lisbonne, l'Allemagne allait envoyer jusqu'à 650 personnes au Nord Mali. C'est significatif !
Il en va de même pour les Hollandais et les Suédois. Même les Baltes m'ont proposé trois officiers. Ceux-ci ne parlant pas le français, je leur ai conseillé de commencer par leur faire apprendre notre langue, ce qui serait utile pour le Mali, mais cela démontre une volonté de répondre à l'appel de la France et de s'engager davantage dans nos opérations.
Ceci nous permet d'avoir des troupes de meilleure qualité, mieux entraînées, mieux équipées, et plus performantes. Quand un contingent national ne fait pas l'affaire sur le terrain, on le remplace. Je l'ai fait à cinq reprises au cours de l'année écoulée au Darfour. Cela m'a valu beaucoup de reproches de la part d'un certain nombre de chefs d'État, notamment africains, mais je crois que nous n'avons pas droit à l'erreur, ni à maintenir sur le terrain une unité qui se laisse attaquer, prendre en embuscade, ou qui ne tire pas un seul coup de feu pour riposter.
Ce n'est pas acceptable, pas plus que n'est admissible la conduite de certains contingents, qui touche aussi bien à l'usage excessif de la force dans certains cas qu'à des comportements sexuels. Vous avez vu l'avalanche de cas que nous avons découverts, notamment en Centrafrique. Nous devons être sans pitié, surtout dans ce cas de figure : il est absolument inacceptable que ceux-là même dont la mission est de protéger les populations trahissent la confiance qui a été placée en eux et accroissent les souffrances des civils, notamment lorsqu'il s'agit de viols ou d'affaires impliquant des mineurs.
En même temps, il faut être constructif. C'est pourquoi nous faisons de plus en plus appel à la technologie. J'ai franchi un cap, il y a deux ans et demi, en surmontant les réticences de certains et en déployant des drones de surveillance aérienne au Nord-Kivu. Ceci a complètement changé la façon dont on mène les opérations sur le terrain. Nous allons déployer des drones de longue portée au Nord Mali en juin. C'est une entreprise française qui est en train de remporter l'appel d'offres. Nous avons déployé à Kidal, toujours au Nord Mali, un radar de contrebatterie ; il faut apprendre à utiliser tous ces systèmes. C'est un investissement qu'il faut réaliser, tout comme il faut investir dans une politique de renseignement.
Le renseignement était un mot tabou aux Nations unies. On ne pouvait même pas le prononcer, sous peine d'effaroucher les gens. Nous retrouver, dans ces pays africains, face à des djihadistes, des trafiquants de drogue, des groupes armés plus épouvantables les uns que les autres fait que l'on accepte à présent d'avoir une véritable politique dans ce domaine. Nous avons bien engagé les travaux sur ce point.
Il me faut en permanence des francophones. J'appelle votre attention sur ce sujet, Mesdames et Messieurs les sénateurs : je travaille beaucoup avec l'OIF. J'ai oeuvré avec le président Abdou Diouf en son temps, et je travaille avec Mme Michaëlle Jean à présent : nous n'arrivons pas à trouver suffisamment de francophones pour des opérations comme celles du Mali ou de la Centrafrique, et ce à tous les niveaux. Cela vaut pour les policiers, mais aussi les militaires, notamment de haut niveau. À plusieurs reprises, j'ai eu besoin d'un général africain francophone ayant le nombre d'étoiles suffisant et bénéficiant d'une certaine expérience. Eh bien, je n'en ai pas trouvé !
À part le Sénégal ou, ici et là, un général de corps d'armée a eu un parcours spécifique, la ressource est très rare. Je sais qu'on y travaille du côté des ministères de la défense et des affaires étrangères, mais c'est un chantier de longue haleine.
Enfin, je tiens à signaler à quel point nous apprécions l'effort de la France - et je dois dire que cela me rend fier, lorsque des décisions sont prises concernant le Mali ou la Centrafrique, de voir la contribution de l'armée française à la FINUL, mission si importante dans un Liban qui reste pour le moment dans l'oeil du cyclone, face aux catastrophes qui se multiplient dans son environnement. C'est presque miraculeux, mais il est très important que la FINUL continue à assurer le rôle qui a toujours été le sien. Tout le monde y attache la plus grande importance.
La France a un mode d'intervention spécifique aux Nations unies. Ce sont souvent des interventions à titre national, mais couverte pas un mandat du Conseil de sécurité, coordonnées avec les activités des Nations unies. C'est une formule qui a montré qu'elle fonctionnait bien, et l'on va continuer à travailler dans cet esprit.
J'ai, quant à moi, beaucoup oeuvré pour aussi renforcer la relation avec l'Union européenne et l'OTAN. Nous avons eu, la semaine dernière, une journée de consultations avec l'OTAN, et je puis dire que l'on progresse là aussi. Je crois que l'on va continuer à avancer avec ces grands partenaires.
Il n'en reste pas moins que l'Union africaine constitue un partenaire incontournable, car c'est sur ce continent que se font 80 % de nos opérations. C'est parfois un peu compliqué, mais je pense que l'on progresse néanmoins. Nous allons accueillir l'Union africaine à New York la semaine prochaine durant quarante-huit heures : on va essayer d'avancer sur tous ces dossiers quelque peu compliqués.