Intervention de Hervé Ladsous

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 16 mars 2016 à 10h00
Audition de M. Hervé Ladsous secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l'onu

Hervé Ladsous, secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix de l'ONU :

C'est d'autant plus dommage !

De nouveaux pays, comme la Chine, ont connu des évolutions notables. Elle nous fournit pour la première fois une unité de combat au Sud Soudan. J'ai donc pris un général de division chinois comme commandement en second de la force. C'est l'ancien second du renseignement militaire à Pékin. Excellent général à tous égards, il donne toute satisfaction.

Le président chinois, au sommet du maintien de la paix, en septembre dernier, a annoncé que la Chine allait mettre à notre disposition une force de réserve de 8 000 hommes. Par rapport à l'armée populaire de libération, ce n'est même pas 1 % mais, pour nous, c'est énorme ! On essaye donc d'en savoir plus depuis plusieurs mois mais, dans la grande tradition chinoise, l'empereur ayant parlé, il faut ensuite que cela ruisselle jusqu'à la base, ce qui est en train de se produire.

Je pense qu'on va aller de nouveau à Pékin dans deux à trois mois pour en savoir un peu plus, mais l'affichage politique est très fort, comme est très fort l'affichage d'un certain nombre de pays d'Amérique latine, qui sont maintenant demandeurs d'opérations, y compris en Afrique. J'ai trouvé notre escadrille d'hélicoptères d'attaque de Tombouctou au Salvador. C'est paradoxal, mais c'est ainsi, l'engouement est de plus en plus fort. Les gens veulent montrer qu'ils sont engagés et qu'ils assument leurs responsabilités dans la communauté internationale.

Il ne faut pas se dissimuler qu'il existe des motivations financières dans certains pays du tiers-monde, où l'indemnité qu'on verse mensuellement est très supérieure à la solde servie par le pays, mais c'est une réalité.

Pour les pays occidentaux, ce n'est pas du tout le cas, mais je crois que l'altruisme et la volonté de s'engager dans la communauté internationale sont une réalité. Voyez les négociations de pays en Colombie : dès lors que les accords de paix seront conclus et à peu près mis en oeuvre, les Colombiens m'ont informé qu'ils viendront vers nous. Cela m'intéresse, car ils ont une grande capacité et une solide expérience en termes de combats de jungle, d'hélicoptères et de coordination sol-air.

Notre politique consiste à ne pas embaucher sous Casques bleus, dans toute la mesure du possible, des personnes qui seront une source de problèmes, de scandales ou de toutes sortes de critiques. C'est ce que l'on appelle le vetting en anglais. On travaille beaucoup avec le Haut-commissaire aux droits de l'homme pour essayer d'éviter ce genre de situation.

Quant aux autres grands pays, je crois que, parmi les P5, la France est la plus engagée, même si, au sein de l'Union européenne, l'Italie fait davantage en termes de Casques bleus. Sur les cinq pays, la France occupe quoi qu'il en soit la première place - et c'est bien. Les Russes ne font rien. Les Britanniques interviennent marginalement. Ils ont annoncé qu'ils allaient venir au Sud Soudan et en Somalie. On va voir...

Quant aux Américains, pour toute sorte de raisons - juridiques, politiques, doctrines militaires - ils ont très peu de personnes sous Casques bleus, mais nous soutiennent beaucoup de manière latérale, notamment en aidant, au travers de très gros programmes de formation et d'équipement, des contingents africains et asiatiques à se préparer au maintien de la paix.

Ce sont parfois des centaines de véhicules, de blindés, et d'équipements divers qui sont donnés à ces pays. On y gagne avec, en plus, du conseil, du renseignement à l'occasion. Je suis donc assez satisfait de la manière dont cela se passe.

Bien sûr, nous avons des rapports avec l'OCI. Nous nous voyons, nous nous parlons. Le problème vient du fait que nous avons peu de sujets d'intervention pour le moment dans le monde arabe. Il reste les vieilles missions traditionnelles - Liban, Golan, United Nations Truce Supervision Organization (UNTSO) de 1948. Pour le reste, nous serons tributaires des événements politiques. Quand on a déployé cette mission de supervision et d'observation en 2012 en Syrie, c'était parce que la Ligue arabe et l'OCI avaient été incapables de le faire. Elles en avaient discuté abondamment et s'étaient retrouvées le « bec dans l'eau », se retournant du coup vers nous pour nous demander de le faire. C'est ce qui s'est passé. On est donc un peu dans la même situation, même si le chef de la Ligue arabe, le Cheik Nabil Al-Arabi, vient d'être remplacé par Ahmed Aboul Gheit. On va voir quelle va être la nouvelle politique.

La Palestine, ce n'est pas pour nous, vous le savez, Madame la sénatrice. C'est toutefois un vrai problème, tout comme la question des jeunes Sahraouis au Sahara occidental, où le syndrome est le même qu'à Gaza. Ces jeunes n'ont connu que les camps de réfugiés. On a vu, ces jours-ci, une situation difficile entre les Nations unies et le Maroc à propos du Sahara occidental. Le secrétaire général a été profondément scandalisé par ce qu'il a vu à Tindouf. Va-t-il y avoir, là aussi, un processus politique ?

Quant au Nord-Kivu, Monsieur le sénateur, on est conscient du fait que toute cette région des grands lacs a été le théâtre de la première guerre continentale en Afrique. Combien de pays de la région et au-delà sont intervenus, avec des chiffres hallucinants de millions de réfugiés, de déplacés, de tués ? Il y a quinze ans, on parlait de quatre millions de personnes, sans compter les centaines de milliers de femmes violées, les recrutements d'enfants soldats, etc.

Tout cela relève d'un conflit d'intérêts entre des acteurs régionaux. Pour appeler les choses par leur nom, le rôle du Rwanda dans certaines phases de cette crise a été critique. C'est un problème de ressources : comment expliquer que l'Ouganda et le Rwanda, qui n'ont pas de mine sur leur territoire, exportent de l'or, du coltan, dans des quantités loin d'être négligeables ? Tout cela est en fait pillé dans le fond des forêts du Kivu, et ensuite traité et exporté par les pays voisins. Certains groupes armés sont dans des délires ethnico-nationalistes. Ce sont des situations qu'il faut essayer de régler.

Je parlais des rebelles ougandais de l'ADF. Ceux-ci ne sont pas très éloignés de l'Armée de résistance du Seigneur, à ce détail près qu'ils sont musulmans et à présent connectés avec les Shebab somaliens. Cette Armée de résistance du Seigneur est un groupe transnational low tech invraisemblable, qui se déplace à pied et qui resurgit en Centrafrique. Ses membres ne disposent pas de téléphone. On les suit à la trace. Une centaine de troupes spéciales américaines sont sur le terrain depuis trois ans et les piste discrètement. Ils en prennent parfois un. Ces gens kidnappent deux cents enfants, comme en Centrafrique il y a quelques semaines, les endoctrinent et en font des enfants soldats pour les servir dans leurs intérêts, souvent liés au trafic d'or, d'ivoire, et à l'esclavage.

Beaucoup d'interférences donc, mais à l'issue de la récente visite du secrétaire général à Kinshasa, le président Kabila a donné l'ordre que nous reprenions la coopération militaire, après une année de gel. On est en train de lancer des opérations de grande ampleur, et j'espère que l'on va bientôt en voir le résultat.

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