Intervention de Catherine Génisson

Réunion du 22 mars 2016 à 15h15
Santé et travail : repenser les liens dans un contexte de mutations économiques du travail — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Catherine GénissonCatherine Génisson :

Ces différentes citations permettent de mesurer parfaitement les problèmes liés à la connexion permanente à l’entreprise par mail et la pression ainsi exercée sur la vie personnelle et familiale.

Juridiquement, la connexion permanente pose le problème de l’explosion de toute législation sur la durée du temps de travail, y compris pour les salariés en forfait jours, puisque ce phénomène concerne les soirées, les fins de semaine et les congés. Pour les salariés dont la durée de travail est fixée, il y a clairement des heures supplémentaires non rémunérées.

Bien heureusement, les nouvelles technologies n’ont pas que des effets négatifs et pervers. Elles permettent également le développement du télétravail salarié, qui lui-même permet une économie collective d’infrastructures et de temps de transport et apporte un confort aux salariés bénéficiant d’accords sur le télétravail. Cependant, seuls 2 % des salariés sont actuellement concernés par de tels accords.

Le monde du travail de notre pays est également touché par l’augmentation constante du travail indépendant. Celui-ci concerne déjà 10 % de la population au travail. On compte ainsi en France plus d’un million d’autoentrepreneurs.

À la lisière du salariat se situe le portage salarial. Ce système est réservé aux travailleurs qualifiés qui apportent leurs clientèles à l’entreprise de portage, moyennant 5 % de commission pour celle-ci sur chaque contrat de mission effectué chez une entreprise cliente. Aujourd'hui, quelque 51 % des salariés portés sont en CDD et 53 % ont 45 ans et plus. Nombre de salariés portés ont opté pour cette solution précaire après un licenciement.

Ce très rapide tour d’horizon montre un paysage totalement nouveau et éclaté, notamment pour ce qui concerne les modes de production des biens et des services, à l’opposé des grandes structures industrielles qui ont forgé le salariat et les protections sociales mises en place progressivement aux XIXe et XXe siècles. Il y a dorénavant une juxtaposition des statuts à laquelle une même personne sera soumise au regard de sa situation au travail.

Une fois ces constats faits, quelles sont les actions mises en place par le Gouvernement pour veiller à la santé de nos concitoyens dans le milieu du travail ?

En premier lieu, il faut se féliciter de la généralisation au 1er janvier 2016 de la complémentaire santé au sein de toutes les entreprises ; c’est une grande avancée sociale.

On peut évoquer également la mission confiée par le ministère du travail à l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail, mission de réflexion et d’expérimentation dans les entreprises.

L’objectif de cette mission est d’étudier l’impact des mutations dans l’organisation du travail et du numérique dans toutes ses dimensions, dont la santé au travail : l’hyperdisponibilité, les données fournies en temps réel, la personnalisation de la relation client avec les réseaux sociaux, le contournement des circuits managériaux…

Un appel à projets doté de 15 millions d’euros permet de soutenir les innovations associant numérique et amélioration des conditions de travail. Voici quelques exemples de projets : création de postes de chargé de prévention santé, accompagnement des seniors, arrêt des messageries, modules d’e-learning sur les troubles musculo-squelettiques, mise en place de « contrats parentaux » pour aménager le temps de travail des jeunes parents…

Le Gouvernement agit aussi sur le front du burn out puisque la ministre des affaires sociales et de la santé, Mme Marisol Touraine, a annoncé très récemment la mise en place d’un groupe de travail réunissant médecins, experts, chercheurs pour définir médicalement le burn out, la manière de le traiter et, je l’espère, de le reconnaître.

Madame la ministre du travail, vous avez présenté, en décembre 2015, le troisième plan santé au travail, qui constitue la feuille de route du Gouvernement en matière de santé au travail pour la période 2016–2020.

Ce plan, préparé très en amont par les partenaires sociaux au sein du Conseil d’orientation des conditions de travail, marque un infléchissement majeur en faveur d’une politique de prévention qui anticipe les risques professionnels et garantit la bonne santé des salariés plutôt que de s’en tenir à une vision purement réparatrice. Ce plan prend aussi pleinement en compte la qualité de vie au travail. Il illustre une réussite concrète du dialogue social. Le Gouvernement fait le pari d’une responsabilisation des acteurs sociaux, de la démocratie sociale ; le futur projet de loi sur le travail devra traduire cette donnée.

Je souhaite maintenant évoquer, en anticipant un peu, les propositions contenues dans le projet de loi sur le travail, propositions qui auront un impact fondamental sur la santé au travail, telles que nous pouvons les connaître à ce jour puisque le projet de loi, madame la ministre, ne sera présenté au conseil des ministres qu’après-demain.

Tout d’abord, la philosophie générale du projet de loi est bien de généraliser le recours au CDI, en diminuant les craintes des employeurs sur les embauches et les licenciements en cas de retournement de conjoncture économique ; il devrait dès lors y avoir moins de freins au recours au CDI dans les entreprises. Le recours aux CDI diminuera la précarité des travailleurs, réduira leur stress et, je l’espère, améliorera leur santé.

De même, les dispositions du projet de loi sur le travail encadrant le portage salarial sont de nature à améliorer les conditions de travail des travailleurs concernés.

Une autre disposition très importante, prévue à l’article 25 du pré-projet de loi, crée un droit à la déconnexion en vue d’assurer le respect des temps de repos et de congés. L’enjeu est particulièrement prégnant, comme je l’ai évoqué, notamment pour les salariés au forfait jours, utilisateurs fréquents des outils numériques. La définition des modalités de déconnexion relève de l’accord d’entreprise et, à défaut d’accord, l’employeur en définit les modalités. Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, les modalités de déconnexion font l’objet d’une charte élaborée après avis des instances représentatives du personnel : comité d’entreprise ou délégués du personnel.

On peut acter l’entrée en vigueur de ce droit à la déconnexion seulement au 1er janvier 2018, même s’il s’agit de laisser le temps à la négociation. Je suis persuadée que ce sujet sera largement débattu lors de l’examen du projet de loi sur le travail dans notre hémicycle.

L’article 26 du projet de loi est également très intéressant. Il peut constituer une grande source d’amélioration de la santé pour nos concitoyens. Cet article vise, en effet, à relancer le développement du télétravail en France.

Notre pays présente effectivement un retard important vis-à-vis d’autres pays européens, notamment du fait de freins culturels et d’un rapport au travail fondé sur la présence. Le télétravail peut pourtant favoriser une bonne articulation entre vie privée et vie professionnelle – je le précise au passage, il n’est d’ailleurs pas réservé aux femmes –, ce qui peut être un moyen de diminuer les déplacements et la fatigue, tout en améliorant la productivité. L’article 26 invite donc les partenaires sociaux à revoir le régime du télétravail avant le 1er octobre 2016 afin de le favoriser et de prendre en compte les nouvelles modalités de travail – cotravail, nomadisme, télémanagement –, tout en veillant à la préservation de la dimension collective du travail.

J’en viens maintenant à un article très important du pré-projet de loi travail, l’article 44. Cet article, intitulé « Moderniser la médecine du travail », reprend pour partie les préconisations du rapport remis à Mme la ministre du travail par notre collègue député Michel Issindou en mai 2015.

Je ferai tout d’abord une remarque avant d’entrer dans le vif du sujet de cet article 44 : on parle bien de médecine « du » travail et non de médecine « au » travail, et cette distinction est fondamentale.

La médecine du travail doit appartenir au monde du travail dans un partenariat pluridisciplinaire afin de garantir la bonne santé des travailleurs, ainsi qu’une bonne adaptation à leur poste de travail. C’est tout le sujet de l’ergonomie.

Dans le cadre de la médecine du travail et en raison de sa spécificité, il ne peut être fait appel, selon moi – vous ne le proposez d'ailleurs pas, madame la ministre –, aux acteurs de la médecine libérale.

Je rappelle que, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2004 qui avait instauré le dossier médical personnalisé, le DMP, il avait été décidé que les médecins du travail ne pouvaient avoir accès à ce fameux DMP au nom du respect de la vie privée. Je pense en effet qu’il y a conflit d’intérêt entre le médecin traitant et le citoyen lorsque celui-ci est sur son lieu de travail. Sur les lieux de travail, il me semble nécessaire de favoriser une extension permettant aux acteurs d’œuvrer ensemble pour la santé au travail. La coopération interprofessionnelle doit être développée entre médecins, infirmiers, assistants sociaux, mais aussi en associant tous les acteurs œuvrant pour la sécurité et la santé au travail ainsi que pour l’ergonomie des postes de travail.

Pour en revenir à ce que contient effectivement cet article 44 dans le pré-projet de loi travail, je souligne que la visite médicale d’embauche serait remplacée par une visite d’information et de prévention effectuée par un médecin du travail ou un autre membre de l’équipe pluridisciplinaire : collaborateur médecin ou infirmier.

L’article 44 prévoit également une vérification de l’aptitude des salariés affectés à des postes à risques. La périodicité des visites médicales est adaptée aux conditions de travail, aux risques professionnels, à l’état de santé et à l’âge des travailleurs, avec une surveillance médicale particulière prévue pour les travailleurs de nuit.

La réforme de la médecine du travail telle qu’elle est prévue à l’article 44 du pré-projet de loi sur le travail prévoit également la suppression de la double visite médicale pour la constatation de l’inaptitude si aucune mesure d’aménagement, d’adaptation ou de transformation du poste de travail n’est possible et un assouplissement du licenciement pour inaptitude professionnelle sans proposition de reclassement, sur avis médical.

Ce nouveau motif de licenciement est étendu à l’inaptitude non professionnelle et à l’inaptitude professionnelle d’un salarié en CDD. Ce sujet donnera lieu, j’en suis persuadée, à de grands débats dans lesquels notre groupe politique bien sûr s’investira.

L’article 44 prévoit aussi, et c’est bien, une consultation des délégués du personnel sur les possibilités de reclassement en cas d’inaptitude non professionnelle. Dans les entreprises d’au moins cinquante salariés, le médecin du travail formule des indications sur la capacité du salarié à bénéficier d’une formation pour un poste adapté.

Ayant exercé la médecine du travail – pardonnez-moi ce corporatisme, madame la ministre –, je m’interroge sur la suppression de la visite médicale d’aptitude systématique à l’embauche, même si je partage totalement l’objectif de renforcer le suivi personnalisé des salariés tout au long de leur carrière en reconnaissant ce droit aux salariés intérimaires et titulaires de contrats courts.

En effet, la visite d’embauche systématique permet de mesurer les aptitudes physiques, psychiques du travailleur, de remarquer les éventuelles difficultés à ces aptitudes, alors qu’une simple visite d’information et de prévention peut ne pas suffire à détecter ces inaptitudes dans un univers du travail de plus en plus concurrentiel, où le futur salarié, au regard de l’importance du chômage en particulier, peut être tenté de taire ses interrogations, ses questions, afin d’obtenir le poste proposé.

Je ne doute pas de l’existence de débats constructifs sur ce sujet difficile, quand nous connaissons par ailleurs les difficultés pour les petites et moyennes entreprises d’assurer ces visites d’embauche face à des CDD souvent renouvelables.

Tout ce qui va dans le sens d’un renforcement du dialogue entre le salarié et le médecin du travail va bien sûr dans la bonne direction, mais il ne faudrait pas que cette réforme de la médecine du travail pallie les carences du monde médical. En effet, lorsque nous avons étudié la loi relative à la santé, il nous a été dit que la médecine du travail existerait toujours, mais aucun poste n’était proposé.

En conclusion, madame la ministre, nous nous passionnerons pour l’examen du projet de loi sur le travail, dans lequel la santé au travail prendra une place importante. Je connais votre écoute et vous remercie de ces débats à venir.

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