Intervention de Aline Archimbaud

Réunion du 22 mars 2016 à 15h15
Santé et travail : repenser les liens dans un contexte de mutations économiques du travail — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Aline ArchimbaudAline Archimbaud :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord à remercier Annie David et nos collègues du groupe communiste républicain et citoyen d’avoir mis cette importante question à l’ordre du jour.

L’évolution rapide du monde du travail ces dernières années s’accompagne de nouveaux défis liés à la persistance de maladies professionnelles connues de longue date et à l’apparition permanente de nouvelles pathologies. Troubles musculo-squelettiques, cancers, expositions, voire pluriexpositions aux produits chimiques et aux pesticides, burn out, stress, la liste est longue.

Selon les chiffres 2014 de l’assurance maladie, le nombre de maladies reconnues comme professionnelles a augmenté de 3, 4 % par an depuis dix ans. En tout, plus de 51 000 maladies – le chiffre a déjà été donné – ont entraîné un arrêt de travail ou une incapacité permanente de travail en 2014, et 368 décès ont été imputés à des maladies professionnelles. C’est sans compter celles qui ne donnent pas lieu à une déclaration, par manque d’information des salariés, par sous-déclaration des employeurs ou parce que les démarches sont parfois un vrai parcours du combattant.

La conjugaison de l’intensification du travail et de l’allongement de la durée de travail rend les personnes qui sont plus âgées bien plus fragiles.

Des mécanismes de prévention ont été mis en œuvre, mais ce n’est pas encore suffisant. Durant les six minutes qui me sont imparties, je relèverai quelques points qui me paraissent importants.

En ce qui concerne l’amiante, responsable de 7 % des maladies professionnelles, de 90 % des cancers professionnels, dont les pronostics sont rarement optimistes, les réformes font du sur-place. Madame la ministre, je vous le dis avec colère et gravité : le comité de suivi amiante du Sénat a remis, en juillet 2014 au Premier ministre vingt-huit propositions concrètes et consensuelles, presque deux ans plus tard, il faut constater que rien n’avance, ou alors nous sommes très mal informés !

Malgré les compétences et le potentiel de découverte en matière de recherche médicale pour trouver de nouveaux traitements médicaux, les financements font gravement défaut, et de nombreux projets médicaux, comme ceux qui sont actuellement mis en place au CHU de Lille, sont en danger faute de budget.

Le chiffre de 100 000 morts d’ici à 2050 annoncé par l’Institut de veille sanitaire, l’INVS, pourrait être sous-évalué si on ne prend pas rapidement un certain nombre de mesures, notamment pour mieux encadrer les conditions de travail sur les chantiers de désamiantage. Notre comité de suivi avait relevé le manque criant d’inspecteurs du travail sur le terrain pour faire respecter la réglementation. Sur ce sujet, madame la ministre, je ne sais pas si vous avez les moyens de renforcer les effectifs de l’inspection du travail.

Le danger guette également tous ceux qui font des travaux dans des bâtiments amiantés sans le savoir : artisans, ouvriers du bâtiment, bricoleurs du dimanche. Nous avions proposé, dans le projet de loi relatif à la santé, un amendement inspiré des propositions du professeur Claude Got. Celui-ci avait insisté sur l’importance d’une plus grande transparence, voilà près de vingt ans, dans le rapport qu’il avait remis en 1998 à Martine Aubry et Bernard Kouchner. Notre amendement prévoit tout simplement de rendre publics, sur un site en ligne, les rapports d’activité des désamianteurs afin que chacun puisse être informé d’une éventuelle présence d’amiante dans son bâtiment et s’en prémunir avant les travaux. Cet amendement, voté au Sénat, a malheureusement disparu à l’Assemblée nationale. Madame la ministre, comptez-vous mettre en œuvre cette demande simple et très attendue ?

La prévention en matière de santé au travail concerne les travailleurs, mais elle peut aussi concerner leur entourage et les riverains. Je pense, par exemple, aux familles des personnes malades de l’amiante, les femmes ayant été contaminées souvent par le biais des tenues de travail de leur mari, aux enfants d’Aulnay-sous-Bois, en Seine-Saint-Denis, dont l’école, durant des années, était mitoyenne d’une usine de broyage d’amiante, aux riverains des zones agricoles qui sont exposés, au moment des pulvérisations de pesticides et autres produits chimiques, à des cocktails toxiques. Ce ne sont pas des cas isolés ou anecdotiques. Quelles indemnisations seront prévues pour eux ? Quel suivi médical ? Et surtout, quelle prévention ? Bien souvent, ces personnes se retrouvent démunies aujourd'hui.

Nous avions proposé, sans succès, à votre prédécesseur Michel Sapin que les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, puissent se préoccuper aussi des conséquences environnementales de l’activité de leur entreprise à l’extérieur de celle-ci. Je ne sais pas où en est la réflexion du Gouvernement sur ce point. Quelles mesures prévoit-il de mettre en place pour lutter contre les expositions paraprofessionnelles ?

De façon plus générale, le suivi post-exposition est souvent insuffisant, notamment pour des travailleurs très à risque.

Les derniers résultats du programme ARDCO de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, montrent bien l’importance d’assurer un suivi médical post-professionnel pour les travailleurs qui ont été en contact avec de l’amiante, y compris ceux qui ont développé des plaques pleurales. Cette étude montre que les porteurs de plaques pleurales ont notamment sept fois plus de risques de développer un mésothéliome par rapport à quelqu’un qui n’en a pas. Un suivi attentif paraît donc nécessaire. Ce n’est pas le cas actuellement. Quand ces malades pourront-ils avoir accès à un suivi digne de ce nom ?

Enfin, je tiens à vous faire part de deux inquiétudes.

D’abord, je voudrais relayer les protestations émanant d’un certain nombre de personnes selon lesquelles il semblerait que plusieurs médecins du travail et psychiatres aient fait l’objet de poursuites de la part d’employeurs auprès du conseil de l’Ordre pour avoir fait le lien entre la maladie d’un salarié et ses conditions de travail. Un décret semble en effet autoriser cette procédure, ce qui pose un gros problème !

Ensuite, j’ai les mêmes questions que Catherine Génisson concernant le texte du projet de loi que nous allons connaître dans quelques jours, notamment sur l’article 44, mais pas uniquement. Ainsi, je m’interroge sur le rôle des médecins du travail, qui craignent – c’est en tout cas l’interprétation qu’ils ont du texte tel qu’il existerait – de passer d’un rôle de prévention à un rôle de sélection. Sur ce point, madame la ministre, pouvez-vous nous donner, en avant-première, quelques précisions et répondre à ces inquiétudes qui sont très fortes ?

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