Intervention de Pascale Gruny

Réunion du 22 mars 2016 à 15h15
Santé et travail : repenser les liens dans un contexte de mutations économiques du travail — Discussion d'une question orale avec débat

Photo de Pascale GrunyPascale Gruny :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je suis issue du monde de l’entreprise, le sujet que nous abordons aujourd’hui m’intéresse donc tout particulièrement. Si le bien-être est essentiel à la bonne réalisation du travail, il n’en demeure pas moins un facteur d’épanouissement et d’enrichissement personnel. Comme dit l’adage populaire, le travail, c’est la santé !

Aux yeux de certains, le travail ne serait qu’une source de contraintes. J’entends ces propos, mais je ne peux que les désapprouver. Le travail est, bien au contraire, une nécessité pour se construire en tant que personne. Le chômage serait-il donc plus épanouissant que le travail ? Je ne peux décemment pas le croire. Voilà pourquoi restreindre le travail à l’état de contrainte ou de mal-être ne saurait correspondre à la réalité du terrain.

Le bien-être est avant tout un état physique et psychologique, mais aussi social. En cela, le travail ne peut, et ne doit pas, être pensé sous le seul prisme économique. À vrai dire, il relève de caractéristiques très diverses et indissociables. Elles sont managériales, sociales, professionnelles et, bien sûr, économiques.

Loin des raccourcis parfois caricaturaux, le travail reste le lieu de l’apprentissage et de l’interaction sociale. Il construit l’individu en le plaçant au cœur d’une multitude d’échanges. Il ne s’agit pas de prétendre que le travail est l’unique facteur d’épanouissement personnel, mais il y contribue, c’est une évidence. Nous avons tous l’occasion de le constater au quotidien.

Faire ce constat ne signifie pas pour autant éluder les évolutions du monde du travail et les difficultés qui en découlent. Oui, le travail a beaucoup évolué ces dernières décennies. Les relations s’y sont fortement individualisées. L’exemple du mail en est une illustration : cet outil a simplifié la communication au travail, mais a aussi imposé une exigence de rapidité et d’efficacité. Cette tendance n’est pas nouvelle, mais elle a nécessairement entraîné des évolutions, des adaptations.

Malgré cela, un récent sondage montre que 75 % des salariés prennent plaisir à aller travailler. C’est rassurant ! Ce chiffre démontre, s’il en était besoin, que le travail est un facteur d’épanouissement personnel avant d’être une source de contrainte, d’épuisement et de mal-être.

Laisser entendre le contraire, comme je l’entends trop souvent, c’est non seulement oublier que la loi impose aux employeurs de s’assurer de la bonne santé morale et physique de leurs employés, mais aussi oublier, sur le plan juridique, l’obligation générale de sécurité qui leur incombe.

La loi définit un cadre juridique clair à l’exercice du travail, contraignant l’employeur à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé des salariés. Cette disposition générale concerne également la mise en œuvre de mesures de prévention en s’appuyant sur le document unique d’évaluation des risques.

Juridiquement, l’entreprise est donc responsable de la santé et de la sécurité de ses employés. Tout manquement à cette obligation relève d’une faute inexcusable de l’employeur, notion inscrite dans le droit de la sécurité sociale. L’employeur est le premier responsable en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle. C’est un fait qu’il est toujours bon de rappeler, en particulier lors de débats comme celui que nous avons d’aujourd’hui.

Contrairement à certaines idées reçues, il n’est pas possible, je tiens à le souligner, de faire tout et n’importe quoi au sein de l’entreprise. Celle-ci a tout intérêt à l’épanouissement de son personnel. Un salarié heureux au travail est en effet un salarié productif. Les entreprises le savent bien !

Ce bien-être au travail passe notamment par la formation, qui permet de progresser et d’évoluer. Je pense en particulier au compte personnel de formation, successeur du droit individuel à la formation, qui devrait offrir aux salariés une perspective d’évolution tout au long de leur carrière.

Toutefois, osons le dire, ce compte personnel de formation fonctionne mal. Il ne convient qu’aux cadres, et encore ! Le système est complexe et trop difficile d’accès pour les non-cadres. Améliorer la formation, oui, mais pour tous !

Je voudrais, enfin, revenir sur le rôle essentiel de la médecine et de l’inspection du travail. Experts, médecins, infirmiers, psychologues, les équipes pluridisciplinaires ont un avis déterminant sur la capacité d’un individu à exercer dans de bonnes conditions son travail.

Je rappelle par ailleurs que la médecine et l’inspection du travail possèdent toutes deux un droit de regard sur les conditions d’activité au sein d’une entreprise. Mais ont-elles vraiment les moyens de mener à bien leurs missions et d’accompagner au mieux l’employé dans les difficultés qu’il peut rencontrer dans l’entreprise ? En tant que législateurs, nous devons être vigilants : quelle médecine du travail voulons-nous ? Quels moyens et quels buts concrets pouvons-nous lui donner ?

Madame la ministre, l’enjeu est simple. Il s’agit de prévenir l’absentéisme, les conflits personnels, les plaintes, le burn out, le harcèlement, les accidents du travail et les risques psychosociaux, qui sont des problématiques parfois difficiles à appréhender. Sur ce sujet, si important, l’accompagnement des pouvoirs publics est essentiel, en particulier pour les petites entreprises, lesquelles ne disposent pas toujours d’un service de ressources humaines.

Les outils de contrôle existent et sont nombreux. L’arsenal est dense, peut-être même trop.

Il ne s’agit pas de négliger les tensions nées au travail. Bien au contraire, il faut les regarder avec lucidité et honnêteté. Elles existent et exigent des réponses adaptées, permettant de mieux les anticiper. À cette fin, les pouvoirs publics doivent connaître la réalité du terrain, celle de la vie complexe d’une entreprise.

Nous devons changer notre vision des rapports dans l’entreprise et cesser d’opposer deux mondes, celui de l’entreprise et celui de l’employé. L’un et l’autre doivent évoluer ensemble pour le bien-être de chacun. Ce qui est bon pour l’employé l’est aussi pour l’entreprise. Osons sortir des schémas binaires et donner à chacun ce dont il a besoin, au bénéfice de tous.

Voilà, madame la ministre, quelques axes de réflexion que je souhaitais partager avec vous et qui méritent, à mon sens, d’être approfondis.

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