Intervention de Myriam El Khomri

Réunion du 22 mars 2016 à 15h15
Santé et travail : repenser les liens dans un contexte de mutations économiques du travail — Discussion d'une question orale avec débat

Myriam El Khomri, ministre :

… tandis que la totalité des autres organisations ont soutenu la réforme proposée par le Gouvernement. D’ailleurs, je tiens à la disposition de tous ceux qui voudront en prendre connaissance la lettre qu’elles m’ont adressée en ce sens pas plus tard que le 16 mars dernier.

Je le répète : à l’instar du troisième plan santé au travail, le projet de loi sur la réforme du code du travail prévoit un suivi médical personnalisé et axé sur la prévention, loin de l’approche comptable que beaucoup croient y discerner.

Je tiens, à présent, à répondre plus directement aux questions posées par les orateurs en ce qui concerne le burn out, la réglementation relative à l’amiante et le droit à la déconnexion.

Patricia Morhet-Richaud et Michel Amiel, entre autres orateurs, ont abordé la question du burn out. Même si les causes en sont parfois complexes, ce phénomène fait partie des risques psychosociaux dont l’origine est à rechercher dans les conditions d’emploi, l’organisation du travail ou les relations de travail.

Parce que cette forme d’épuisement professionnel est particulièrement grave, le Gouvernement s’est déjà pleinement saisi du sujet. Je pense en particulier à l’article 27 de la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, qui a marqué une avancée majeure en instaurant la pleine reconnaissance du burn out parmi les maladies psychiques, ainsi que son traitement dans le cadre des instances compétentes. Les comités régionaux de reconnaissance des maladies professionnelles ont pleinement pris part à cette action, puisque, aujourd’hui, près de 50 % des pathologies psychiques sont reconnues comme maladies professionnelles, contre 15 % des autres maladies. Preuve, madame David, que ce dispositif, quoique récent encore, est déjà efficace ; nous le suivons actuellement au niveau de chaque caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, ou CARSAT.

Ce travail législatif et administratif a donc permis de doter notre pays d’un cadre adéquat pour travailler à la réparation de ce nouveau fléau.

Au-delà, nous partageons la volonté des partenaires sociaux de donner désormais la priorité à la prévention, conformément à l’esprit du troisième plan santé au travail. Tel est le sens de la mission que je souhaite, avec Marisol Touraine, confier à la Haute Autorité de santé, afin d’améliorer la connaissance du syndrome d’épuisement professionnel parmi les personnels médicaux.

En outre, j’ai souhaité, pour pouvoir avancer plus vite sur cette question et pour que les prochains débats parlementaires en soient nourris, que le rapport d’analyse sur les modalités de reconnaissance du burn out prévu par la loi du 17 août 2015 me soit remis dès la fin du mois de mars, et non en juin, comme il était initialement prévu. Nous pourrons, à partir des conclusions de ce rapport, engager un travail commun approfondi pour, si nécessaire, améliorer le dispositif.

Quant au problème plus précis du burn out en milieu hospitalier, qui concerne plus directement la ministre de la santé mais que M. Amiel a soulevé, il est clair qu’il est aujourd’hui au cœur des préoccupations des professionnels de santé. En effet, les contextes d’exercice de ceux-ci, qu’ils soient libéraux, salariés ou hospitaliers, les exposent à des tensions particulières liées à divers facteurs, parmi lesquels la responsabilité vis-à-vis des patients, la charge de travail, les horaires atypiques et le renforcement des exigences en matière de régulation.

Notre volonté, à Marisol Touraine et à moi-même, est de développer les démarches de sensibilisation, de formation et d’accompagnement des professionnels médicaux en ce qui concerne les facteurs de risques professionnels psychosociaux.

Voilà donc en quelques mots l’esprit du plan santé au travail et des mesures relatives à la médecine du travail contenues dans le projet de loi sur le travail. J’en viens à la question des maladies professionnelles liées à l’amiante, sur laquelle Mme Archimbaud, en particulier, m’a interrogée.

La mobilisation du Gouvernement à ce sujet est constante. Je rappelle que ces maladies figurent au premier rang pour les indemnisations versées par la branche AT-MP de la sécurité sociale au titre des maladies professionnelles : 936 millions d’euros ont été versés pour leur indemnisation en 2014, soit 42 % du total des montants versés. À ces indemnisations s’ajoutent celles qui sont versées par le Fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante – 779 millions d’euros en 2014 – et le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante – 521 millions d’euros en 2014.

En 2012, le ministère du travail a engagé une réforme d’ampleur de la gestion du risque amiante en direction des salariés. Je veille en particulier à ce que cette réforme fasse l’objet d’un suivi et d’une application coordonnée entre les ministères concernés.

Dans mon ministère, nous avons engagé une action résolue en direction de l’inspection du travail, en inscrivant la prévention des risques liés à l’amiante parmi les priorités nationales fixées aux directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi –les DIRECCTE – en 2015 et 2016 ; concrètement, nous avons fourni des outils méthodologiques aux agents de contrôle et mis sur pied un programme de formation d’envergure, deux mesures essentielles correspondant aux demandes du terrain.

En ce moment, nous travaillons à la rédaction d’une feuille de route commune à mon ministère et aux ministères du logement, de la santé et de l’écologie. Ce document devrait nous permettre de franchir une nouvelle étape en faveur des personnes exposées à l’amiante dans le cadre de leur activité professionnelle passée.

C’est notamment le cas avec la systématisation du diagnostic préalable de repérage avant travaux, qui constitue une garantie forte pour la santé des travailleurs exposés à un tel risque. Après deux ans de travail, l’ordonnance prévoyant son introduction dans le code du travail est en cours d’examen par le Conseil d’État.

Madame Archimbaud, l’ensemble de ces mesures sur le point d’aboutir ont bien pour origine le rapport du Sénat que vous avez mentionné.

Je tiens, pour finir, à traiter rapidement du droit à la déconnexion, que Mme Génisson a abordé : un droit que nous souhaitons faire figurer dans l’avant-projet de loi de réforme du code du travail.

Comme l’a souligné le rapport Mettling de septembre 2015, le développement du numérique au travail peut être un levier d’amélioration de la qualité de vie au travail, mais aussi un facteur d’accroissement des risques psychosociaux. De fait, comme chacun peut le constater, la frontière entre vie professionnelle et vie personnelle devient de plus en plus poreuse, et le numérique contribue fortement à cette évolution.

C’est pour permettre le rétablissement de cette frontière lorsqu’il est nécessaire que l’avant-projet de loi institue un droit à la déconnexion pour tous les salariés. Ce droit sera garanti, et ses modalités de mise en œuvre seront définies au sein de chaque entreprise par accord collectif, afin que ses modalités d’exercice puissent être adaptées aux spécificités de chaque entreprise.

En l’absence de régulation, l’usage d’outils numériques peut contribuer à la détérioration des conditions de travail, d’autant que la rapidité et la facilité des échanges via le numérique ont favorisé l’émergence d’une culture de l’urgence et de l’immédiateté. La loi instaurera justement le principe d’une régulation, afin de placer cette problématique nouvelle au cœur de la réflexion sur la qualité de vie au travail.

Par ailleurs, nous demandons qu’une négociation s’ouvre sur le travail à distance, le télétravail, ainsi que sur la question du fractionnement du repos quotidien, notamment pour ce qui est des cadres au forfait jours qui souhaiteraient aller chercher leurs enfants à 17 heures, puis se remettre sur leur poste entre 20 heures et 22 heures, mais qui ne le peuvent pas aujourd’hui parce qu’il leur faut onze heures de repos consécutives.

Dans l’avant-projet de loi, il était prévu que, sur la base du volontariat et en vertu d’un accord d’entreprise à 50 %, ces cadres pourraient mieux concilier leur vie personnelle et leur vie professionnelle, un nombre minimal d’heures de repos quotidien consécutives restant évidemment prévu ; cette mesure ne figure plus dans la version actuelle du projet de loi, mais elle ne marquait absolument pas un retour au XIXe siècle !

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, voilà en quelques mots ce que je souhaitais vous dire à l’occasion de ce débat.

Le monde du travail a connu des évolutions profondes au cours des dernières années, notamment du fait de la révolution numérique, mais également en raison de nouvelles pratiques et de nouvelles organisations du travail au sein des entreprises, sans oublier les aspirations croissantes de nos concitoyens à une meilleure articulation entre vie professionnelle et vie personnelle.

Notre responsabilité, qui est tout particulièrement celle de la ministre du travail, de l’emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, consiste à promouvoir une culture de prévention et à encadrer les évolutions du monde du travail. Tel est le sens de mon action et du troisième plan santé au travail. Tel est aussi celui du projet de loi qui sera bientôt débattu au Parlement.

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