J'ai eu l'honneur d'être reçue dans cette instance dans le cadre de précédentes fonctions à la tête de l'Agence de la biomédecine. Je suis maintenant entendue comme présidente du comité de déontologie de la Haute Autorité de santé (HAS). Depuis 2006, cette dernière a éprouvé le besoin de se doter de ce comité, à chaque fois présidé par un conseiller d'État. Ce comité a élaboré deux documents fondamentaux qui sont une charte de la déontologie et un guide de l'analyse des déclarations d'intérêts. Ce guide sert aux services et aux présidents des différentes commissions, qu'elles soient permanentes ou qu'il s'agisse de groupes de travail constitués. Ces présidents utilisent le guide pour analyser les déclarations d'intérêts qui leur sont soumises et qui révèlent éventuellement des liens. Le rapport de la Cour des comptes semble contester une distinction introduite dans le guide entre les liens d'intérêts majeurs et les autres liens. Je veux souligner qu'il n'y a pas de relation entre cette distinction et la charte de déontologie, qui est postérieure au guide. D'autre part, il n'est nulle part fait mention dans le guide de « lien mineur », qui serait synonyme d'une absence de conflit. Il est écrit qu'un lien d'intérêt majeur, qui n'est pas forcément un conflit, induit un risque élevé de conflit, alors qu'un autre lien n'écarte pas tout risque de conflit et appelle une lecture au cas par cas. Pareille distinction est conforme à la volonté du législateur, même si ce dernier est intervenu après, si l'on se fie aux travaux préparatoires de la commission de réflexion pour la prévention des conflits d'intérêts dans la vie publique présidée par M. Sauvé. Il s'agit, en s'inspirant du code pénal, de regarder l'intérêt « à l'affaire » de la personne en cause. Si elle a un intérêt « à l'affaire », elle doit être écartée. Cet intérêt « à l'affaire » ne peut être apprécié que par l'intensité du lien, notion que le comité de déontologie a tenté de faire rentrer dans le guide, en l'illustrant par quelques exemples pratiques. L'existence d'une rémunération implique toujours un lien d'intérêts majeur ; l'inclusion de patients, non au titre d'investigateur principal ou secondaire, mais dans le cadre d'un essai de phase 3, dans le seul souci d'assurer un échantillonnage important, ne semble pas un lien d'intérêts majeur mais doit quand même susciter l'attention, selon la molécule considérée. Ainsi, la distinction entre intérêt majeur et autre intérêt n'a nullement vocation à exonérer de l'examen individuel de l'existence d'un conflit.
D'autre part, la loi doit-elle préciser la définition d'un conflit d'intérêts ? Les termes de la loi du 29 décembre 2011, en mentionnant « l'intérêt à l'affaire », s'inspirent de ceux du code pénal, notamment dans ses dispositions relatives à la prise illégale d'intérêts, et paraissent satisfaisants. En revanche, le guide rappelle aux autorités administratives qu'au moment de la constitution des commissions permanentes - que le rapport de la Cour appelle à mon sens improprement « instances de gouvernance » alors qu'il s'agit seulement d'instances d'expertise - elles doivent dans la mesure du possible éviter la nomination d'un expert dont elles peuvent anticiper qu'il sera en situation de conflit dans la majorité des affaires qu'il aura à traiter. La nomination doit donc se faire selon des critères stricts.
Enfin, est-il envisageable de mener une expertise de qualité sans aucun lien d'intérêts ? Les termes de la loi prévoient une acception très large de la notion de « lien d'intérêts », rendant ainsi très difficile aujourd'hui, étant donné le fonctionnement de nos CHU, de faire appel à un expert confirmé n'ayant jamais participé à un essai lié à une molécule ou à un dispositif - ce dont d'ailleurs on doit se réjouir, car cela nous indique que les essais continuent de se faire en France. Qui plus est, un arrêt de section du Conseil d'État (Conseil d'État, Section, 22 juillet 2015, Sté Zambon France) a validé ce mode de fonctionnement qui consiste à se fonder sur l'intensité des liens pour déterminer si la personne doit être exclue de la délibération. Le principe est donc validé, même si l'application sur le terrain doit faire l'objet de toute l'attention du comité de déontologie. Enfin, concernant le contrôle de conformité entre les déclarations faites par les entreprises sur le site transparence.sante.gouv et les déclarations publiques d'intérêts faites par les experts auprès de la HAS, il s'agit d'un travail de très longue haleine en raison du grand nombre de données contenues dans les déclarations d'entreprises. Il serait donc difficile à la HAS de le systématiser. On peut en revanche s'assurer que, lorsque l'expert remplit sa déclaration publique d'intérêts, il soit bien informé de l'existence du site transparence.sante.gouv. Mme Buzyn a également proposé une procédure de contrôle de conformité par tirage au sort périodique d'un échantillon de déclarations publiques d'intérêts. On maintiendrait un contrôle systématique pour les experts siégeant dans les commissions principales. En revanche, même si la HAS paraît l'institution la plus à même d'assurer cette mission de contrôle, elle pourrait difficilement s'en acquitter dans des domaines qui ne relèvent pas de son champ d'application - le nucléaire s'agissant de l'IRSN par exemple. Pour ces cas, on pourrait confier cette mission à des prestataires extérieurs, qui le feraient en toute indépendance.