Le ministère des affaires sociales et de la santé est destinataire de l'ensemble de vos questions. Nous sommes tout à fait conscients que le bilan est en demi-teinte, mais le dispositif mis en oeuvre en 2011 suppose une phase d'apprentissage. Les obligations purement formelles que sont la déclaration publique d'intérêts et sa publication ne suffisent pas pour que le dispositif fonctionne correctement ; le dépôt et la publication des déclarations doivent par la suite faire l'objet d'une étude, qui permettra la prévention des conflits d'intérêts. C'est là que le dispositif, dont les deux premières étapes sont simples et facilement cadrées par la loi et le règlement, peut se complexifier et davantage se prêter à l'appréciation de chacun. Sur la question de la distinction entre lien d'intérêts et conflit d'intérêts, je rejoins tout à fait Mme Prada-Bordenave : le législateur a voulu que le lien d'intérêts présente une intensité moindre que le conflit d'intérêts, et a donc prévu une marge d'appréciation nécessaire au bon fonctionnement du dispositif. La loi du 29 novembre 2011 a tenté de définir l'intérêt par la notion d'« intérêt dans l'affaire », qui désigne un intérêt suffisamment élevé pour être problématique. Elle s'est appuyée pour cela sur l'intérêt tel qu'il est défini dans la loi sur la transparence de la vie publique, comme portant atteinte à la neutralité, à l'impartialité, voire à l'honorabilité de la fonction. Si on essaie de définir le conflit d'intérêts plus précisément que cela, on se fixe un objectif impossible, car on se prive d'appréciation au cas par cas. Je pense qu'on a donné des outils suffisamment efficaces à ceux qui ont la responsabilité de les détecter.
En revanche, il est vrai que le site transparence.sante.gouv a pris des retards. Il ne s'agit pas d'un site où l'on se contente de déposer et de lire les déclarations publiques d'intérêts. Il nous faut prendre en compte le traitement par les agences des informations contenues dans ces déclarations pour apprécier au quotidien les liens d'intérêts et prendre des décisions. Or, ces agences, pour accélérer ces traitements, ont mis en oeuvre des systèmes d'informations qui leur sont particuliers ; l'enjeu était de coordonner ces systèmes autour d'un seul système d'informations auquel toutes adhèreraient. Cette démarche fut longue et s'est notamment confrontée aux difficultés budgétaires qui ont pesé sur les ministères sociaux en 2015. Après sa finalisation prévue en 2017, ce site unique devrait rendre les choses plus faciles pour les déclarants. Nous voudrions leur ajouter une facilité supplémentaire : la suppression de l'actualisation annuelle des déclarations publiques d'intérêts, prévue par les textes réglementaires. Nous voudrions lui substituer une actualisation ponctuelle, limitée aux changements de situations. L'actualisation annuelle avait un sens lors du lancement du dispositif, afin d'habituer les déclarants à la démarche, mais il n'en est plus de même aujourd'hui. Qui plus est, disparaîtrait ainsi une part non négligeable des anomalies déplorées par le rapport de la Cour.
Je voulais souligner que le dispositif a été pensé en 2011, dans l'urgence d'une réponse à apporter à un scandale sanitaire majeur. Aujourd'hui, nous avons davantage de recul et pouvons proposer plusieurs améliorations, tant réglementaires que législatives. On a parlé des dispositions qui s'appliquent au Ceps, qui auraient effectivement dues être alignées. Contrairement à ce que la Cour préconise, il me semble que le Ceps devrait se voir appliquer les dispositions relatives aux déclarations publiques d'intérêts de l'article L. 1451-1 sans qu'on lui impose la publicité des débats prévue à l'article L. 1451-1-1, qui ne vise que les instances de l'article précédent qui ont un rôle d'expertise. Il y a une autre difficulté que le contexte précipité de 2011 n'a pas immédiatement permis d'endiguer : il existe des instances qui, en toute rigueur, pourraient relever de l'article L. 1451-1, mais qui feraient de la sorte relever du même article des instances conventionnelles qui dépendent d'elles. M. Planel a évoqué ce problème en prenant l'exemple du Ceps. En effet, il y a des instances dont la fonction est précisément de représenter des intérêts. Il faut bien les distinguer de celles où les intérêts n'ont pas leur place et où une décision est prise. Les termes de la loi du 29 novembre 2011 ne font-ils pas courir le risque que certaines instances se voient contraintes d'appliquer l'article L. 1451-1 alors qu'elles ne devraient pas l'être ?
Je termine sur deux points. Sur les obligations de la charte de l'expertise, je rejoins à nouveau Mme Prada-Bordenave sur la distinction entre la charte de l'expertise et les obligations des membres des instances. La loi ne comporte aucune ambiguïté : les membres des instances qui relèvent de l'article L. 1451-1 sont astreints à la déclaration publique d'intérêts et ne peuvent pas siéger s'ils sont en situation de conflit d'intérêts, avec la souplesse que la marge d'appréciation précédemment évoquée suppose. Le problème qui se pose à l'expert est différent. La charte de l'expertise permet de réagir si l'on se trouve en situation de conflit d'intérêts : on assure toute la transparence nécessaire et on ne place pas l'expert en position de décideur final. Doit-on envisager d'appliquer aux experts les mêmes obligations qu'aux membres des instances ? Cela me semble difficilement réalisable étant donné les réticences souvent exprimées par le monde des chercheurs et le monde de la santé. De plus, les experts sans aucun conflit d'intérêts sont assez rares. Il est vrai que le site transparence.sante.gouv a révélé certaines pratiques, comme la perception d'un double revenu entre des fonctions hospitalo-universitaires et des fonctions de conseil. Mais il nous faut aussi tenir compte d'un vivier insuffisant d'experts et veiller à ne pas casser la dynamique. Enfin, sur la question du contrôle, il faut à mon sens en distinguer de deux types : le contrôle décrit par Mme Prada-Bordenave pourrait être défini comme un contrôle de premier niveau, interne à chaque structure et théoriquement exercé par toute personne qui reçoit des déclarations publiques d'intérêts - sans que l'on préjuge du temps et des moyens que cela implique. Le rapport de la Cour me semble poser la question d'un autre contrôle, qui serait de deuxième niveau, et qui consisterait en une vérification de la véracité de ce que contiennent les déclarations. Ce contrôle serait assuré par des moyens d'investigation qui iraient au-delà de ce qui est exposé sur le site public, un peu sur le modèle de Haute Autorité de transparence de la vie publique (HATVP). L'esprit du dispositif initial ne comprenait pas ce contrôle de deuxième niveau : en effet, la méconnaissance des obligations étant pénalement sanctionnée, on pensait responsabiliser ainsi suffisamment le déclarant et se satisfaire d'une sorte de « surveillance sociale » du dispositif. De plus, lorsque le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la loi sur la transparence de la vie publique, il a indiqué que, pour les personnes qui ne sont ni ministres ni élus, une déclaration publique d'intérêts ne pouvait se cumuler avec l'investigation déjà menée par la HATVP. Cela étant, une autre décision du Conseil constitutionnel portant sur la loi de modernisation de notre système de santé, prévoit que, sous la condition du respect de l'objectif à valeur constitutionnelle de protection de la santé, il était envisageable d'aller plus loin dans l'atteinte à la vie privée et de cumuler ces deux moyens. Ainsi, si instance il doit y avoir, elle doit avoir une légitimité, les moyens et la compétence de l'investigation. La HATVP me paraît la plus indiquée pour remplir ce rôle, mais devrait se saisir du droit spécial relatif au secteur de la santé, et non du droit général de la prévention des conflits d'intérêts. Elle paraît en tout cas préférable à la HAS qui n'a pas développé cette compétence et qui présenterait en plus le risque d'une position de juge et partie.