Merci de me fournir une occasion de vous préciser le fonctionnement du CSA, autorité publique indépendante. Cette audition s'inscrit dans un cadre singulier. Vous m'interrogez sur des textes sur lesquels nous n'avons aucune responsabilité, ni directe, ni indirecte, et sur lesquels je vous donnerai toute l'information dont je dispose. À la différence des projets de loi, les propositions de loi ne sont pas soumises pour avis au CSA, qui n'en a jamais délibéré et je n'ai pas de compétence pour vous donner un avis personnel sur ces dispositions.
Le CSA ne peut qu'adhérer, par principe, aux grandes notions que les propositions de loi rappellent : liberté, indépendance et pluralisme des programmes ; il y veille quotidiennement dans le cadre de ses missions actuelles, et ces principes relèvent de la jurisprudence constitutionnelle : l'indépendance est citée dans une décision du 3 mars 2009 ; celle du 23 juillet 2008 a qualifié le pluralisme et l'indépendance des médias d'objectifs de valeur constitutionnelle.
Je rappellerai le cadre juridique et fonctionnel de notre action : le CSA a proposé des évolutions législatives dans ses rapports annuels, mais aucune sur ce sujet. Actuellement, l'action du CSA privilégie une méthode concertée et le recours à des dispositions conventionnelles établies au cas par cas - c'est l'esprit de la régulation. Les deux propositions de loi procèdent d'une logique différente, avec un régime commun conduisant à multiplier les dispositifs mis en place dans quelques chaînes à l'initiative de certaines parties. Le collège n'a pas émis d'avis sur les dispositions que vous examinez, car le Gouvernement ne le saisit que sur les projets de loi et de décret.
La loi du 30 septembre 1986 nous confie des missions relatives aux principes défendus par ces textes : l'article 3-1 garantit le pluralisme, mais uniquement pour l'audiovisuel public : le CSA « garantit l'indépendance et l'impartialité du secteur public de la communication audiovisuelle ». D'autres dispositions éparses évoquent le pluralisme, l'honnêteté et l'indépendance des radios, auxquelles le CSA a ajouté des dispositions conventionnelles : selon l'article 29, le CSA tient compte, dans ses autorisations, « pour les services dont les programmes comportent des émissions d'information politique et générale, des dispositions envisagées en vue de garantir le caractère pluraliste de l'expression des courants de pensée et d'opinion, l'honnêteté de l'information et son indépendance à l'égard des intérêts économiques des actionnaires, en particulier lorsque ceux-ci sont titulaires de marchés publics ou de délégations de service public ». C'est un critère d'attribution.
La proposition de loi de Patrick Bloche s'inspire du droit dit d'opposition des journalistes de l'audiovisuel public, prévu par l'article 44 de la loi de 1986 - qu'il supprime, soi-disant par coordination. Le CSA n'a jamais eu à l'appliquer.
S'appuyant sur les spécificités des différentes chaînes, le CSA a introduit des stipulations conventionnelles sur le pluralisme des programmes et des courants de pensée et d'opinion, prévu à l'article 13 de la loi de 1986, afin d'assurer un équilibre des points de vue - la maîtrise de l'antenne. Nous avons mentionné le principe d'indépendance éditoriale dans les conventions relatives à TF1, Canal+ et M6, d'indépendance de l'information à l'égard des intérêts économiques des actionnaires pour les émissions d'information politique et générale dans les conventions de TF1, LCI, M6, I-Télé, D8, D17, et BFM TV, en leur demandant de nous informer des moyens mis en oeuvre. Nous avons fixé des règles de traitement éditorial et d'information du public en cas de présentation d'une activité avec laquelle la société détient des liens capitalistiques significatifs dans les conventions de TF1, Canal+, I-Télé, D8 et D17.
Selon l'article 20 de la convention de Canal+, « lorsque la société présente à l'antenne, en dehors des écrans publicitaires, des activités d'édition ou de distribution de services de communication audiovisuelle, développées par une personne morale avec laquelle elle a des liens capitalistiques significatifs, elle s'attache, notamment par la modération du ton et la mesure dans l'importance accordée au sujet, à ce que cette présentation revête un caractère strictement informatif. À cette occasion, elle indique au public la nature de ces liens. » Nous imposons des règles écartant les liens avec l'actionnaire principal, notamment dans la convention avec M6. Pour les chaînes d'information - TF1, LCI, I-Télé, BFM TV - nous précisons la nature des relations entre la direction et le service, la rédaction et la direction, et les autres services du groupe. Les comités d'éthique - devenus comités relatifs à l'honnêteté, à l'indépendance et au pluralisme de l'information et des programmes dans la proposition de loi Bloche - s'inspirent de notre pratique d'étude au cas par cas dans les négociations d'ensemble.
Je corrige une ambiguïté : selon la loi, le seul interlocuteur du CSA est l'éditeur de services, en aucun cas les rédactions ou les journalistes.
Le rôle du régulateur peut et doit conduire, dans un souci de sécurité juridique et économique de ses interlocuteurs, à préciser a priori le cadre d'application de la loi. C'est toute l'ambiguïté du contrôle ex ante. La régulation conduit à des orientations précisant ou complétant celles de la loi. Le régulateur n'intervient jamais au cas par cas par avance, mais par des orientations fixées a priori par convention. Il évite d'apprécier des situations précises et concrètes autrement que par une action a posteriori.
Nous intervenons, une fois la loi votée, par des recommandations qui relèvent du pouvoir général, prévues par l'article 3-1 de la loi de 1986, dont certaines ont un caractère réglementaire selon l'interprétation du législateur et la jurisprudence du Conseil d'État. Ainsi, la recommandation du 20 novembre 2013 relative au traitement des conflits internationaux, des guerres civiles et des actes terroristes par les services de communication audiovisuelle explicite-t-elle les principes prévus à l'article 1er sur la dignité de la personne humaine et l'ordre public. Des dispositions conventionnelles sur l'attribution ou la reconduction d'autorisations, générales ou spécifiques à chaque chaîne, sont négociées.
On ne saurait être trop clair sur le contrôle général du CSA a priori : édicter des règlements de portée générale, des recommandations et négocier des conventions a toujours été le rôle que lui a confié le législateur. Mais il ne lui appartient pas de décider en amont de ce qui peut ou non être diffusé. Ainsi, le CSA exige de ne pas diffuser d'images portant atteinte à la dignité d'une personne humaine, blessée ou tuée, mais n'a pas à interdire la diffusion de toute image ou de tout son de violence, fût-elle paroxystique, comme celle que nos amis belges ont hélas subi hier. C'est un principe de responsabilité propre aux médias, c'est leur choix de diffuser ou non des images au regard des dispositions applicables et des lignes directrices du régulateur. En cas de manquement, le CSA n'intervient qu'après la diffusion, hormis deux exceptions récentes : en janvier et novembre 2015, le CSA a appelé à la prudence pour ne pas interférer sur les enquêtes, mais ce n'est pas une interdiction a priori. Le CSA est un régulateur, non un censeur.
Le CSA n'a pas vocation à être un déontologue, un organe de régulation entre journalistes et éditeurs de services. Il fait pleinement respecter les droits et les libertés, mission qui lui a été confiée par le législateur, et dont il est garant. À ma demande, le Comité de déontologie du CSA s'appelle désormais Comité de respect des droits et libertés, un changement important à mes yeux.
Les décisions du Conseil sont rarement consensuelles. Il décide en toute responsabilité et indépendance. Il fut le seul à adresser des avertissements à la suite du traitement médiatique des attentats de janvier 2015. Les chaînes ont ensuite mené des réflexions concluantes sur ce sujet, puisque le traitement des attentats de novembre fut conforme au respect des exigences législatives et conventionnelles.
Il n'y a pas d'opposition entre l'autorégulation professionnelle des journalistes, toujours souhaitable et souhaitée mais pas toujours très précise, et la régulation que vous nous avez confiée et que nous nous efforçons de délimiter dans un cadre juridique précis et contraignant. Réaffirmer notre indépendance est un hommage à ma collègue vice-présidente de l'European Regulators Group for Audiovisual Media Services (Erga), présidente de l'autorité croate et forcée à la démission pour avoir dénoncé la diffusion de discours d'incitation à la haine sur le service public. D'autres régulateurs - en Hongrie, en Pologne... - rencontrent également des difficultés. L'indépendance est une valeur de la République, une valeur européenne.
La dénomination des comités d'éthique a été modifiée lors de l'examen de la proposition de loi par l'Assemblée nationale. Les comités d'éthique mis en place par le CSA sont divers : certains comprennent des personnalités indépendantes, dont la liste est annexée à la convention, le Conseil étant informé de tout changement de composition. Ainsi le comité d'éthique de LCI, chargé du pluralisme et de la déontologie, peut être saisi par la direction ou les représentants du personnel. Le comité d'éthique et de pluralisme d'I-Télé, en cours de reconstruction après de multiples démissions, s'inscrit dans le cadre de celui de Canal+. Celui de BFM TV comprend des représentants de la chaîne - il n'est donc pas indépendant - mais a établi une charte de déontologie, de même que le comité d'éthique de Gulli, qui comprend des professionnels de l'enfance. Nous avons émis quelques doutes sur l'élaboration de la charte et la composition du comité d'éthique de Canal+.
Le CSA n'a pas les moyens de jouer un rôle d'arbitre pour les éditeurs de service. Cela relève du juge ou de l'autorégulation. De même, les comités d'éthique n'ont pas vocation à devenir des prolongements du CSA. Le CSA n'est ni une instance d'appel, ni une caisse de résonnance. Il n'y a pas de codécision : les comités d'éthique n'ont pas à se justifier devant le CSA, et réciproquement.
Il n'y a pas de saisine particulière du CSA, malgré la formulation de l'article 42 de la loi de 1986, modifié par la proposition de loi. Toute personne peut demander au CSA d'engager une procédure de mise en demeure ou de sanction, et le Conseil peut s'autosaisir. Dans son rapport annuel, le CSA doit préciser les raisons pour lesquelles il ne sanctionne pas - ce qui interroge sur la séparation des pouvoirs. Le Conseil dispose d'un pouvoir d'appréciation confié par la loi et confirmé par juge. L'instruction des manquements relève d'une procédure particulière définie par la loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public, avec saisine d'un rapporteur indépendant par le directeur général en cas d'engagement d'une procédure de sanction. Le juge, saisi d'une sanction ou d'un refus de sanctionner, examine alors la manière dont les faits se sont produits. Dans la première partie du rapport que nous vous remettrons le 31 mars, nous proposons de rendre compte au Parlement du nombre et de la nature des anomalies relevées et sanctionnées, dans le respect du secret des délibérations, sans rentrer dans l'analyse détaillée de nos décisions.
Le délai laissé au CSA pour adapter les conventions et s'assurer de la création des comités est bref. Nous devrions examiner plus de 1 300 conventions sur l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme : mille pour les radios, 310 pour les télévisions - dont 21 pour la télévision nationale hertzienne, 40 pour les télévisions locales, 249 pour les services sur les réseaux non hertziens. Et nous devrions examiner également 50 conventions de comités, cinq pour les radios à caractère généraliste émettant des émissions d'information, 51 sur la télévision - sans compter les télévisions d'outre-mer.
La disposition, introduite par le Gouvernement, interdisant la revente d'une fréquence attribuée dans un délai de cinq ans, sauf difficulté économique grave mettant en cause la viabilité de l'opérateur, ne supprime pas tout risque de manoeuvre spéculative mais apparaît en phase avec l'attachement constant du collège à l'équité, à la probité, à la juste exploitation d'un domaine public inaliénable.
Le CSA se borne à exercer les missions confiées par le législateur, qui fixe le champ de compétences de la régulation audiovisuelle. Ses missions doivent être exercées dans leur plénitude : la loi, toute la loi, rien que la loi. Si la loi change, j'espère vous avoir convaincu que cette exigence d'application intégrale de la loi est primordiale et immuable.