Intervention de Olivier Schrameck

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 23 mars 2016 à 9h00
Audition de M. Olivier Schrameck président du conseil supérieur de l'audiovisuel

Olivier Schrameck, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel :

Monsieur Assouline, j'ai rencontré longuement, à ma demande, le SNJ, dans un climat courtois. Malgré d'inévitables et d'irréductibles divergences d'appréciation, rien n'est pire qu'un malentendu. Les journalistes estiment ne pouvoir être contrôlés que par des juristes ; ils ont bâti des instruments internationaux ou nationaux, des offices comme l'Observatoire de la déontologie de l'information, dont les résultats ont été inégaux face à la brutalité et à l'imprévisibilité des événements.

Nous faisons un autre choix, celui de la régulation. Est-il frappé d'une sorte de péché originel, sous prétexte que nous ne sommes pas en majorité des journalistes - même si à mon arrivée, le collège en comptait cinq sur neuf membres - et que nous sommes désignés par les plus hautes autorités de la République, en vertu de la loi du 15 novembre 2013 ? Néanmoins, nous devons rassembler trois cinquièmes des suffrages exprimés de chacune des commissions, reconnaissance d'une compétence pluraliste. Le président du CSA est nommé par le Président de la République selon l'article 13 de la Constitution, et soumis à l'approbation du Parlement. Journaliste ou non, chaque personne s'engage à respecter l'intérêt public. Ne faisons pas de procès d'intention. Il y a de la place pour deux types de régulation : si les journalistes s'organisent pour éviter les débordements, les anomalies, les risques au regard des principes dont vous nous avez donné la charge, tant mieux ! La sanction marque toujours l'échec de la persuasion et du dialogue. Mais laisser le respect de principes aussi importants que la dignité humaine, la lutte contre la haine ethnique ou raciste, la sécurité physique d'autrui, en cas de prise d'otages, à une régulation ni organisée, ni contrôlée par avance, serait disproportionné. Je ne suis pas opposé par principe à l'autorégulation, mais elle ne peut pas réussir en toutes circonstances à faire respecter l'État de droit dans la communication.

Oui, les journalistes travaillent souvent pour plusieurs médias, successivement ou simultanément. N'ayons pas une vision trop restreinte de l'audiovisuel. Grâce au législateur, notre compétence s'étend aux web radios, aux web télés, aux services de médias audiovisuels à la demande (Smad), et nous oeuvrons pour que le champ de compétences de l'Erga inclue les plateformes numériques, les magasins d'application, les réseaux sociaux. Nous avons proposé au Parlement, dans notre rapport, de nous donner compétence sur l'ensemble des services audiovisuels numériques : peu importe le support ou la technologie, l'important est le contenu. Un frémissement s'amorce ; les rapports préparatoires de la proposition de loi montrent les différences avec les sites actuels. Selon l'arrêt de la Cour de justice de l'Union européenne du 21 octobre 2015 New Media Online GmbH, sur plainte de l'Autriche, les sites de presse en ligne relèvent de la régulation audiovisuelle dès lors qu'ils diffusent des vidéos qui ne sont pas la simple retranscription des informations écrites des organes de presse.

C'est un problème de société : veut-on un système très régulé, voire corseté de régulation audiovisuelle, ou un système libertaire de l'Internet, sans contrôle de l'âge ou de la formation de la personne qui regarde ? On risque d'aller vers une société de plus en plus déboussolée, décloisonnée, déstabilisée. Cet enjeu considérable reste à régler. Parmi les autorités administratives indépendantes, le CSA, par son indépendance, ses conciliations, sa vocation de tiers de confiance, est le mieux placé pour exercer cette régulation du XXIe siècle. Monsieur Assouline, je vais dans votre sens, même s'il faut avoir une vision rétrospective : le législateur a distingué l'audiovisuel à la suite de la disparition du cadre monopolistique dans les années 1980, avec l'explosion de l'Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) et l'arrivée des radios libres. Il a souhaité ne pas verser dans des excès attentatoires à l'État de droit, alors que la presse a toujours vécu dans la tradition de la loi du 29 juillet 1881 qui lui garantissait une totale liberté, sous réserve de l'intervention, aléatoire, du juge pénal. Mais la presse n'assure pas mieux, pour autant, le pluralisme que l'audiovisuel. Lorsqu'un courant de pensée n'est pas représenté dans l'audiovisuel, nous publions des recommandations ; dans certains organes de presse, certaines personnalités ne sont jamais représentées... La régulation est donc l'idéal.

Nous n'avons jamais envisagé de visionner en amont toutes les émissions, hormis celles enregistrées à l'avance, comme les films. On ne sait pas, par avance, ce qu'un talk show ou un « programme de flux » apportera. Mais nous demandons aux chaînes de le déclarer et de le vérifier. Loin d'être une énorme machine bureaucratique contrôlant les 2 500 chaînes, le CSA n'a que peu de moyens. J'ai signalé à l'État que pour contrôler 1 250 chaînes satellitaires en langue arabe, nous n'avions qu'un seul interprète... Il y a insuffisance et non excès de moyens. Chaque année, nous recevons 10 000 mails d'alerte ; notre site internet est consulté plus d'un million de fois par an, permettant au public de se familiariser avec nos règles.

Les règles sur la concentration, qui résultent de l'interprétation de la décision du Conseil constitutionnel de 1994, sont dépassées et hétérogènes, avec des critères contestables. De plus, il faut compter aujourd'hui avec l'essor du plurimédia. Un média se doit d'être présent désormais sur plusieurs supports : radio, télévision, Internet. N'en contrôler qu'un nous donne une vision partielle, contraire à la philosophie de la régulation. Un énorme travail législatif peut être réalisé sur ce sujet.

Le secteur des médias a une vraie valeur ajoutée pour développer notre culture et notre langue. En Italie, en Allemagne, au Royaume-Uni, il est plus concentré. Seuls les Espagnols ont un ratio moindre. Cependant, la multiplicité des liens d'affaire existe. Plus les groupes se développent, plus il faut veiller à ce que l'information ne soit pas déformée, dans l'intérêt supérieur du groupe.

Monsieur Percheron, la résolution de 2009 sur le pluralisme a valeur réglementaire. L'opposition ne doit pas avoir moins de 50 % du temps dévolu à la majorité - mais ces notions sont fluctuantes. Comment articuler les périodes du tout-venant et celles qui préludent à des compétitions électorales ? Certains partis pourraient profiter de la période antérieure à la période d'observation, prévue par la résolution de 2011, pour s'attribuer une surexposition ne pouvant être ensuite compensée. Assurons un continuum, d'autant que les périodes électorales se succèdent certaines années - sans parler des primaires, un sujet en tant que tel. Notre collège doit réfléchir sur l'adaptation des règles de contrôle du pluralisme afin d'éviter de découper en tranches le temps politique pour en donner une image faussée au bénéfice de certaines tendances.

Madame Blandin, les programmes télévisuels incitant à la violence ou à l'avilissement de la personne humaine sont un vrai problème. Nous ne fabriquons pas des programmes et ne voulons pas intervenir a priori, hormis pour la signalétique. Est-elle satisfaisante ? Passer de l'interdiction aux moins de 12 ans à l'interdiction aux moins de 16 ans ne constitue-t-il pas un écart trop important pour les adolescents ? Dès qu'un programme est trop violent, nous nous astreignons à augmenter le degré de la signalétique et faisons des observations a posteriori. Parfois, des chaînes font de l'autorégulation. Hier, TF1 a renoncé à diffuser certaines séries télé américaines, dont elle est pourtant friande, car la thématique était trop proche des attentats perpétrés à Bruxelles. Il faut lier tous ces éléments : autorégulation, signalétique...

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion