Lorsque les hommes ne peuvent plus échanger de mots, ils en viennent aux coups. Dans un pays démocratique, lorsque les journalistes ne peuvent travailler librement, la violence risque de s'installer et de porter gravement atteinte aux relations entre les citoyens.
Pourquoi vous alerter aujourd'hui ? Parce que la profession de journaliste va plutôt mal. Aucun ne vous en parlera à titre individuel, tant tous cherchent à faire leur travail, sans en révéler les contraintes, les difficultés et les risques. L'année dernière, lorsque nos collègues de Charlie Hebdo ont été massacrés, aucun journaliste, dans sa recension des événements, ne s'est apitoyé sur la profession, pourtant minée par une série de difficultés, au premier rang desquelles la précarisation croissante qui ne permet pas d'avoir des conditions de travail suffisantes pour assurer la qualité de l'information.
De plus en plus souvent, dans la presse écrite, vous n'allez pas trouver d'information. Les rédactions ont été considérablement réduites et on leur demande toujours de faire plus, que ce soit l'écrit-papier, l'écrit-web, la vidéo et les photographies, avec de moins en moins de moyens humains. Cette situation n'est pas si rare, puisque d'autres professions sont confrontées à ces difficultés. L'information de qualité se doit d'être honnête, complète et pluraliste. Si l'on veut pouvoir continuer à travailler, il faut mettre en oeuvre de vraies réformes. Les quelques mesurettes qui sont avancées dans la proposition de loi ne vont pas, ou très peu, dans un sens suffisant.
Que le président du CSA, que nous respectons infiniment, demeure dans son pré carré et que nous demeurions dans le nôtre ! Nous le lui avons dit et redit. Les compétences du CSA sont posées par la loi, mais il ne faut pas lui rattacher la déontologie des journalistes, puisqu'il s'agit d'une autorité administrative dont les membres sont désignés par les politiques. Cette instance n'a pas à se préoccuper de la déontologie des journalistes.
Concernant la protection du secret de nos sources, sans laquelle il n'y a plus d'information possible, nous sommes confrontés à deux problèmes : le premier relève de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, qui permet aux services de renseignement de lire, d'écouter et d'enregistrer les données et de les échanger sans aucune limite géographique ni de temps. Cette loi autorise également de géo-localiser une personne et son entourage. Nous sommes contre ce traitement des citoyens, mais lorsque cette mesure vise des journalistes, c'est encore plus grave. À l'égal des parlementaires, des médecins et des avocats, les journalistes assument en effet une responsabilité particulière dans une société démocratique, celle d'informer et d'assurer à leurs sources la protection de leurs secrets ; ce que, du reste, la loi relative au renseignement rend désormais impossible.
Nous avons présenté aux parlementaires des propositions d'amendements qui ont tous été refusés : l'un d'eux prévoyait que, si les services de renseignement récupèrent des informations qu'ils ne devraient pas obtenir, ils doivent les détruire immédiatement ; un autre proposait d'interdire l'interdiction d'« IMSI-Catchers » à côté des rédactions. Il s'agissait pourtant de mesures simples qui devaient nous protéger.
C'est alors que surgit du Diable-Vauvert un nouveau texte sur la protection des sources. Pensez-vous réellement que les services secrets seront en mesure de trier les informations saisies ?
Enfin, les journalistes disposent d'une carte unique, valable du stagiaire au rédacteur en chef, d'un statut légal dérogatoire du droit commun pour assurer leurs missions, d'une convention collective spécifique qui les couvre et ce, depuis l'organisation de notre profession par les parlementaires en 1935. Ne laissons pas se multiplier les chartes d'entreprises au détriment du statut unique du journaliste professionnel !
Nous ne pourrons alors pas être fidèles au préambule de la charte de 1918 : « le droit du public à une information de qualité, complète, libre, indépendante et pluraliste, rappelée dans la déclaration des droits de l'homme et la constitution française guide le journaliste dans l'exercice de sa mission. Cette responsabilité vis-à-vis du citoyen prime sur toute autre. » J'en appelle à votre sagesse en ce moment historique : ne détruisez pas notre profession, aidez-la ! Les dispositions que cette proposition de loi contient, ne sont pas souhaitables.