Intervention de Emmanuel Vire

Commission de la culture, de l'éducation et de la communication — Réunion du 23 mars 2016 à 9h00
Déontologie des journalistes et indépendance des médias — Audition

Emmanuel Vire, secrétaire général du Syndicat national des journalistes (SNJ-CGT) :

Je partage la description faite par ma collègue Dominique Pradalié de la profession de journaliste en France. Deux éléments me paraissent corroborer ce qui vient de vous être présenté : le premier, qui reflète la crise que traverse notre profession, est la baisse continue depuis ces deux dernières années du nombre de cartes de presse, tandis que ses conditions d'obtention ont été élargies. Vous pouvez désormais obtenir une carte de presse avec 43 % du SMIC. Notre profession est extrêmement touchée par la précarité. Ainsi, ce sont près de 20 à 25 % de nos confrères qui sont précaires. Par ailleurs, depuis l'attentat contre Charlie Hebdo, qui a conduit à des manifestations dans toute la France et à la réaffirmation de la liberté d'informer, les lois qui se sont succédé ne facilitent pas le travail des journalistes, et en particulier la loi dite « renseignement » que nous avons combattue avec le SNJ.

Le second problème touche les rédactions au quotidien : l'extrême concentration de la presse dans les mains des quelques milliardaires de ce pays. À cet égard, vous avez certainement entendu parler de la grève dans le groupe Lagardère, dont les titres représentent autant de fleurons historiques de la presse magazine française. Depuis qu'Arnaud Lagardère a soudainement décidé d'abandonner sa presse, celle-ci est dépecée jour après jour. Ainsi, le nombre de collaborateurs du Journal du Dimanche a été drastiquement réduit. Comment réaliser un journal hebdomadaire d'information politique et générale avec 35 journalistes ? Cette démarche a déclenché une grève des journalistes, suspendue depuis. Un plan de départs volontaires, qui devrait concerner 220 journalistes, s'en est suivi et une fois mis en oeuvre, il devrait conduire à revoir la composition des rédactions, que ce soit pour le Journal du Dimanche, pour Paris Match ou pour Elle. Nous sommes ainsi soumis au bon vouloir de quelques milliardaires, comme l'indique encore le très récent exemple de la censure au Parisien du film « Merci Patron », de notre adhérent François Ruffin, qui met en cause Bernard Arnault, notamment propriétaire de ce quotidien. Malgré les protestations de la rédaction et le fait que cette action soit rendue publique, il n'y a toujours pas eu d'article sur ce film dans Le Parisien.

Il faut que cette question de la concentration soit réglée par la loi, en renforçant les seuils anti-concentration. Il n'est pas normal que Patrick Drahi puisse notamment posséder un quotidien, un magazine d'informations, une chaîne et une radio. Il va falloir y mettre bon ordre. La situation économique du secteur rend nécessaires les investisseurs. Nous entendons certes cet argument, mais il nous faut garantir réellement l'indépendance des journalistes dans les rédactions, quitte à leur accorder un statut susceptible d'assurer leur autonomie face aux actionnaires. Les parlementaires, comme Patrick Bloche à l'Assemblée nationale, ont déjà travaillé sur ce point, et les différentes propositions de loi visant à garantir l'indépendance des rédactions en témoignent. Il faut ainsi conférer un véritable statut aux rédactions, afin qu'elles s'imposent comme un contre-pouvoir à l'actionnaire et aux dirigeants de l'entreprise. Nous l'avons dit à Patrick Bloche, initiateur de ce texte après avoir, dès 2010, déposé une autre proposition de loi qui allait dans ce sens. Nous lui avons indiqué que le moment était pourtant favorable pour inscrire dans la loi l'indépendance des rédactions. Ce n'est malheureusement pas le cas dans le texte qui vous a été transmis.

En revanche, je ne partage pas l'avis de Mme Pradalié sur la protection du secret des sources. Cette disposition, qui n'était pas initialement prévue dans la proposition de loi, relève d'amendements déposés par les députés lors de son examen. La profession demande depuis très longtemps la protection des sources afin d'améliorer la loi n° 2010-1 du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, dite loi « Dati ». Au SNJ-CGT, nous pensons que les dispositions sur la protection des sources introduites dans la proposition de loi Bloche vont dans le bon sens.

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