J'interviens au nom de l'Observatoire de la déontologie et de l'information (ODI), dont j'ai été désigné président, en qualité d'expert et comme spécialiste de l'histoire des médias de l'Université Paris I Panthéon-Sorbonne.
L'ODI est un organisme tripartite, qui réunit les journalistes, les entreprises, via des fédérations ou des syndicats d'entreprises ou des sociétés, et les associations reconnues représentant le public, comme des associations de lecteurs. Créé en septembre 2012, il exerce une veille et essaie de faire progresser la démarche déontologique puisqu'en France, il n'existe pas d'organisme ad hoc, alors qu'on en trouve dans 21 pays européens. Nous n'avons pas de conseil de presse pour des raisons historiques, puisque la presse était protégée par la loi de 1881 et que le secteur audiovisuel était, quant à lui, initialement encadré par l'ORTF. L'ODI n'est pas un ordre des journalistes, mais une instance destinée à faire dialoguer les rédactions, les entreprises et le public, dont la confiance envers les médias professionnels doit être renforcée. Notre seule sanction est de publier de façon anonyme. Nous avons publié trois rapports annuels : le premier était consacré à l'insécurité de l'information, celui-ci s'intitule « l'information dans la tourmente » et traite, en première partie, de la question essentielle de l'information au coeur de la démocratie. Nous avons vécu, en 2015, des événements terribles, qui viennent d'ailleurs de toucher nos amis belges. L'information a un rôle à jouer : elle doit être libre, car tel est le fondement de la démocratie. Le droit du public à être informé constitue l'un des fondements de la démocratie. Comme le soulignait Camille Pelletan, rapporteur au Sénat de la loi de 1881, on ne peut pas voter sans avoir connaissance et cette connaissance est apportée par les médias. Le droit du public à être informé est fondamental en démocratie, ce qui entraîne la liberté des journalistes à informer. Mais la responsabilité des journalistes est aussi entière : liberté et responsabilité. J'insiste sur ce point.
Nous sommes financés uniquement par les cotisations de nos membres et refusons les subsides de l'État, car nous ne souhaitons pas dépendre de fonds publics. Telle est la grande différence avec le CSA. En revanche, nous faisons appel aux parlementaires, en sollicitant un financement via la « réserve ».
La proposition de loi pose, quant à elle, certains problèmes. Les chartes d'entreprises posent difficulté et à l'ODI, nous nous référons seulement à deux chartes communément admises par la profession, celle du SNJ et celle de Munich, qui est reconnue par la CFDT. Puisque le contenu de ces deux chartes demeure semblable, on dispose ainsi des fondamentaux qui nous permettent d'agir. Pour les très petites entreprises, qui représentent de nombreux membres du syndicat de la presse hebdomadaire régionale, qui ont deux à trois journalistes, la charte d'entreprise paraît infondée.
Le texte fait référence aux comités d'entreprise. Les entreprises de média ont-elles un statut spécial ? Concernant la protection des sources, l'ODI est favorable au dispositif. En revanche, la question des médias audiovisuels et le rôle du CSA nous paraît plus problématique. La distinction entre la presse numérique et la presse papier nous pose question à l'heure de la convergence numérique. L'information est multimédia : on trouve de la télévision sur les pages numériques des quotidiens. Le CSA va-t-il réglementer de telles pages vidéos alors qu'inversement, France TV Infos ne peut pas être réglementée par le CSA puisqu'il s'agit d'un média numérique ? Cette dichotomie me paraît problématique.
Dans la proposition de loi, il est très clairement dit que le CSA garantit l'honnêteté, l'indépendance et le pluralisme de l'information et des programmes. C'est un véritable problème que de mélanger les programmes et l'information. Cette dernière doit obéir à certaines règles déontologiques et les programmes à d'autres. Que ceux-ci soient régentés par le CSA et que les pouvoirs publics leur imposent un cahier des charges en fonction notamment des publics me paraît tout à fait logique. Mais l'information touche au coeur de la démocratie. Que va-t-on imposer aux rédactions ? Je sais bien que ce n'est pas ce que pensent les rédacteurs, sauf qu'une loi est votée pour un certain nombre d'années et qu'on ne saurait présager ce que sera la composition du CSA à l'avenir. Dans ce cadre-là, le CSA, qui est déjà à la fois régulateur du marché, en charge des fréquences, serait appelé à devenir le déontologue de l'information ? Il faut sortir l'information de cette démarche.
Je ne suis pas contre les comités d'éthique dans les médias, mais comment leurs membres seront-ils nommés ? Comment garantir leur indépendance dans le cas d'une désignation où le CSA jouerait un rôle important ? En effet, comme l'indique la proposition de loi, « la composition et les modalités de fonctionnement de ces comités sont fixées par la convention conclue par le CSA et les entreprises ». Évidemment, cette disposition fait référence à l'affaire du comité d'éthique du groupe Bolloré. Mais doit-on légiférer pour un seul cas ? On se rappelle, par le passé, la loi « anti-Hersant » dont le résultat s'est avéré très mitigé.
Par ailleurs, conformément à l'article 2, « le Conseil supérieur s'assure que les intérêts économiques des actionnaires et des éditeurs des services de communication ne portent aucune atteinte à ces principes ». C'est très bien, au niveau des principes, sauf que, dans la réalité, l'actionnaire peut-il n'être que dormant ? On est encore en économie de marché. Faut-il une loi spécifique pour les entreprises de média ? Le statut des entreprises de presse est un serpent de mer qui depuis 1944 a connu dix-sept moutures différentes sans jamais voir le jour.
J'en terminerai en évoquant la situation de l'ODI. Dans l'article 10 bis, vous évoquez les organisations de défense et liberté de l'information reconnues d'utilité publique. J'aimerais qu'on y ajoute les associations représentatives de la déontologie, parmi lesquelles se trouve l'ODI, car nous sommes appelés à conduire notre action et à l'amplifier.