Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 30 mars 2016 à 14h30
Lutte contre le crime organisé et le terrorisme — Article 4 ter A

Jean-Jacques Urvoas, garde des sceaux :

J’ai été parlementaire pendant quelques années de 2007 jusqu’à il y a deux mois. Je ne suis pas allé à l’Assemblée nationale pourvu de mes seuls a priori. Comme vous, j’ai été confronté à certaines situations. Il y a un mois, la question de l’élargissement de la période de sûreté a été posée à l’Assemblée nationale. Je suis sûr que j’aurai spontanément répondu non à cette question il y a un ou deux ans, parce que la perpétuité existe déjà aujourd’hui dans les établissements carcéraux, monsieur le sénateur.

Ainsi, Georges Ibrahim Abdallah a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour terrorisme au mois de février 1987. Depuis cette date, il a demandé sa libération conditionnelle à neuf reprises. Or, chaque fois – et à bon droit, de mon point de vue –, elle lui a été interdite. Depuis février 1987, il est en prison, ce qui prouve bien que la perpétuité réelle existe déjà.

Monsieur le sénateur, la question posée par votre collègue député Guillaume Larrivé était de savoir si l’on devait étendre la période de sûreté – chacun sait maintenant qu’il s’agit d’une période pendant laquelle aucun aménagement de peine ne peut être accordé – de vingt-deux ans à trente ans. Le Gouvernement a donné un avis favorable à cette période de trente ans.

Pourquoi retenir une période de sûreté de trente ans et non de quarante, cinquante ou soixante ans ? Il s’agit de préserver le principe de cohérence dans notre droit. En effet, il existe déjà deux cas dans lesquels la période de sûreté de trente ans s’applique : il y a, d’une part, les actes de barbarie et les viols sur mineurs et, d’autre part, l’assassinat de toute personne dépositaire de l’autorité publique, comme un policier. Nous n’avons pas voulu créer une distorsion par rapport au droit existant. En effet, il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur. Il existe en revanche des parallélismes de forme en droit, monsieur le sénateur. Nous avons accepté d’allonger la période de sûreté à trente ans, mais nous refuserons de l’étendre à quarante, cinquante ou soixante ans !

La seconde raison pour laquelle nous n’accepterons pas ces amendements tient au respect de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Vous avez cité la Cour européenne des droits de l’homme, mais il faut aussi lire ses arrêts. Il faut notamment examiner les commentaires qu’elle publie sur les décisions qu’elle rend.

Qu’entend la Cour par relèvement de la période de sûreté ? En fait, tout condamné doit pouvoir demander, et non obtenir automatiquement, une mesure d’aménagement de peine. La CEDH estime qu’au bout de cinquante ans, un condamné est à un moment de sa vie où il n’a plus la capacité physique de demander un aménagement de peine et qu’en conséquence, une peine de cinquante ans n’est pas une peine compressible. Dans un tel cas, vous vous exposez donc à un risque de non-conformité à la CEDH. C’est pourquoi le Gouvernement sera défavorable à l’ensemble de ces amendements.

Sur cette question, ne faisons aucun faux procès. Personne n’a d’états d’âme et personne ne souhaite manquer de sévérité. Quelle que soit la responsabilité que nous exerçons, nous sommes tous confrontés à un défi, …

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