Mardi dernier, à l’Assemblée nationale, M. le ministre de l’intérieur a déclaré : « Ceux qui nous frappent utilisent le darknet et échangent des messages chiffrés pour accéder à des armes qu’ils acquièrent en vue de nous frapper. »
Prenons garde à l’utilisation de notions en décalage avec la réalité et à l’association de choses différentes les unes des autres.
M. le ministre a fait référence « aux usages criminels qui peuvent être faits des réseaux officieux de type darknet, ou encore, d’une manière générale, à la partie d’internet qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche classiques ». Je tiens à le rappeler, les usages d’internet qui ne sont pas référencés sur Google représentent plus de 95 % du trafic mondial des réseaux.
Dans les faits, tous les internautes que nous sommes émettent des informations sur la « partie d’internet qui n’est pas indexée par les moteurs de recherche classiques ». Ce sont des pratiques banales, communes à chacun des utilisateurs : les communications par mail ou messagerie instantanée, les paiements en ligne sécurisés, les réseaux internes des entreprises ou des administrations. L’internet ne se limite pas à ce qui est référencé sur Google.
Par ailleurs, il existe des techniques pour sécuriser des communications de point à point, permettant à leurs utilisateurs de posséder une chose inestimable dans une démocratie : la confiance dans la sûreté de leurs échanges. Le chiffrement conditionne la souveraineté de l’État. Il garantit la capacité des lanceurs d’alerte à confier des informations sensibles à des journalistes, celle des citoyens qui vivent dans des pays autoritaires à conserver l’espace ténu de respiration citoyenne et celle des entreprises à protéger leurs secrets industriels et à ne pas se faire piller leurs richesses, innovations et savoir-faire.
Voilà ce qu’est le chiffrement ! Que nous en soyons conscients ou non, cette technique bénéficie à chacun d’entre nous, directement ou par répercussion. Ne perdons surtout pas cela de vue. Faisons attention à ne pas compromettre sa pérennité sous le coup de la panique et de l’émotion, qui ne sont généralement pas les meilleurs conseillers du législateur.
Ayons conscience que le numérique est définitivement devenu central dans l’organisation de notre économie et de notre société. Je regrette de rappeler un tel lieu commun. Il est pourtant nécessaire d’avoir en tête cette évidence lorsque l’on modifie des règles pouvant affecter durablement et profondément nos pratiques.
Comme l’a rappelé M. le garde des sceaux, nous légiférons pour des générations !