Le Sénat examinera le 5 avril, à la demande du groupe Les Républicains, la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant le dialogue avec les supporters et la lutte contre le hooliganisme.
Je salue l'évolution de l'intitulé de cette proposition qui mentionne la nécessité de renforcer le dialogue avec les supporters. Il convient néanmoins de rappeler que l'essentiel des dispositions de ce texte est de nature pénale et vise à lutter contre des comportements inacceptables dans les enceintes sportives. À l'origine, l'intitulé de ce texte ne mentionnait que les hooligans, ce qui explique que notre commission des lois soit saisie au fond de ce texte, comme lors de son examen à l'Assemblée nationale. En revanche, la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale n'a pas jugé nécessaire de se saisir pour avis de ce texte, alors qu'il concerne le sport. C'est pourquoi nous l'avons fait.
Avant de vous présenter les articles de cette proposition de loi, je souhaiterais rappeler le contexte qui explique pourquoi il était nécessaire de l'examiner rapidement sans élargir outre-mesure son périmètre. Notre pays accueillera l'Euro 2016 du 10 juin au 10 juillet prochain. Ce grand événement interviendra dans un contexte particulier marqué par les attentats de 2015 et chacun d'entre nous connaît les menaces particulières qui pèsent sur cette compétition d'autant plus qu'un des attentats du 13 novembre avait pour cible le stade de France à l'occasion d'une rencontre de football entre la France et l'Allemagne. Pour l'heure, l'état d'urgence doit s'achever le 26 mai : je ne doute pas qu'il sera prolongé au moins jusqu'à la fin de la compétition. J'ai eu l'occasion de rencontrer à l'automne dernier le préfet Jacques Lambert qui dirige l'organisation de l'Euro 2016 et il m'a expliqué tous les moyens qui étaient mis en oeuvre pour parer cette menace : la sécurité demeure son unique préoccupation.
Cette proposition de loi ne vise pas la violence extraordinaire de nature terroriste, elle concerne cette violence ordinaire qui n'a pas disparu de nos stades et qui a même tendance à y prospérer en dépit des nombreuses initiatives prises depuis plusieurs années pour l'éradiquer. Nous avons tous à l'esprit des images qui nous reviennent de ces affrontements qui ternissent le spectacle des matchs de football. En septembre dernier, de graves incidents intervenaient au Stade vélodrome à l'occasion d'une rencontre qui opposait l'Olympique de Marseille (OM) à l'Olympique lyonnais. Le 30 janvier dernier, lors du match Le Havre - Lens, des heurts violents ont eu lieu avec les forces de l'ordre. Je ne reviens pas sur les tristes événements qui ont accompagné le match entre Reims et Bastia en février dernier et qui se sont soldés par la grave blessure d'un étudiant. Il est temps d'envoyer un nouveau message de fermeté afin de réserver les stades aux vrais supporters et de permettre aux familles de s'y rendre sans inquiétude.
Comme cela a été souligné lors du débat à l'Assemblée nationale, cette préoccupation dépasse les clivages politiques et si c'est le groupe Les Républicains qui a pris l'initiative de ce texte, il a été adopté avec l'assentiment de la majorité de l'Assemblée nationale. Ce consensus se retrouve également dans les politiques publiques qui sont menées par les différents ministres de l'intérieur depuis une dizaine d'années. Le seul message qui vaille est celui de la « tolérance zéro ».
J'en viens à cette proposition de loi dont les principales mesures ont pour objectif d'éloigner davantage encore les perturbateurs des enceintes sportives tout en respectant les principes de notre droit. L'article 1er permet aux organisateurs de manifestations sportives à but lucratif de refuser ou d'annuler la délivrance de titres d'accès ou l'accès aux manifestations sportives des personnes dont le comportement porte ou a porté atteinte à ces manifestations et, par ailleurs, de tenir un traitement automatisé de données relatif à ces personnes. Le texte adopté par l'Assemblée nationale encadre ce fichier puisque ces conditions devront être fixées par décret en Conseil d'État après un avis motivé et publié de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).
En 2014-2015, le nombre de personnes interdites de stade s'est élevé à 367, dont 361 pour le seul football, les six autres étant des supporters de basket ou de rugby.
Cet article permet de refuser ou d'annuler la vente de billets à des personnes dont l'organisateur a des raisons de penser qu'elles sont susceptibles de commettre des violences à l'intérieur de l'enceinte sportive mais qui ne feraient pas, pour autant, l'objet d'une interdiction de stade. La jurisprudence n'était, en effet, pas claire sur le fait de savoir si cette possibilité existait ou non. Pour préserver les libertés publiques, l'Assemblée nationale a précisé, à l'article 1er, que le refus de délivrance de titres d'accès à ces manifestations concernait les personnes qui ont porté atteinte ou portaient atteinte et non plus celles qui étaient seulement susceptibles de le faire, cette rédaction pouvant être considérée comme réduisant de façon excessive les droits des personnes.
L'article 2 allonge la durée maximale d'interdiction administrative de stade de 12 à 24 mois pour les personnes n'ayant pas fait l'objet d'une telle mesure au cours des trois années précédentes et de 24 à 36 mois dans le cas inverse. Il s'agit de renforcer les mesures de prévention des comportements violents, afin d'assurer la sécurité dans les enceintes sportives ainsi que le respect des spectateurs, des joueurs et des arbitres.
L'article 3, introduit à l'initiative du député Philippe Goujon, permet la communication de l'identité des personnes faisant l'objet d'une interdiction judiciaire ou administrative de stade aux organismes sportifs internationaux lorsqu'une équipe française participe à une manifestation sportive organisée par leurs soins. Ces informations seront ainsi transmises à l'Union des associations européennes de football (UEFA), au Comité international olympique...
L'article 4 oblige les clubs sportifs à procéder à la vente directe de leurs cartes d'abonnement et précise que ces cartes peuvent être nominatives. L'objectif est de sécuriser les ventes d'abonnements annuels en évitant les ventes en bloc qui ne permettent pas de connaître l'identité des acheteurs. Une telle situation avait encore cours, il y a peu, à l'OM et pouvait être de nature à compliquer la lutte contre les comportements violents.
Avant d'en venir à l'article 5 qui concerne le dialogue avec les supporters, un mot de l'article 6 qui modifie l'article L. 332-16 du code du sport afin d'harmoniser le périmètre des interdictions judicaires avec celui des interdictions administratives. Il permet, en particulier, d'interdire des personnes s'étant rendu coupables d'infractions pénalement sanctionnées de se rendre dans les lieux où les manifestations sportives sont retransmises au public. Cette disposition vise, selon l'auteur de l'amendement, à sécuriser les fan zones. Ces rassemblements constituent une des principales préoccupations en termes de sécurité pour l'organisation de l'Euro 2016. Lors du débat à l'Assemblée nationale, le ministre Thierry Braillard a expliqué que le gouvernement avait décidé de renforcer la sécurité de ces fan zones en prévoyant notamment que chaque personne fera l'objet d'une palpation, qu'une vidéosurveillance sera exercée à l'entrée et que des agents de sécurité seront présents en renfort à l'intérieur de la zone. Il y aura en effet 2,5 millions de personnes dans les 51 stades et... 7 à 8 millions dans ces fameuses zones. Les attentats de Bruxelles nous invitent à être encore plus exigeants vis-à-vis de ces rassemblements. La possibilité, évoquée cette semaine, de délivrer des billets nominatifs aux participants limiterait les risques, sous réserve de sa faisabilité.
J'en viens maintenant à l'article 5 qui concerne la place des supporters dans l'organisation des compétitions sportives. Nous sommes tous conscients qu'il existe aujourd'hui un déséquilibre dans l'approche de cette question comme en témoigne cette proposition de loi dont l'essentiel des dispositions est de nature répressive. Notre collègue Dominique Bailly avait pris l'initiative, le 17 juin 2015, de déposer une proposition de loi relative à la représentation des supporters - cosignée par une cinquantaine de nos collègues appartenant à tous les groupes - afin de répondre précisément à cette question, en créant en particulier un conseil des supporters chargé d'assurer leur expression collective et la prise en compte de leurs intérêts lors des décisions relatives à la gestion, à l'évolution économique et financière des clubs. La proposition de loi de notre collègue prévoyait également la création d'un organisme national représentatif des supporters et un dialogue régulier entre ces derniers et les ligues professionnelles. On retrouve l'influence de ce texte dans les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale. L'article 5 reconnaît ainsi le rôle des supporters et des associations de supporters pour assurer le bon déroulement des manifestations et des compétitions sportives. Il crée également une instance nationale du supportérisme chargée de « contribuer au dialogue entre les supporters et les autres acteurs du sport et de réfléchir à la participation des supporters au bon déroulement des compétitions sportives et à l'amélioration de leur accueil ». Il prévoit enfin un dialogue entre les ligues professionnelles et les associations de supporters grâce à la désignation de personnes référentes choisies après avis des associations de supporters. L'article 5 ne va pas, toutefois, jusqu'à reprendre l'idée de la proposition de loi de notre collègue Dominique Bailly de créer des conseils de supporters au sein des clubs. Je n'en ferai pas le reproche au texte adopté à une très large majorité par l'Assemblée nationale. Ce n'était pas son objet et je comprends que les députés n'aient pas souhaité compléter à ce point la proposition de loi.
Je n'ai pas eu le temps matériel d'organiser les auditions qui m'auraient permis de proposer d'institutionnaliser la place des supporters dans les clubs. Je ne crois pas, pour autant, qu'il faille renoncer à cette idée et je vous proposerai de considérer la rédaction de l'article 5 comme un point de départ et de saisir l'opportunité du débat en séance publique pour interroger le Gouvernement sur cette seconde étape afin de reconnaître le rôle des supporters dans le sport.
Compte tenu de ces explications, je ne vous proposerai pas d'amendement et je vous inciterai à voter cette proposition de loi. La lutte contre la violence dans les stades constitue aujourd'hui une priorité et on ne peut que se féliciter que cette préoccupation fasse l'objet d'une conviction largement partagée, puisque cette proposition de loi a été adoptée à l'unanimité des votes exprimés à l'Assemblée nationale.