Intervention de Didier Billion

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 mars 2016 à 9h35
Turquie — Audition de Mme Dorothée Schmid chercheur à l'institut français des relations internationales - ifri et de M. Didier Billion directeur adjoint de l'institut de relations internationales et stratégiques

Didier Billion :

La laïcité à la turque est respectable mais elle n'est nullement comparable avec la laïcité à la française. Dès Mustapha Kémal, c'est un système de coercition sur la religion et d'instrumentalisation de celle-ci. Quant à la société civile, bien qu'il soit difficile de définir ce terme, on observe bien depuis la fin des années 90 une multiplication des ONG, des associations, ce qui est une réalité nouvelle face à la toute-puissance de l'Etat. Cette formation d'une société civile est difficile et non linéaire. Pour prendre un exemple, l'association du patronat mondialisé, la TÜSIAD - il existe plusieurs fractions patronales- a pied dans le débat politique et arrive à faire valoir ses positions parfois opposées à celles du Gouvernement. Il existe ainsi en Turquie, de manière originale pour la région, un patronat qui n'est pas rentier. Par ailleurs, les ramifications du mouvement Gülen restent très importantes. Ceux qui apparaissent comme des Gülénistes sont dans la ligne de mire du pouvoir, à tous les niveaux, y compris dans la presse. Gülen n'a pas dit son dernier mot même s'il est sur la défensive. Erdogan parle de ce mouvement comme d'un Etat parallèle et, depuis quelques semaines, comme étant égal au PKK, alors que les mouvements n'ont aucun rapport et que Gülen a vivement critiqué le PKK. La Russie et l'Iran s'imposent dans la région depuis déjà quelques décennies. Lors de l'accord du 14 juillet 2015 avec l'Iran, les autorités turques se sont félicitées de la réinsertion potentielle de l'Iran dans le jeu régional et international. D'ailleurs, malgré toutes les divergences qui existent entre ces deux États, notamment à propos du dossier syrien, les relations ne sont pas rompues. Davutoglu était il y a deux semaines en Iran et il y a des échanges économiques et d'hydrocarbures. Toutefois, l'Iran va nécessairement s'affirmer dans les années à venir sur les terrains économique et politique dans le Caucase, en Asie centrale et au Moyen-Orient, devenant ainsi le grand concurrent de la Turquie. Ce sera un jeu difficile et compliqué.

Est-ce qu'il y a un axe entre la Turquie, les États du Golfe et Israël contre l'Iran ? Je ne raisonne pas ainsi, préférant ne pas entrer dans la grille d'analyse « sunnites contre chiites » qui n'est pas pertinente, bien que ce soit une hypothèse. En revanche, la crise violente qui durait depuis quelques années entre la Turquie et Israël est sur le point d'être dépassée, non pas pour encercler l'Iran mais en raison des découvertes et de l'exploitation de gisements d'hydrocarbures en Méditerranée orientale : au vu des difficultés politiques qu'elle a avec la Russie et qu'elle va probablement avoir avec l'Iran, la Turquie doit maintenir son approvisionnement pour entretenir ses progrès économiques. C'est pourquoi Erdogan a récemment déclaré qu'Israël restait un partenaire important.

Sur le terrorisme aux deux visages kurdes/Daech, il est insupportable qu'après l'attentat de juillet dernier à Suruç, le président Erdogan ait instrumentalisé cet attentat pour relancer la guerre contre le PKK en disant qu'il était le seul capable de s'opposer aux attaques dont la Turquie est victime. Fin politique, il a ainsi joué la stratégie de la tension avec maestria car il a remporté l'élection en novembre. En tout état de cause, il convient de parler « des terrorismes » et non pas « du terrorisme » car Daech et le PKK ne partagent ni histoire, ni dynamique politique, ni mode opératoire, ni agenda communs. Depuis juillet dernier, l'essentiel des efforts turcs se concentre sur le PKK et non sur Daech. Par ailleurs, je n'ai pas dit que le PYD était égal au PKK, mais que le PYD était la projection du PKK, ses cadres militaires étant issus du PKK.

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