Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 mars 2016 à 9h38
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France :

Je vous remercie de me recevoir ce matin, quelques mois après m'avoir accordé votre confiance. J'attache une grande importance à ces échanges réguliers pour vous rendre compte des sujets essentiels du point de vue de la Banque de France.

À l'évidence, le monde en 2016, et l'Europe en particulier, vivent une période marquée par de grandes incertitudes, d'un point de vue sécuritaire, tout d'abord, avec une menace terroriste toujours vive et d'un point de vue politique, ensuite, avec le risque d'une sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne - soit d'un « Brexit » -, auquel vient s'ajouter le défi que représente la crise des réfugiés. Les incertitudes sont également économiques, compte tenu de l'affaiblissement de la croissance économique dans les économies émergentes, dont la Chine, et des excès de volatilité des marchés constatés en janvier-février.

Face à cet environnement troublé, l'Eurosystème, dont la Banque de France fait partie, agit résolument. Sa politique monétaire soutient l'économie et crée un contexte favorable pour mener toutes les autres actions nécessaires au retour d'une croissance forte, durable et créatrice d'emplois ; il faut impérativement que la France, comme l'Europe, saisissent cette chance afin de renouer avec la confiance.

La politique monétaire, tout d'abord, fait toute sa part du travail. L'Eurosystème est déterminé à combattre la faible inflation que nous connaissons aujourd'hui et à soutenir ainsi l'activité économique. C'est notre mandat et nous nous y attachons avec énergie. Le nouvel ensemble complet de mesures que nous avons adopté le 10 mars dernier traduit deux objectifs principaux. Le premier tend à revenir à une inflation inférieure à, mais proche de 2 % à moyen terme - objectif qui est, d'ailleurs, partagé par la plupart des banques centrales des économies avancées. Ce n'est pas le cas actuellement puisque l'inflation s'est établie à - 0,2 % dans la zone euro en février, compte tenu de la forte baisse des prix du pétrole ; néanmoins, celle-ci devrait repasser en territoire positif au deuxième semestre 2016. Le second objectif est de sécuriser le financement de l'économie réelle et de le protéger des tensions qui seraient liées à la volatilité des marchés. La nouvelle série d'opérations de refinancement ciblées (dite « TLTRO II ») doit inciter les banques à prêter encore davantage aux entreprises et aux ménages. L'élargissement du programme d'achats de titres bénéficiera, quant à lui, largement aux grandes entreprises françaises.

Nous sommes convaincus que ces mesures supplémentaires produiront des résultats concrets, comme l'ont fait les mesures successives que nous avons mises en oeuvre depuis juin 2014. Celles-ci ont, en effet, permis de relancer le crédit aux entreprises, tout en faisant baisser son coût ; ainsi, en février dernier, le crédit aux entreprises a progressé de 0,9 % dans la zone euro. Par ailleurs, les mesures précitées ont contribué à accroître la croissance française de 0,3 % en 2015, voire 0,4 % selon l'Insee, ce qui représente un effet conjoncturel d'au moins 80 000 emplois supplémentaires.

Nous sommes donc constants dans la poursuite de nos objectifs et demeurons mobilisés avec les instruments dont nous disposons. Toutefois, nous restons vigilants quant aux risques éventuels que notre politique monétaire pourrait faire apparaître. Aujourd'hui nous ne constatons pas de bulle financière, mais nous sommes prêts à agir, si nécessaire, par le biais de mesures macro-prudentielles, dans le cadre du Haut Conseil de stabilité financière, notamment, que vous avez créé dans le cadre de la loi bancaire de 2013. Nous avons ainsi, lors de notre huitième réunion, le 15 mars dernier, formulé une alerte concernant le secteur des bureaux en Île-de-France.

La politique monétaire fait donc beaucoup pour notre économie, mais elle ne peut pas tout. Elle n'est pas et elle ne peut pas être la seule partie à jouer - pour reprendre ici, si vous le permettez, l'expression anglaise « it cannot be the only game in town ». L'Europe et la France doivent impérativement saisir cette chance. En effet, si notre pays devrait afficher cette année une croissance résistante, puisqu'elle devrait être au moins égale à celle observée en 2015 - la prévision pour 2016 s'établissant aujourd'hui à 1,2 % -, celle-ci n'en demeure pas moins insuffisante, car inférieure à la moyenne de la zone euro. Afin de favoriser la croissance économique et les créations d'emplois, il nous faut actionner trois leviers « de confiance » indispensables : les réformes en France ; l'investissement privé et public ; la coordination des politiques économiques en Europe.

Il faut, tout d'abord, en France, des réformes ordonnées et poursuivies pour redonner confiance. La maîtrise de nos déficits publics et de notre dette y contribue : les bons chiffres publiés vendredi - le déficit ayant été ramené à 3,5 % du PIB en 2015 - sont une raison de plus pour tenir fermement nos engagements européens en ramenant le déficit public en deçà de 3 % du PIB en 2017. Il faut tenir bon sur les réformes qui marchent, en particulier le déploiement du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et du Pacte de responsabilité, et aller plus loin encore. Les jeunes et les chômeurs n'ont pas le temps d'attendre. Il y a au moins quatre réformes qui sont prioritaires, parce qu'elles ont réussi chez nos voisins et sont pleinement compatibles avec le modèle social européen qui nous est commun : le développement massif de l'apprentissage, les simplifications, à commencer par celle du droit du travail, la décentralisation du dialogue social au niveau de l'entreprise, au plus près de la réalité économique et humaine, et le développement de l'entreprenariat.

Il faut, ensuite, une mobilisation générale autour de l'investissement, privé comme public, pour tirer parti des conditions de financement exceptionnelles que permet notre politique monétaire. Cela passe au niveau européen par la relance du « plan Juncker ». Ce dernier a produit des résultats, mais ils sont insuffisants. À l'appui de cette relance nécessaire, j'ai proposé de bâtir une véritable « Union de financement et d'investissement » européenne. Pour cela, il faut additionner le « plan Juncker » et le projet d'Union des marchés de capitaux porté par la Commission européenne, ainsi que l'Union bancaire. Il s'agit de créer des synergies pour atteindre trois objectifs ambitieux : mieux orienter l'épargne des ménages de la zone euro vers l'investissement productif et les fonds propres, davantage mutualiser les risques entre pays et, ainsi, mieux financer l'innovation et les réseaux dont notre économie a besoin.

Enfin, il faut avancer vers une gouvernance économique renforcée de la zone euro. Ce progrès est indispensable, qu'il y ait ou non sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne - étant entendu que je souhaite évidemment son maintien. Il ne s'agit pas d'une question purement institutionnelle. L'enjeu, ce n'est pas « plus de Bruxelles » ; c'est, très concrètement, plus de croissance et d'emplois. L'insuffisance actuelle de coordination des politiques économiques nationales a en effet coûté aux Européens entre deux et cinq points de croissance depuis 2011, selon les estimations des économistes. Bien sûr, il ne s'agit pas - à la différence de la politique monétaire - d'une intégration complète de toutes nos politiques économiques au niveau européen, mais de ce que j'appelle la « pleine coordination » des politiques budgétaires et structurelles. Pour cela, il nous faut parvenir à des objectifs économiques partagés, à une véritable « stratégie collective » pour la zone euro, dans laquelle chaque pays aurait un rôle à jouer pour améliorer la situation de tous. Ceci suppose un affermissement de la confiance, notamment entre la France et l'Allemagne, autour d'un pacte clair concernant les réformes nationales et - et non pas ou - la coordination européenne. Cette pleine coordination nécessite aussi la mise en place d'une institution européenne forte et légitime : un ministre des finances de la zone euro, appuyé sur une administration du Trésor européenne et soumis à un contrôle démocratique renforcé. Ce ministre des finances aurait la charge de proposer la stratégie collective, de superviser sa mise en oeuvre décentralisée par les États membres et de piloter les outils de gestion de crise. À terme, il pourrait également se voir confier un budget commun. Pour la zone euro, pour la confiance de ses citoyens, 2016-2017 est le moment décisif pour agir : j'ai eu l'occasion de développer plus longuement ces propositions il y a quelques jours, lors d'un échange organisé par l'institut Bruegel, et je serai heureux que notre échange permette d'approfondir ce débat.

Je termine par quelques mots sur la Banque de France elle-même. J'avais été amené, dans le cadre de mon audition devant vous en septembre, à présenter ma vision des trois grandes missions de la Banque de France : stratégie monétaire, stabilité financière, service économique - à travers son réseau sur le terrain. Avec les hommes et les femmes de la Banque de France, nous croyons profondément à ces missions et en leur avenir, et c'est pourquoi notre ambition est d'être un service public exemplaire, encore plus performant, plus innovant, plus visible en France et en Europe.

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