Intervention de François Villeroy de Galhau

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 30 mars 2016 à 9h38
Audition de M. François Villeroy de galhau gouverneur de la banque de france

François Villeroy de Galhau, Gouverneur de la Banque de France :

Avant toute chose, je souhaiterais indiquer que, selon moi, la politique monétaire menée actuellement est la bonne, qu'elle est nécessaire, même si elle n'est pas suffisante. À mon sens, son efficacité ressort des études contrefactuelles qui ont été réalisées par les différentes banques centrales nationales, y compris la banque centrale allemande, ou encore par l'Insee, qui ont en commun de montrer que, sur la période 2015-2017, la politique monétaire de la Banque centrale européenne permettrait un surcroît d'inflation de 1 point - soit de 0,3 point par an - et aurait un effet comparable sur la croissance économique.

À n'en pas douter, nous ne sommes pas confrontés, à ce jour, à une déflation. En effet, celle-ci se définit comme baisse généralisée et durable des prix des biens et services, ainsi que des actifs, voire de la production et des salaires ; surtout, elle se caractérise par des effets d'entraînement, comme ceux qu'a connu l'économie mondiale dans les années 1930 ou, dans une certaine mesure, le Japon dans les années 1990. Or l'inflation, si elle est temporairement négative, devrait redevenir positive au cours du second semestre de l'année 2016, en partie grâce à la politique monétaire qui est menée - et ce dans la zone euro, mais également dans les autres pays avancés. Cependant, la politique monétaire est insuffisante et il est nécessaire de mobiliser les autres politiques économiques, par le déploiement de réformes structurelles et la mise en place d'une « Union de financement et d'investissement ». Ainsi que l'a rappelé à plusieurs reprises le président de la Banque centrale européenne, Mario Draghi, la politique monétaire doit nécessairement faire partie d'un tout.

En tout état de cause, la Banque centrale européenne dispose encore de marges de manoeuvre pour faire évoluer sa politique monétaire, comme l'ont fait apparaître les mesures adoptées le 10 mars dernier. S'agissant du « helicopter money drop », il me semble qu'un tel instrument pose encore de très nombreuses questions, notamment d'ordre philosophique.

Je ne pense pas qu'une contradiction puisse être relevée entre la politique monétaire actuelle et l'évolution des exigences en capital. Il n'est, en effet, nullement question d'un éventuel « Bâle IV », la priorité étant avant tout de terminer la mise en oeuvre des accords de Bâle III. Aujourd'hui, les banques commerciales sont significativement plus robustes qu'avant la crise ; en ce qui concerne les établissements français, leur ratio de solvabilité est passé de 6 % environ à 12 % ! Il s'agit donc de stabiliser les règles existantes et non pas d'accroître le niveau global des exigences en capital applicables aux banques.

Enfin, pour ce qui est du modèle français d'épargne sécurisée, je crois également qu'il est essentiel de préserver le livret A et le principe du taux fixe pour les prêts immobiliers. Des alertes ont, en effet, été lancées par certaines banques françaises en réaction à des discussions « techniques » de Bâle ; aussi souhaiterais-je formuler deux remarques sur ce point. Tout d'abord, les négociations de Bâle présentent une dimension internationale, ce qui permet un renforcement des règles prudentielles au niveau mondial, sans quoi elles seraient d'une efficacité limitée et provoqueraient des distorsions de concurrence ; il est vrai que la France, en dépit de nombreux succès, n'est pas parvenue à faire adopter l'ensemble de ses positions. Ensuite, il me semble que les banques françaises sont parfois un peu trop promptes à lancer des alertes...

Pour ce qui est du crédit immobilier, il faudra, et l'on pourra, maintenir le crédit immobilier à taux fixe. Les Français y sont attachés et c'est un élément de sécurité des emprunteurs, car il leur évite d'être exposés à des charges variables. Dans le cadre de l'approche standard, par opposition à l'approche avancée retenue par la plupart des banques, le comité de Bâle a proposé, pour terminer Bâle III, une nouvelle grille d'analyse du risque immobilier. Je souligne qu'il s'agit d'une adaptation, et non d'une révolution, et que celle-ci s'applique aux seules banques qui retiennent l'approche standard et non l'approche avancée ; or, la grande majorité des banques françaises retient l'approche avancée. Les caractéristiques précises de cette mesure sont encore à définir, les discussions sur ces dernières étant encore en cours. Pour autant, il convient de relever que l'évaluation des incidences de ces nouveaux critères ne fait pas l'objet d'un consensus ; selon certaines études, je le dis avec beaucoup de prudence, cela pourrait même se traduire par une diminution de la baisse en charge en capital applicable aux banques concernées. Nous suivons ce sujet avec beaucoup d'attention, de concert avec la profession bancaire, mais le financement du crédit immobilier à taux fixe ne sera pas remis en cause.

S'agissant du livret A, un des ratios de Bâle, le ratio de levier, rapporte les fonds propres d'une banque à l'ensemble de ses expositions non pondérées, à la différence du ratio de solvabilité où elles sont pondérées. Ce ratio de levier doit être d'au moins de 3 %. Pour le calcul des risques non pondérés, la question se posait de savoir si les fonds centralisés par les banques à la Caisse des dépôts et consignations (CDC) au titre du livret A seraient exonérés ou non. Ils ne le sont pas, ce qui ne correspond pas à notre souhait. Dans la négociation internationale, il y a des sujets sur lesquels nous devons accepter une règle majoritaire, et ce point fait partie de ceux où notre position diverge. L'argument qui nous a été opposé est que les dettes souveraines ne sont pas exonérées ; dès lors, les autres pays ne voyaient pas pourquoi l'on aurait exonéré les fonds prêtés à la CDC. On peut le contester, mais je précise l'argument qui nous a été opposé.

Nous continuons toutefois à porter nos revendications en la matière, car il s'agit pour l'instant de prescriptions générales et non de prescriptions individuelles pour les banques. Nous examinons, dans le même temps, la situation des banques qui pourraient être gênées par cette règle - il semble que leur nombre soit très limité -, en particulier celles qui collectent le plus de livret A, et étudions des solutions qui, tout en préservant le livret A pour les épargnants, nous permettraient d'atténuer l'impact de cette règle.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion