Je souhaiterais rassurer Richard Yung : il n'est pas question de passer du modèle français de financement du crédit immobilier à taux fixe à un système anglo-saxon de financement à taux variable.
Le principal débat concerne l'analyse du risque associé au crédit immobilier. L'instrument retenu au plan international pour réaliser cette évaluation est le loan-to-value, c'est-à-dire le volume du prêt rapporté à la valeur du bien. Il est actuellement envisagé d'exiger moins de capital quand ce ratio est inférieur à 80 %, et davantage de capital quand il est supérieur à ce seuil.
Je souhaiterais toutefois souligner que ce ratio ne s'applique que dans le cadre de l'approche standard. Or, la très grande majorité des encours de crédit immobilier en France sont suivis selon l'approche dite avancée, c'est-à-dire selon des modèles d'analyse de risques développés par les établissements eux-mêmes. Par ailleurs, le système envisagé rend l'analyse des effets, pour les établissements qui sont en approche standard, plus complexe ; selon certaines de nos études, il pourrait y avoir, au total, une baisse de la charge de capital requise par le modèle standard pour ces établissements.
S'agissant du quantitative easing et de la politique monétaire non conventionnelle, je rejoins le constat selon lequel cette politique a mieux marché aux États-Unis qu'au Japon, ce qui peut s'expliquer par des différences de calendrier, mais également par ce qui constitue la grande faiblesse japonaise, à savoir la difficulté à conduire des réformes structurelles favorables à la croissance.
Concernant les positions de l'ancien gouverneur de la banque d'Angleterre Mervyn King, je note qu'il a toujours été sceptique à l'égard de la zone euro ; je crois que l'euro et la politique monétaire ont beaucoup apporté aux entreprises et aux ménages français, en particulier à travers la baisse des taux d'intérêts.
Richard Yung et Maurice Vincent ont posé la question de la possibilité d'une convergence européenne. Assurer une telle convergence pose une difficulté réelle, qu'il ne faut pas nier, mais je tiens à souligner deux points qui nous montrent qu'il existe actuellement une certaine opportunité pour aller dans ce sens.
Le premier point concerne les écarts de compétitivité. Il est incontestable que la compétitivité française a perdu du terrain au cours premières années de l'euro. La France, comme d'ailleurs l'Italie ou l'Espagne, s'est « laissée vivre » lorsque l'Allemagne conduisait des réformes dans le cadre de l' « Agenda 2010 ». En conséquence, l'Allemagne a régulièrement gagné des parts de marché du fait de l'amélioration de sa compétitivité par rapport à ses voisins européens. Actuellement, toutefois, la situation est en train de changer sous l'effet du Pacte de responsabilité et du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en France, mais également en raison des augmentations salariales nettement plus fortes que pratique l'Allemagne par rapport aux autres pays européens. Avec un certain courage, mon collègue allemand Jens Weidmann a exprimé publiquement qu'il lui semblait nécessaire d'avoir des augmentations salariales en Allemagne supérieures à celle des autres pays de la zone euro, ce qui a fait l'objet de critiques.
Le résultat pratique c'est que, selon nos estimations, sur la période 2014-2017 - soit la période sur laquelle le CICE a produit ses effets - l'augmentation du coût unitaire du travail, c'est-à-dire l'augmentation des salaires pondérée par la productivité, s'est établie à 2 % par an en Allemagne lorsque ce coût a été à peu près stabilisé en France. Nous avons donc inversé la dynamique de compétitivité avec l'Allemagne. Il faut désormais que ce mouvement se prolonge afin de rattraper l'écart de compétitivité.
Le deuxième élément qui montre qu'il existe une opportunité de convergence concerne les écarts de balances courantes. L'Allemagne connaît un excédent courant de l'ordre de 8 % du produit intérieur brut (PIB), lorsque la France est en déficit courant. La zone euro connaît un excédent courant de plus de 3 %. Ce chiffre n'est bon qu'en apparence. Il souligne en réalité le besoin de coordination des politiques européennes : il n'est pas optimal que la zone euro, qui est en retard de croissance - l'écart entre la croissance constatée et la croissance potentielle, soit l'output gap, est d'au moins 2 % -, connaisse de si forts excédents courants. Cet excédent traduit une insuffisance des investissements. Nous disposons donc des marges pour soutenir davantage la croissance en Europe.
En France, nous avons tendance à opposer les remèdes, comme les politiques de soutien à la demande et les politiques de l'offre. Or, je crois qu'en Europe, comme au niveau mondial, il est nécessaire d'activer conjointement ces deux leviers. De même, au sein des politiques de soutien à la demande, on peut opposer la politique monétaire et la politique budgétaire. Là encore, il faut, à l'intérieur de la zone euro, adopter une stratégie collective, qui combine politique monétaire, politique budgétaire et réformes structurelles. Une telle stratégie doit reposer, bien sûr, sur des contributions nationales - les politiques budgétaire et fiscale ainsi que les réformes structurelles sont essentiellement de compétence nationale. Mais le rôle de cette stratégie collective doit être de permettre que les stratégies nationales additionnées aboutissent à un optimum collectif. C'est là-dessus que nous pouvons gagner des points de croissance.
Si la France mène davantage de réformes, elle doit pouvoir compter sur davantage de coordination de sa politique économique de la part de l'Allemagne. Symétriquement, si l'Allemagne accepte une forme de relance salariale et budgétaire - la relance salariale est en cours et la relance budgétaire a lieu de manière partielle en raison de l'accueil des réfugiés -, elle doit pouvoir savoir que la France et les pays du Sud mèneront les réformes nationales nécessaires. Cet élément de confiance est essentiel.
Afin de construire cette stratégie collective, il est également nécessaire de disposer d'une institution suffisamment forte. Dans la proposition que j'ai faite, le ministre des finances de la zone euro, qui doit être nommé démocratiquement par le Conseil européen et approuvé par le Parlement européen, présiderait l'Eurogroupe avec les ministres nationaux. Il préparerait, à partir des différentes stratégies nationales, une stratégie collective devant par la suite être adoptée par une majorité des États-membres.
Comme je l'ai indiqué, il existe un certain nombre de convergences en Europe. Certains ont abordé la question des salaires minimum en Europe, qui font partie du modèle social européen et permettent un soutien à la demande dans un certain nombre de pays européens. J'ai également mentionné la relance salariale en Allemagne ou l'amélioration de la compétitivité en France. Tout ceci n'est pas suffisant, mais cela remet en cause l'idée qu'il n'y a que des forces de divergence à l'oeuvre dans la zone euro.
Concernant les réformes, il me semble clair que le statu quo ne constitue pas une option. Nous devons aux jeunes et aux chômeurs d'avoir un marché du travail qui fonctionne mieux, sans pour autant tirer de conclusions hâtives sur le contenu du projet de loi défendu par la ministre du travail, Myriam El Khomri.
Nous estimons que le Pacte de responsabilité fonctionne et qu'il est créateur de croissance et d'emplois, et ce de façon significative. Ce Pacte doit désormais s'inscrire dans la durée.
S'agissant de la question du salaire minimum, il est en effet frappant de constater que la Grande-Bretagne, qui n'est pas dans la zone euro et qui incarne le modèle anglo-saxon, a fortement augmenté le niveau de son salaire minimum et qu'en Allemagne, l'instauration d'un salaire minimum a constitué un élément important de convergence avec le reste de la zone euro. Cependant, force est de constater que le SMIC en France reste significativement élevé au regard de la situation dans les voisins européens de l'hexagone. Il ne faudrait donc pas conclure qu'il serait souhaitable de relever le niveau du SMIC en France : une telle décision serait malheureusement défavorable à l'emploi et notamment à l'emploi non qualifié.
En matière d'investissement public, j'ai dit que tout ce qui pouvait favoriser l'investissement et les dépenses d'avenir était préférable. Je voudrais souligner que l'investissement public en France aujourd'hui est significativement plus élevé que dans ses voisins européens. Je parle bien de l'investissement public, qui regroupe les investissements de l'État et des collectivités territoriales. C'est un élément positif. Il faut, certes, relancer l'investissement public en Allemagne, comme une commission nommée par le Gouvernement et le rapport d'un éminent économiste allemand, Marcel Fratzscher, l'ont récemment montré.