Notre commission a toujours veillé à suivre avec une grande attention l'actualité européenne dans le domaine des services financiers, des banques et de la fiscalité, comme l'ont encore démontré les auditions organisées la semaine dernière sur l'Union bancaire.
Aussi, afin de faire un point avec les services de la Représentation Permanente de la France et de la Commission européenne sur les principaux dossiers en cours dans ces domaines, je me suis rendu à Bruxelles le 10 mars dernier. La présente communication s'efforce de retracer les principaux enseignements de ce déplacement.
J'aborderai dans un premier temps les projets liés à la fiscalité, avant d'évoquer dans un deuxième temps ceux liés aux services financiers et aux banques.
Comme vous le savez, la Commission européenne a présenté en janvier dernier, afin de lutter contre l'évasion, un « paquet fiscal » qui comprend notamment des mesures juridiquement contraignantes pour contrer les méthodes les plus couramment utilisées par les entreprises pour éluder l'impôt, une règle anti-abus générale, un système d'échange de déclarations pays par pays entre autorités fiscales et un système d'inscription des pays tiers sur une liste noire commune à toute l'Union européenne.
Ce « paquet fiscal » s'inscrit dans le cadre fixé par l'OCDE, nous en avons eu la confirmation lors de l'audition de Pascal Saint-Amans le 9 mars dernier.
Au cours des entretiens, je suis revenu sur certains éléments précis de la proposition de la Commission européenne. Par exemple, le niveau du plafond proposé pour limiter la déductibilité des intérêts est fixé à 30 % des bénéfices, ce qui correspond au haut de la fourchette de 10 à 30 % recommandée par l'OCDE. La Commission européenne a toutefois indiqué qu'il s'agit d'un point d'équilibre indispensable pour espérer parvenir à un accord entre les États membres.
Concernant le système d'échange de déclarations pays par pays, réservé dans le « paquet fiscal » aux seules administrations, les services de la Commission européenne m'ont indiqué que celle-ci présentera fin avril une proposition complémentaire visant à mettre en place un reporting public, qui portera néanmoins sur un nombre plus restreint d'informations. Le périmètre exact de cette proposition devra toutefois être examiné avec attention, afin de préserver les conditions d'une juste concurrence entre les entreprises au niveau mondial.
Par la suite, les grandes lignes du futur « plan d'action TVA » ont été évoquées. Sa présentation officielle par la Commission européenne, qui devait avoir lieu mercredi dernier, a finalement été reportée en raison des évènements dramatiques survenus à Bruxelles.
Dans le cadre de ce plan, la Commission européenne devrait se prononcer en faveur d'une plus grande marge de manoeuvre laissée aux États membres en matière de taux réduits. Je vous rappelle que l'application des taux réduits de TVA fait actuellement l'objet d'un encadrement strict : ne peuvent en bénéficier que les biens, familles de biens et services mentionnés à l'annexe III de la directive de 2006 relative au système commun de taxe sur la valeur ajoutée de l'Union européenne, ainsi que ceux qui en bénéficiaient avant l'entrée en vigueur des règles européennes. L'évolution de cette liste était demandée par de nombreux États membres, dont la France. Je suis cependant dubitatif : s'il peut sembler rigide, le système actuel a cependant le mérite de limiter la créativité des États membres. Une multiplication des mesures dérogatoires n'irait pas dans le sens d'une harmonisation au niveau européen.
En tout cas, il faudra peut-être prévoir beaucoup plus de temps pour examiner le débat sur le projet de loi de finances. On ne pourra plus écarter les amendements en mobilisant l'argument du droit de l'Union européenne. Vous avez tous en mémoire le débat sur la « taxe tampon » ! Tous les lobbies vont demander des taux réduits.
Le plan d'action de la Commission européenne devrait par ailleurs comporter un deuxième volet consacré à la lutte contre la fraude. Son objectif principal est de s'attaquer aux schémas de type « carrousel », dont le coût est estimé à près de 50 milliards d'euros par an pour l'ensemble des États membres. À titre d'exemple, pour certaines entreprises « à risque », l'État membre dans lequel est situé la société fournisseur pourrait désormais en cas de livraison intra-communautaire être chargé de collecter la TVA au taux applicable dans l'État membre où est située la société cliente, puis de reverser à cet État membre les montants collectés dans le cadre d'un « guichet unique ». La présentation du plan d'action nous permettra bientôt de connaître les contours exacts de cette proposition de la Commission, que l'on attend avec impatience. J'ai également évoqué les sujets concernant le numérique avec la Commission européenne : nous en reparlerons lors de la présentation de ce plan.
S'agissant de l'assiette commune consolidée pour l'impôt des sociétés (ACCIS), la Commission européenne devrait aboutir à une nouvelle proposition d'ici la fin de l'année. Afin d'augmenter les chances de parvenir à un accord au sein du Conseil, la proposition se concentrerait sur l'établissement d'une assiette commune, la consolidation des comptes étant reportée à une étape ultérieure.
S'agissant enfin de la taxe sur les transactions financières, les avis des différents interlocuteurs rencontrés divergent fortement sur les chances de parvenir à un accord en juin, comme le souhaite l'Autriche, qui pilote désormais les négociations. Avec le départ de l'Estonie, il ne reste plus que dix pays au sein de cette première coopération renforcée en matière fiscale, le seuil minimum étant fixé à neuf par les textes européens. La situation est donc extrêmement fragile.
Sur le fond, si de nombreux sujets restent en débat, un relatif consensus semble désormais exister sur l'assiette de la taxe. Contrairement à ce qu'espérait la place de Paris, les dérivés actions seraient inclus, alors même qu'il s'agit d'une filière d'excellence de nos banques, dont la part de marché en Europe est de 26 %. En revanche, les dérivés souverains seraient exclus, compte tenu de la forte opposition des pays du Sud - qui craignent un renchérissement de leurs coûts de financement - et de l'Allemagne, qui compte de nombreuses banques très actives sur ce segment de marché. Nous reparlerons bien évidemment de ce sujet.
J'en viens maintenant aux dossiers en cours concernant les services financiers et les banques.
Plusieurs initiatives ont été lancées ces derniers mois dans le cadre de l'union des marchés de capitaux (UMC), qui avait fait je vous le rappelle l'objet d'une résolution européenne du Sénat, instruite par notre commission, en juillet dernier. La mise en oeuvre de ce projet, porté par Jean-Claude Juncker alors qu'il était candidat à la présidence de la Commission européenne, a été confiée au commissaire Jonathan Hill, que nous avons d'ailleurs auditionné. Il vise à développer et à intégrer davantage les marchés de capitaux européens pour réduire les coûts de financement de nos entreprises ainsi que leur dépendance au financement bancaire.
À ce jour, le paquet « titrisation » constitue le premier élément clé de l'UMC. L'objectif est d'encourager le développement d'un marché des opérations de titrisation « simples, transparentes et standardisées ». L'adoption de ce paquet est un enjeu majeur pour le secteur bancaire européen, qui doit pouvoir sortir certains prêts de ses bilans pour en accorder de nouveaux sans enfreindre les obligations de fonds propres renforcées mises en place après la crise.
L'initiative de la Commission européenne comporte deux règlements. Le premier fixe les critères de la « bonne » titrisation. Le deuxième assouplit le règlement sur les exigences en fonds propres bancaires pour cette catégorie de titres. Parmi les principaux critères retenus, on notera que les créances doivent être homogènes, que le taux de sinistralité doit pouvoir être estimé avec précision et que les émetteurs doivent retenir à leur bilan au moins 5 % des prêts.
Sur le fond, le périmètre exact de la « bonne » titrisation continue d'être débattu. Les banques souhaiteraient notamment y inclure une partie de la titrisation synthétique, qui repose sur l'achat d'une assurance plutôt que sur la cession des créances comme dans la titrisation classique. L'Autorité bancaire européenne (ABE) a récemment remis des conclusions allant dans le sens d'un assouplissement sur ce point.
Sur le plan politique, un accord rapide a été trouvé au Conseil ECOFIN, qui a formalisé un mandat de négociation le 8 décembre dernier. En revanche, l'examen par le Parlement européen a été reporté. En effet, les parlementaires souhaitent lier les négociations sur le « paquet titrisation » avec celles sur la garantie européenne des dépôts.
J'en viens maintenant au deuxième élément de l'Union des marchés de capitaux. Il s'agit de la proposition de la Commission européenne, présentée en novembre 2015, visant à assouplir les règles en matière de prospectus.
Comme vous le savez, la quasi-totalité des entreprises qui souhaitent lever des fonds auprès du public en émettant des actions ou des obligations doivent fournir un prospectus aux investisseurs. L'objectif de la proposition de la Commission européenne est de simplifier les règles applicables en la matière car l'élaboration d'un prospectus représente une charge importante pour les entreprises, et notamment les PME.
Ainsi, elle propose par exemple d'alléger le prospectus spécifique aux PME et de relever de 100 à 200 millions d'euros le seuil de capitalisation boursière en-deçà duquel les entreprises peuvent avoir accès à ce régime simplifié.
Deux points font néanmoins l'objet de débats.
Premièrement, la Commission propose de relever de 100 000 à 500 000 euros le seuil à partir duquel les entreprises sont obligées de publier un prospectus.
Deuxièmement, elle propose de relever de 5 à 10 millions d'euros le seuil en dessous duquel les États membres peuvent décider de ne pas soumettre les offres nationales à un prospectus européen.
Certains États membres et parlementaires souhaitent aller plus loin en portant à 20 millions d'euros ce dernier seuil et en supprimant l'obligation de publier un prospectus au-delà de 500 000 euros. Chaque État membre serait donc libre d'imposer son propre prospectus national tant que l'offre ne dépasse pas 20 millions d'euros.
Aussi bien la France que la Commission européenne sont plutôt opposées à ces aménagements, qui risquent de conduire à une fragmentation du marché européen, à l'opposé de l'objectif initial.
La Commission européenne a par ailleurs demandé une étude plus générale sur le crowdfunding afin d'établir une radiographie précise du secteur.
En parallèle, la Commission européenne a lancé plusieurs consultations, par exemple sur les obligations garanties et le cadre réglementaire des services financiers, qui pourraient prochainement déboucher sur de nouvelles initiatives dans le cadre de l'UMC.
D'après les informations recueillies, c'est le capital-risque qui devrait rapidement faire l'objet d'une proposition formelle de la Commission européenne. L'objectif est de réviser les règlements sur les fonds européens de capital risque et les fonds d'entrepreneuriat social européens, qui imposeraient des contraintes trop importantes aux gestionnaires. La France est toutefois à juste titre particulièrement vigilante sur ce sujet compte tenu du taux de sinistralité important observé sur ces produits, qui doivent plutôt être réservés aux investisseurs professionnels. À cette fin, le montant minimum d'investissement est actuellement fixé à 100 000 euros. Certains États membres souhaitent baisser significativement ce seuil, ce qui ne semble pas à ce stade souhaitable.
En dehors de l'UMC, j'ai évoqué le report d'un an de l'entrée en vigueur de l'ensemble des articles de la directive relatif aux marchés d'instruments financiers, dite « MIF II », proposé par la Commission européenne. L'Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) avait indiqué dès le 2 octobre 2015 qu'elle ne pourrait pas mettre en oeuvre à temps les infrastructures de données indispensables pour collecter les informations que devront désormais lui fournir les différents acteurs. La France est favorable au report, qui fait consensus. Les amendements déposés au Parlement européen sont essentiellement techniques et ne remettent pas en cause l'équilibre trouvé en 2014. Il semble en revanche nécessaire de rester vigilant sur les normes techniques, dont certaines ont récemment fait l'objet de désaccords entre la Commission européenne et l'ESMA.
Pour finir, je souhaite évoquer brièvement la garantie européenne des dépôts.
Sur le plan politique, la proposition de la Commission européenne fait l'objet d'une vive opposition de la part de l'Allemagne, de la Finlande et des Pays-Bas, qui estiment que les risques au sein du secteur bancaire de certains pays ont été insuffisamment réduits pour envisager leur mutualisation. Aussi, il a été convenu que chaque réunion de négociation du Conseil sur la garantie européenne des dépôts sera suivie d'une réunion consacrée à la réduction des risques dans le secteur bancaire. L'objectif reste cependant d'arriver à un accord au Conseil ECOFIN du 12 juin.
Sur le fond, je peux vous confirmer que la proposition de la Commission européenne, si elle était adoptée en l'état, se traduirait par un surcoût important pour les banques françaises, évalué en première analyse à sept milliards d'euros par le Trésor à horizon 2024. Deux principaux facteurs expliquent ces surcoûts. Premièrement, le niveau cible de couverture proposé est de 0,8 % des dépôts couverts. Il n'est fait aucune référence à la dérogation actuelle permettant de minorer à 0,5 % ce niveau-cible, introduite à l'initiative de la France lors de la négociation de la précédente directive. Ce n'est évidemment pas le même coût ! Par ailleurs, il ne serait plus possible de verser jusqu'à 30 % des contributions sous forme d'engagements de paiement. Ce choix emporte des conséquences financières importantes pour les établissements : lorsqu'elle se fait sous la forme d'engagement de paiement, la contribution n'a pas de conséquences sur le compte de résultat de l'établissement, car elle n'est appelée en « cash » qu'en cas d'intervention du fonds. La Commission européenne estime toutefois que cette forme de contribution est incompatible avec le délai de remboursement des déposants, qui est de sept jours ouvrables.
En conclusion, je vous rappelle que, au-delà des sujets que je viens d'évoquer, notre commission devrait se saisir prochainement des sujets budgétaires et relatifs à l'union économique et monétaire, compte tenu de la réflexion que nous souhaitons mener sur la gouvernance de la zone euro et de l'examen, prévu fin avril, du programme de stabilité.
La réunion est levée à 12 h 07.