secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. - Merci de votre accueil. Je veux d'abord expliquer le titre de ce projet de loi, qui a été beaucoup débattu à l'Assemblée nationale. Il est ambitieux, certes. Pourquoi parler de République numérique ? Parce que pendant longtemps, le numérique a été considéré comme un domaine spécifique et très technique, réservé aux seuls experts ou geeks. Or c'est un sujet transversal qui touche aux enjeux économiques, sociétaux et sociaux, objets des trois titres du projet de loi. Aussi faut-il l'aborder de manière politique, tout comme l'objectif de transition écologique.
De fait, chacune des valeurs, chacun des principes qui fondent le projet républicain sont potentiellement interrogés par le numérique. Celui-ci nous offre l'occasion de les réaffirmer en apportant des réponses actualisées. C'est vrai en matière économique : innovation, transparence de l'action publique, circulation du savoir... Sur le plan social, la protection de la vie privée, des données personnelles, le droit des consommateurs ou la recherche d'un équilibre entre les particuliers et les grands acteurs économiques sont concernés. Enfin, il y a un enjeu en matière d'égalité dans l'accès au numérique, tant pour les territoires que pour les personnes en situation de handicap ou financièrement fragilisées. J'ai eu le plaisir d'apprendre que M. Sigmar Gabriel, ministre de l'économie allemand, a parlé il y a trois semaines de République numérique en présentant la stratégie numérique de l'Allemagne !
Le titre Ier est consacré à l'économie. Nous partons du postulat que la valeur ajoutée, source potentielle de croissance et de création d'emploi, réside dans l'immatériel, à savoir les données. Dans ce secteur, ce n'est pas la rareté qui fait la valeur mais l'abondance : plus des données sont produites, publiées et réutilisées, plus le potentiel de création de valeur est grand. Ainsi, l'ouverture des données d'administrations publiques comme l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) ou Météo France permet à des entreprises innovantes d'inventer de nouveaux services et de nouveaux produits. Cette économie de la donnée doit être préparée. C'est pourquoi nous posons le principe d'ouverture des données publiques par défaut, quitte à aller à rebours de la culture administrative. L'administration doit s'ouvrir à la société civile et aux entreprises, c'est une exigence démocratique et une source de développement économique.
Nous créons un service public de la donnée, qui réfléchira à l'utilisation stratégique des quantités de données produites par l'administration. Il s'agira notamment d'identifier des données de référence, comme la base Adresse nationale ou le répertoire des entreprises en France, qui devront être interopérables et réutilisables. Nous inventons la notion de données d'intérêt général, à la frontière entre public et privé, qui peuvent être source de valeur si elles sont partagées : c'est le cas, notamment, de celles auxquelles une collectivité locale perd l'accès en passant un contrat de délégation de service public ou de concession, par exemple avec une régie d'eau. Or ces données peuvent être utiles à la prise de décision publique. Dorénavant, les collectivités auront accès à ces données d'intérêt général ; elles pourront les mettre en accès public, voire les vendre.
La circulation du savoir est essentielle aux chercheurs ; s'ils veulent rester compétitifs, nos laboratoires de recherche doivent avoir accès à des données objectives et de qualité. Thomas Piketty parle par exemple des « bas revenus » en France, mais sur quelle base ? Pour un foyer, on ne peut pas croiser les fichiers des prestations sociales avec ceux de Pôle Emploi ou des retraites. Nous ouvrirons ces données à la statistique publique via le numéro d'inscription au répertoire (NIR) statistique qu'est l'identifiant de sécurité sociale. Cela aidera aussi à la décision politique, qui sera mieux informée.
Le titre II crée de nouveaux droits pour les particuliers. Il garantit qu'Internet, né dans le partage il y a quelques décennies, reste ouvert, alors qu'il est menacé de captation, soit par des régimes autoritaires soit par de grands intérêts privés. Le règlement européen sur les données personnelles est le texte qui a fait l'objet du lobbying le plus intense de l'histoire des institutions communautaires. Le présent texte fait aussi l'objet d'un lobbying soutenu, vous le savez : les intérêts économiques en jeu sont élevés. La tentation de ne rien faire est grande, car d'aucuns soutiennent que dans ce domaine nouveau, toute intervention serait nuisible et risquerait de freiner la dynamique économique. Pourtant, le Gouvernement a décidé d'agir, de manière équilibrée, pour conférer de nouveaux droits aux utilisateurs, car il n'y aura pas d'essor du numérique sans confiance.
Multiplication des cyberattaques, fuite des données personnelles, fraudes aux moyens de paiement : pour rassurer, il faut mieux protéger les données personnelles. Nous introduisons le concept de libre disposition de celles-ci, un droit à l'oubli pour les mineurs, ainsi que des mesures sur la mort numérique. Le texte crée de nouveaux droits pour les consommateurs, dont le principe de loyauté des plateformes d'intermédiation, par la transparence de l'information : les conditions générales d'utilisation devront être compréhensibles. D'aucuns voudraient aller plus loin, et prendre des mesures contre Google, Amazon ou Airbnb. Ce n'est pas l'esprit de ce projet de loi : nous souhaitons accompagner l'essor de l'économie numérique, dans un rapport de forces équilibré.
Le texte comporte aussi des mesures relatives à l'authenticité des avis en ligne. Nous introduisons en droit français le principe de neutralité d'Internet, reconnu en Europe, fin 2015, grâce à l'action de la France. Nous conférons à l'Arcep des pouvoirs d'enquête et de sanction pour le faire respecter.
Après la portabilité des numéros de téléphone, nous instaurons la portabilité des données pour les serveurs de messagerie électronique et les données résultant de l'utilisation d'un compte sur Internet : on pourra récupérer ses courriels, ses relevés bancaires, l'historique des préférences musicales ou les photos sur les réseaux sociaux. Cela développera la concurrence, en permettant à des start-ups d'entrer dans des écosystèmes assez fermés, dominés par les grandes entreprises.
Le titre III est relatif à l'accessibilité, sujet qui vous tient particulièrement à coeur. J'entends, comme vous, les attentes et les frustrations de nos concitoyens sur le niveau et la qualité de la couverture des territoires en réseau fixe et mobile. C'est le rôle du plan France Très haut débit. Ce texte vise à accélérer le déploiement du numérique : suramortissement pour les opérateurs investissant dans les réseaux, éligibilité au Fonds de compensation de la TVA (FC-TVA) pour les collectivités territoriales qui investissent, dispositions réglementaires sur le droit à la fibre : installation de cette dernière à la charge de l'opérateur sans l'accord du syndic, utilisation des servitudes de façade pour poser des lignes... Tous les moyens sont bons, et je suis preneuse de votre expertise !
Avec 3,5 milliards d'euros, le plan France Très haut débit est le plus gros chantier du quinquennat. Nous sommes à un moment crucial : les premiers travaux ont été engagés en 2012-2013, la demande est si forte que nous sommes contraints d'importer de la fibre et formons des ouvriers. Pas moins de 97 départements ont déjà déposé des demandes de subvention auprès de la mission France Très haut débit. La dynamique est lancée, les résultats commencent à être visibles. Au cours du dernier trimestre 2015, pour la première fois, le nombre de raccordement à la fibre optique a été supérieur en zone rurale, et les zones d'initiative publique ont dépassé l'investissement privé dans les zones très concurrentielles.
Pour que le réseau de téléphone fixe soit mieux entretenu, nous renforçons les contraintes pesant sur le prestataire de service universel, Orange, en reprenant la proposition de loi de M. André Chassaigne. Les conséquences d'une panne de réseau peuvent être dramatiques, notamment pour des personnes âgées isolées. Le renouvellement du cahier des charges, cette année, sera l'occasion de marquer l'équilibre indispensable entre investissements de modernisation et entretien du réseau existant.
Les personnes sourdes et malentendantes, ainsi que les personnes aveugles, demandent depuis longtemps des outils de traduction, demande à laquelle il faut donner droit. La France accuse un certain retard en matière d'accessibilité, dont nous partageons collectivement la responsabilité. Il est temps que la loi exige un certain niveau d'obligations de la part des acteurs publics, qui doivent être exemplaires, et des acteurs privés, en prévoyant des sanctions effectives. Il est peut-être inhabituel qu'un texte émanant de Bercy comporte des dispositions sociales, mais celles-ci sont très importantes pour répondre à l'objectif de République numérique.