Intervention de Axelle Lemaire

Commission des affaires économiques — Réunion du 5 avril 2016 à 17h50
République numérique — Audition de Mme Axelle Lemaire secrétaire d'état auprès du ministre de l'économie de l'industrie et du numérique chargée du numérique

Axelle Lemaire, secrétaire d'État :

Monsieur Sido, merci de votre engagement. Vous étiez aussi rapporteur, en 2004, de la LCEN, un texte très solide, précurseur, qui a créé les notions d'hébergeur, de contenu, de fournisseur de service. Ce projet de loi, que j'espère voir adopter en 2016, s'inscrit dans la continuité des grands rendez-vous qu'ont été la création de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) et de la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) en 1978, puis l'adoption de la LCEN : nous rencontrons la même difficulté d'articulation avec les instances européennes. Nous suivons une ligne de crête pour être conforme au droit européen sans nous autocensurer, en profitant des marges de manoeuvre laissées aux États membres.

Merci d'avoir salué la consultation publique. J'espère qu'elle fera jurisprudence. Il est précieux que les parlementaires ne se soient pas sentis « uberisés », désintermédiés. La consultation renforce la démocratie et la confiance dans les politiques. Nous vous transmettrons l'étude sur le résultat de la consultation. Pas moins de 80 modifications ont été apportées au texte du Gouvernement avant sa présentation au Conseil d'État et cinq nouveaux articles ont été ajoutés, sur l'e-sport, l'auto-hébergement, l'IPv6, ainsi que des évolutions sur l'open data, l'open access ou la liberté de panorama.

Vous m'avez demandé s'il était opportun de légiférer, par rapport au droit européen. Le texte du règlement européen sur les données personnelles doit faire l'objet d'un accord final le 21 avril, puis d'un vote au Parlement européen. L'harmonisation du droit sur les données personnelles ne s'appliquera aux entreprises que dans deux ans. Cette période de latence laisse le temps de s'adapter et d'agir. Jamais nous n'introduisons de dispositions contraires au règlement. En revanche, nous légiférons quand celui-ci renvoie au droit national, par exemple en matière de droit à l'oubli pour les mineurs ou de saisine en ligne de la CNIL.

La portabilité des données est un sujet délicat. Le droit européen évoque les données personnelles ; nous parlons des données des utilisateurs, c'est-à-dire des consommateurs. Les préférences musicales ou les relevés bancaires ne sont pas des données personnelles au sens du droit. On sort du champ d'application du règlement européen.

Les plateformes doivent-elles être régulées à Bruxelles ou à Paris ? Les deux. Le gouvernement français a demandé, avec le gouvernement allemand, que ce sujet soit abordé à l'échelle européenne. La Commission européenne, qui a lancé une consultation à l'automne dernier, pourra légiférer ou non. Le temps européen n'est pas le temps du numérique : le contentieux entre la Commission et Google est dans sa sixième année ! Google a eu le temps de devenir un géant, dont le modèle économique dépasse les critères actuels du droit de la concurrence. Si la Commission européenne légifère, il faudra des négociations, un vote du parlement, un accord des 28, une transposition... On y sera toujours dans quatre ou cinq ans ! Le Gouvernement a fait le choix d'avancer. La directive sur l'e-commerce laisse des marges de manoeuvre aux États en matière de droit de la consommation - c'est en tout cas la lecture que nous en faisons. Certaines entreprises diront toujours qu'elles subissent la concurrence déloyale d'entreprises étrangères, mais le droit qui s'applique est celui du pays de résidence des consommateurs et des utilisateurs.

Le seuil fixé pour la portabilité des données et la loyauté des plateformes est élevé : plusieurs millions de clics. Il ne concernera que dix à vingt entreprises. Je ne crois pas pénaliser les entreprises : quand on fluidifie le marché, on facilite l'entrée des start-ups. Les données publiques représentent un trésor pour les start-ups françaises.

Le compteur Linky est le grand projet d'ERDF pour moderniser ses infrastructures en poursuivant l'objectif de transition énergétique. Il incite le consommateur à réaliser des économies et constitue un objectif industriel. Trente millions de compteurs seront installés, pour un budget de 5 milliards d'euros. La généralisation s'effectue depuis décembre. C'est un projet à encourager, même s'il relève de la responsabilité de la ministre de l'Écologie, du Développement durable et de l'Énergie, Ségolène Royal plutôt que de la mienne. Les bénéfices de cette opération, gratuite pour le consommateur, viendront des services annexes, dans quelques années. L'enjeu est de veiller à ce que le réseau de compteurs soit ouvert et que les start-ups puissent utiliser les données anonymisées. Revenir à un compteur « bête » serait dommage quand la France a autant d'atouts en matière d'objets connectés. Je suis preneuse de vos retours de terrain, car il serait dommage que des craintes irrationnelles l'emportent.

Concernant le plan France Très haut débit, Yves Rome a raison de rappeler que nous avons hérité le choix fait en matière d'organisation territoriale, qui a été de laisser aux opérateurs privés les zones les plus rentables et de faire intervenir les pouvoirs publics dans les zones à moindre rentabilité. Le financement public se concentre là où il est le plus nécessaire, d'autant que les expériences de déploiement de réseaux locaux dans des zones très ouvertes à la concurrence n'ont guère été concluantes.

La Cour des comptes, dans un rapport très récent, estime que la France a du potentiel en matière de numérisation des services publics. Le nécessaire accompagnement passera par la médiation dans les territoires et des politiques en matière d'usage - que nous incitons les collectivités territoriales à insérer dans leurs schémas d'aménagement. C'est l'une des missions de l'Agence du numérique que de recenser les meilleurs usages : e-éducation, télémédecine, services publics en ligne... Il faut aussi revivifier le réseau de la médiation. Les espaces publics numériques souffrent de ne pas avoir été redynamisés. Il faut repenser les lieux du numérique dans les campagnes, encourager le travail collaboratif, l'accueil d'entreprises innovantes dans des espaces partagés, des modèles mi-publics, mi-privés.

Monsieur Leroy, même si ce texte sera sans doute suivi d'un autre, il énonce de grands principes - le service public de la donnée, les données d'intérêt général, l'open data par défaut - qui ont vocation à durer et à s'appliquer aux technologies, quelles qu'elles soient. Il ne s'agit pas pour autant d'abandonner la distanciation, si l'on se réfère par exemple à la nouvelle mission éthique confiée à la CNIL.

Le numérique détruit-il des emplois ? Nous sommes dans une phase de transition. Toute révolution industrielle détruit des emplois anciens et en crée de nouveaux. La révolution numérique, qui se déroule à l'échelle d'une ou deux générations, est plus violente que le passage à l'imprimerie. Il faut accompagner la transition. C'est pourquoi l'éducation et la formation tout au long de la vie sont plus importantes que jamais.

M. Macron a fait une annonce sur la blockchain. Il ne s'agit pas de rassurer faussement les acteurs économiques : si l'on se contente de protéger les intérêts corporatistes, dans dix ans, il sera trop tard. L'action du Gouvernement est d'accompagner pour mieux anticiper. Nous disons aux banques : regardez les FinTech, recentrez-vous sur l'humain, anticipez sur les innovations de demain !

Le prix de la fibre optique fait débat. Le réalisme exige que l'on accepte un mix technologique. Au départ, il fallait prôner la religion de la fibre pour l'ancrer ; il faut désormais accepter la diversité technologique pendant la transition. Le prix de la fibre constitue un vrai problème pour les PME, notamment dans les zones rurales, où elles ne peuvent payer un abonnement mensuel à plusieurs milliers d'euros. L'Arcep s'intéresse de plus près au marché interentreprises, bien moins concurrentiel que le marché des particuliers.

Les interrogations quant à la validation par Bruxelles des aides d'État du plan France Très haut débit portent sur la montée en débit des zones grises. Nous nourrissons un dialogue constructif avec la Commission européenne, même s'il faut expliquer les choix français, qui n'ont pas été repris dans les autres pays. Les services juridiques de l'Union européenne sont très regardants mais nous sommes très confiants, sinon nous n'aurions pas relancé, avec M. Macron, les réunions mensuelles d'octroi de financement à toutes les collectivités territoriales présentant des projets.

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