Intervention de Henri Cabanel

Réunion du 6 avril 2016 à 14h30
Développement d'outils de gestion de l'aléa économique en agriculture — Adoption d'une proposition de résolution

Photo de Henri CabanelHenri Cabanel, auteur de la proposition de résolution :

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis fier de présenter aujourd’hui, avec mes collègues Franck Montaugé et Didier Guillaume, cette proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture. En effet, je suis profondément convaincu qu’un marché sans règle est comme une démocratie sans loi.

De la crise porcine à la crise laitière, l’actualité agricole est riche d’exemples dramatiques, aux conséquences humaines et sociales désastreuses. Je rappelle qu’un agriculteur se suicide tous les deux jours.

La volatilité des prix est aujourd’hui le principal défi de l’agriculture. Ce phénomène, en augmentation ces dernières années, a un effet déstabilisant et déstructurant tant sur le secteur agricole que sur les autres maillons de la filière agroalimentaire. Dans un marché mondialisé, il faut donc construire une stratégie à l’échelle européenne.

La crise actuelle, qui est une crise structurelle de l’agriculture européenne, et non pas une crise localisée, une crise nationale, une crise française, comme cela avait d’abord été dit, appelle de nouvelles solutions. Faut-il souligner qu’il y a quelques jours près d’un millier d’agriculteurs britanniques ont manifesté dans les rues de Londres, avec moutons, vaches et veaux, contre la baisse du prix du lait et pour la promotion des produits britanniques ?

L’agriculture est au carrefour d’enjeux multiples, qui sont même de nature vitale pour un pays comme le nôtre : enjeux économiques et sociaux d’abord – l’agriculture fournit 5, 6 % des emplois et représente 3, 6 % du PIB de la France –, enjeux sanitaires et environnementaux ensuite.

L’ancrage territorial de l’alimentation est l’un des vecteurs du développement durable. L’agriculture participe à l’aménagement de notre territoire, à la préservation et au développement d’une alimentation de qualité ou encore au maintien d’une activité économique dans nos territoires ruraux. Alors que l’agriculture est en décroissance continue, émergent également des enjeux d’indépendance alimentaire à l’échelon européen, comme le soulignent de nombreux professionnels.

En France, de multiples mesures ponctuelles ont été prises afin de faire face à la crise que connaît notre agriculture.

Par ailleurs, la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014 a apporté sa part de réponse en engageant notre agriculture dans l’agroécologie, en encourageant la mutualisation et le travail collectif – transparence des groupements agricoles d’exploitation en commun, les GAEC, ou création des groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE – et en renforçant par là même sa compétitivité.

Des dispositifs ont été développés en matière de gestion des risques climatiques et sanitaires.

Dans le domaine sanitaire, l’État est régulièrement amené à prendre des mesures pour se prémunir des risques. Le Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental, créé en 2013 et financé par les agriculteurs, l’État et l’Union européenne, indemnise les agriculteurs des pertes subies lors des crises sanitaires ou des accidents environnementaux. Cet exemple français intéresse d’autres pays européens, qui souhaitent s’engager dans cette voie.

Dans le domaine climatique, quelque 65 % de la prime des agriculteurs souscrivant une assurance récolte sont subventionnés. Ce système doit être généralisé grâce au contrat socle mis en place en 2015. Toutefois, le taux de pénétration reste faible : en 2015, seuls 32 % des exploitations de grandes cultures et 20 % des vignes étaient couvertes contre le risque climatique. L’objectif est une montée en puissance d’ici à 2020.

La dotation pour aléas, la DPA, qui permet aux exploitants agricoles de provisionner des fonds en prévision d’éventuelles crises, a été renforcée par le Gouvernement, mais elle nécessite encore des améliorations, notamment par filière et par exploitation.

Enfin, le Fonds national de gestion des risques en agriculture, le FNGRA, vient essentiellement compenser les risques liés aux catastrophes naturelles et les pertes de fonds qui en découlent.

Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas de ceux qui pensent que l’État doit se désengager. Tout au contraire, nous militons en faveur d’une intervention raisonnée de la puissance publique, à rebours du libéralisme non maîtrisé des politiques agricoles européennes actuelles.

La crise porcine de l’été dernier, provoquée en partie par l’embargo russe, en partie par l’impossibilité d’établir une cotation entre les plus gros acheteurs de porcs et les éleveurs, a démontré l’inélasticité prix de l’offre à court terme. Il en résulte une impossibilité de fournir sur le long terme une rémunération stable et suffisante des ressources engagées dans la production.

Quand les prix sont élevés, les producteurs investissent et produisent plus, jusqu’au jour où les prix baissent. Les producteurs doivent alors continuer de produire pour rembourser leurs investissements, quitte à subir la sous-rémunération de leur travail.

Le 14 mars dernier, le commissaire européen à l’agriculture a dû se rendre à l’évidence : la concurrence n’est pertinente que dans la mesure où elle fait l’objet d’une régulation étatique. Phil Hogan a ainsi dû acter pour la première fois le déclenchement de l’article 222 permettant aux opérateurs de déroger au droit de la concurrence pour limiter temporairement la production.

S’agissant des mécanismes d’intervention, la Commission a décidé de doubler les plafonds d’intervention pour la poudre de lait et le beurre et de remettre en place des mesures de stockage privé pour le porc.

D’autres outils peuvent être déclenchés. Toutefois, sont-ils adaptés à la situation ? La question de l’aléa économique reste entière. Il existe peu de moyens de sécuriser réellement le revenu des agriculteurs.

Alors que le défi de l’agriculture européenne dans une économie mondialisée, soumise à la concurrence des pays à faibles coûts de production, est celui de la volatilité des prix, nous proposons par cette résolution de faire de la gestion de l’aléa des risques économiques la priorité des négociations qui vont commencer sur la PAC 2020.

Il s’agit de faire le bilan de la politique agricole commune dans l’Union européenne et de ses effets par rapport aux moyens qui y sont consacrés. Il faut s’inspirer des autres puissances agricoles ayant mis en place des outils efficaces pour protéger leurs agriculteurs. En termes d’évolution des soutiens publics entre 2008 et 2015, l’Union européenne est la seule à avoir baissé son soutien, quand la Chine l’a augmenté de 145 %, le Brésil de 44 % et les États-Unis de 39 %.

Nous sommes champions pour la part des paiements découplés, qui s’élève à 61 %, alors que la Chine ne consacre à ces paiements que 18 %, les États-Unis 1 %, et qu’il n’y en a pas au Brésil ni au Canada.

Nous ne pouvons que constater qu’il n’y a pas de stratégie à long terme de l’Europe pour la sécurité alimentaire, la préservation des terres agricoles, la stabilisation des revenus, de l’investissement et de la compétitivité.

Il s’agit donc de mettre en œuvre des mesures pérennes, qui ne peuvent être déclenchées qu’à l’échelle européenne. La France doit porter cette volonté devant l’Union européenne, afin de la rendre commune. Nous estimons donc nécessaire que l’Union européenne s’accorde sur des instruments de mutualisation du risque économique visant à stabiliser les revenus des agriculteurs.

Vous le savez, mes chers collègues, des possibilités existent déjà. L’article 36 du règlement de 2013 donne la possibilité aux États membres de développer « un instrument de stabilisation des revenus, sous la forme de participations financières à des fonds de mutualisation, fournissant une compensation aux agriculteurs en cas de forte baisse de leurs revenus ». La France n’a, pour l’heure, pas pu le faire, pour des raisons tant budgétaires – fonds insuffisants sur le deuxième pilier – que techniques – problème d’articulation avec les autres outils d’assurance récolte.

En conséquence, nous estimons que la réforme de la PAC doit encourager une plus grande flexibilité, afin de construire un mécanisme de stabilisation des revenus au niveau européen, permettant de pallier la disparition des outils de régulation et se fondant sur le principe fondamental de la solidarité professionnelle.

Aucun instrument de gestion des risques ne peut répondre à lui seul à la variété des situations. Une combinaison d’outils est nécessaire en fonction de la nature et de l’ampleur des risques, des productions et des filières concernées, ainsi que des objectifs des agriculteurs et des pouvoirs publics.

Il faut être innovant et supprimer les contraintes qui pèsent sur les tests de terrain. La France peut être un pays précurseur en ce domaine. Il faut créer des réseaux de collaboration au niveau européen sur la recherche et, enfin, réfléchir à la création d’une agence européenne de gestion des risques, avec des objectifs, ainsi que des moyens pour définir des stratégies.

La prochaine réunion du comité de l’agriculture de l’OCDE se déroulera demain et vendredi à Paris. La France copréside avec les États-Unis cet événement, et cela en présence du commissaire européen à l’agriculture. À cette occasion, il serait judicieux que la France porte cette proposition auprès de ses partenaires européens, engageant ainsi les réflexions autour de la future PAC post-2020. Cette dernière doit accorder davantage de place à la gestion des risques en agriculture.

Nous le savons bien, les négociations s’annoncent très difficiles, mais elles indispensables. Elles s’annoncent longues, c’est pourquoi il faut les entamer de suite, pour espérer qu’elles portent leurs fruits pour la construction de la prochaine PAC.

Monsieur le ministre, nous connaissons l’image de la France dans le monde, nous connaissons la place et la qualité de notre agriculture, nous connaissons votre détermination et votre force de persuasion. Vous pourrez, je l’espère, vous appuyer sur la volonté du Parlement pour réussir ce défi majeur.

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