Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d’abord me féliciter, comme chaque fois d’ailleurs, du débat qui nous réunit.
Si certains peuvent penser qu’il s’agit de débats très politiciens, au fond, quand on en arrive à la conclusion, on constate, comme la dernière intervention vient de le montrer, qu’il y a des choses qui avancent : il y en a qui font consensus, d’autres qui font dissensus, mais cela fait partie du débat démocratique.
Je crois que le Sénat a, sur la question agricole, des choses à dire, et cette proposition de résolution s’inscrit dans un calendrier assez précis. Tom Vilsack, le secrétaire d’État à l’agriculture américain, vient ainsi à Paris et coprésidera demain avec moi la réunion ministérielle de l’OCDE, qui va réunir à peu près vingt-cinq ministres de pays appartenant à cette organisation, ce qui est important en termes de participation.
Ensuite, il y aura au mois de mai prochain, à Amsterdam, un conseil informel où sera évoqué l’avenir de la politique agricole commune, qui comprendra sûrement deux étapes : l’avenir immédiat, c'est-à-dire l’évaluation à mi-parcours, en 2017, et l’avenir d’une nouvelle politique agricole commune, pour 2020.
Les sujets qui vous ont beaucoup occupés dans vos interventions et qui vous préoccupent sont, bien sûr, liés à la crise que traverse l’agriculture, en particulier l’élevage français, mais aussi européen. Cela a été rappelé, il y a eu des manifestations même en Grande-Bretagne. Et j’ajouterai : même en Finlande, où entre 500 et 1 000 agriculteurs ont manifesté avec leur tracteur, ce qui était du jamais vu ! C’est bien la preuve que le problème se pose à l’échelle européenne.
Je l’avais dit lors du conseil des ministres extraordinaire qui s’est tenu au début de l’année et répété lors de celui du 14 mars dernier, on ne peut pas faire comme s’il n’y avait pas un problème de surproduction à l’échelle européenne, en particulier pour le lait.
J’ai déjà dû l’indiquer devant le Sénat : nous en étions à plus de 52 000 tonnes de poudre de lait stockée au mois de février, alors qu’on en avait stocké 40 000 tonnes sur toute l’année 2015. Au début de ce mois, et c’est la preuve d'une surproduction, on a atteint le plafond d’intervention, soit 109 000 tonnes. D’ores et déjà est donc stocké en poudre de lait l’équivalent du plafond. C'est dire à quelle vitesse vont les choses !
Or ceux qui refusent de discuter d’un minimum d’organisation de la stabilisation de la production sont souvent les mêmes qui ont recours à l’intervention. On ne peut pas et augmenter sa production et ne pas vouloir de régulation, et aller solliciter l’intervention publique. C’est là un sujet que je vais rappeler, et je suis très heureux que le Parlement européen ait décidé d’organiser le 20 mai prochain la réunion que nous avions demandée. J’ai eu une discussion hier avec l’interprofession laitière pour qu’une position française puisse être dégagée et défendue.
Tout cela doit être l’occasion de pousser dans le sens que nous souhaitons, c'est-à-dire faire en sorte qu’il y ait une responsabilité européenne par rapport à la crise que nous traversons et que nous ne soyons pas en concurrence les uns avec les autres, les uns contre les autres.
L’un de vous a évoqué les délocalisations de production. Il y a en a plus aujourd'hui au sein même d’un pays comme la France, par exemple, avec la fin des quotas laitiers – on voit bien qu’il y a des risques très importants de transferts de production laitière de régions françaises vers d’autres – qu’à l’échelle européenne où, au contraire, sauf dans quelques pays, on est en train d’augmenter la production.
De ce côté, la France est parfaitement respectueuse des engagements pris en 2008 sur une augmentation, certes, mais une augmentation acceptée et acceptable de la production laitière, qui s'est accrue de 1, 5 % à 2 % l’an dernier. On va dépasser les 24 milliards ou 25 milliards de litres, mais, dans d’autres pays – je pense notamment à l’Allemagne –, cela fait cinq ou six ans que l’on est à des niveaux d’augmentation de la production de 2, 5 %, 3 % ou 3, 5 %. L’Irlande est même passée au-dessus des 6 %. Ces augmentations se cumulent et rendent plus que jamais nécessaires des décisions de régulation.
Cependant, au-delà de ces éléments, le débat d’aujourd'hui porte sur un autre sujet, qui est un sujet de fond.
Il y a un budget de développement agricole et rural de la politique agricole commune. Si je prends l’exemple de la France, les aides qui sont versées dans le premier pilier et dans le deuxième pilier avoisinent 8, 5 milliards d’euros. Elles comprennent des aides à l’hectare, des aides couplées, des aides de compensation des handicaps naturels, etc.
Ces 8, 5 milliards d’euros constituent en quelque sorte un forfait versé tous les ans, quel que soit le niveau des prix du marché, donc de la rémunération que les agriculteurs peuvent attendre de la vente de leurs produits.
Dans la logique des aides découplées, dont il a été rappelé que c’était une spécificité européenne, l’idée au début de la réforme de la PAC était d’ailleurs de verser la même aide à l’hectare partout, de manière forfaitaire et équivalente, et de laisser les agriculteurs choisir, en fonction des opportunités de marché, leurs productions sur les hectares aidés. C’est cela la stratégie du découplage, ce qui peut entraîner des effets de bascule et de balancier d’une production à l’autre. Ainsi, au moment où j’ai pris mes fonctions, du fait des difficultés de l’élevage, une partie des éleveurs a « basculé » du côté de la production céréalière et végétale. Cela a donc existé.
Au moment de la réforme de la politique agricole commune, je n’ai pas souhaité accepter la logique du découplage à 100 % sur toutes les aides, et c’est pourquoi je me suis battu pour des aides couplées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez justement rappelé que, aux États-Unis, il reste des aides couplées. Qu’est-ce qu’une aide couplée ? C’est une aide qui est destinée à soutenir une production de manière spécifique. En revanche, quand vous êtes à l’aide forfaitaire à l’hectare, on vous aide et on vous demande des contreparties environnementales, mais, pour ce qui est de la production, c’est le marché qui décide.
Le débat entre aides découplées et aides couplées est donc déjà un débat de fond, qui rejoint la préoccupation qui est la vôtre : entre le libéralisme, qui voudrait que l’on aille vers 100 % d’aides découplées, et l’idée que la politique agricole commune doit garder des objectifs de choix de production, vous avez là une partie de l’explication et de ce qui se joue à l’échelle européenne.