Comment amorcer le processus ? Pour que ce système fonctionne, il faut qu’il ait une base très large, c’est-à-dire le maximum d’agriculteurs – d’où le débat sur l’obligation d’assurance – pour que le coût de l’assurance soit le plus faible possible. Comme on commence avec une base étroite, le coût de l’assurance est élevé ; comme le coût est élevé, on ne peut pas élargir la base, donc le système est bloqué. C’est pourquoi nous avons mis en place le système du « contrat-socle » d’assurance, et essayé, au travers de l’aide publique, d’amorcer le processus en l’étendant des productions végétales, aux productions animales – fourrages, en particulier – et aux productions viticoles. Avec ce « contrat-socle », nous avons donc commencé à mettre en place un système qui va permettre aux agriculteurs de s’assurer grâce à la mutualisation.
Ce dernier point est important. En effet, c’est ce qui nous différencie du système américain. Quelle est la différence entre l’assurance et la mutualisation ?
Dans le système assurantiel, le coût de l’assurance est assumé à titre individuel et la prestation est versée à titre individuel : chacun assume sa part de risque. Le système assurantiel couvre le risque de manière collective, mais chaque assuré paie sa propre assurance.
Dans le système mutualiste, on cherche à amortir le coût individuel par la mutualisation du risque global encouru par l’ensemble des contributeurs à la mutuelle. C’est très intéressant !
Si, comme l’a dit M. Lasserre voilà quelques instants, vous organisez au Sénat des rencontres avec des assureurs et des mutualistes, n’oubliez jamais d’engager un débat de fond sur ces questions.
À partir de là, si nous sommes d’accord sur le constat, à savoir l’existence de plusieurs risques – sanitaire, climatique, économique –, le besoin de mettre en place des mécanismes contracycliques qui peuvent servir d’amortisseur pour éviter que les agriculteurs ne soient entraînés dans des crises majeures qui remettent en cause la pérennité même de leur activité, il faut pouvoir amorcer ce système. C’est là que l’Europe intervient.
En effet, si on veut mettre en place des systèmes suffisamment efficaces qui permettent de couvrir ces risques, on n’y parviendra pas uniquement grâce à un financement de l’État ou grâce à un système assurantiel individuel, mais en dégageant une partie des versements forfaitaires du budget de l’Union européenne dans les périodes où ça va bien pour constituer une forme d’épargne de précaution au service des agriculteurs afin de couvrir ces risques et cette volatilité des marchés. Tel est en tout cas l’état d’esprit dans lequel je vais présenter mes perspectives pour la politique agricole commune.
Au fond, la future PAC doit viser quatre objectifs.
Premièrement, il faut préserver le budget de la PAC et ne pas laisser gagner ceux qui, dans une bataille budgétaire à l’échelle européenne, veulent le réduire. Nous devons donc faire preuve de vigilance sur la question budgétaire.
Deuxièmement, il faut garder l’équilibre entre le découplage et le couplage des aides. On en revient à ce qui a déjà été dit : si nous lâchons sur le couplage des aides, nous irons vers un système où les aides de la politique agricole commune, au-delà même des filets de sécurité mis en place pour réguler, encourageront l’adaptation des productions au marché au détriment du choix de maintenir certaines productions.
Troisièmement, il ne faut pas oublier la compensation des handicaps. En effet, si la politique agricole commune a un sens, c’est bien de permettre le maintien d’une activité agricole là où la nature fait que cette activité n’est pas économiquement viable. La compensation des handicaps est une justification très importante du maintien et de la pérennité d’une politique agricole à l’échelle européenne, parce que certaines zones connaissent des handicaps, en France – nous en connaissons tous –, mais aussi dans d’autres pays. Pour moi, je ne vous l’ai encore jamais dit, mais je vous le dis aujourd’hui, la compensation des handicaps devrait être le premier pilier d’une politique publique agricole…