Intervention de Audrey Azoulay

Réunion du 6 avril 2016 à 14h30
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Audrey Azoulay, ministre de la culture et de la communication :

Madame la présidente, madame la présidente et rapporteur de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur pour avis de la commission des lois, mesdames, messieurs les sénateurs, après nos échanges fructueux sur le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, en février, je suis heureuse d’être à nouveau avec vous au Sénat pour travailler à cette proposition de loi en faveur de la liberté et l’indépendance des médias.

Permettez-moi de saisir cette occasion pour nous féliciter globalement du large succès des opérations de passage à la TNT haute définition hier, succès rendu possible par l’excellent travail législatif coproduit par l’Assemblée nationale et le Sénat, grâce notamment à Patrick Bloche et à votre rapporteur, Catherine Morin-Desailly, que je veux saluer, au même titre que le Conseil supérieur de l’audiovisuel et l’Agence nationale des fréquences, qui ont mené un travail intense de mise en œuvre.

Je reviens aux propositions de loi que vous examinez aujourd’hui. La liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias sont des objectifs vers lesquels nous ne devons pas cesser de tendre, et c’est au législateur qu’il incombe de protéger ces valeurs. Nous y sommes tous ici attachés, je le sais.

L’actualité de ces derniers jours nous donne une éclatante illustration du service que les médias rendent à la société : ils peuvent contribuer de façon majeure, par leur capacité d’investigation et leur poids dans le débat public, au bon fonctionnement de notre démocratie.

Je ne doute pas que le projet de loi, la proposition de loi, veux-je dire, sur l’indépendance des médias, dont je veux sincèrement remercier les auteurs et les rapporteurs, avec qui mon ministère a pu mener, je crois, un travail fécond, contribuera à garantir leur indépendance et à protéger cette liberté.

Lors de l’examen de cette proposition de loi à l’Assemblée nationale, j’ai tenu à ce que plusieurs amendements soient adoptés. Le premier restreint la mise en place des comités d’indépendance de l’article 7 aux radios généralistes à vocation nationale, compte tenu du nombre de radios locales, trop important pour envisager leur généralisation.

J’ai également fait adopter un nouvel article 9 bis pour interdire la vente d’une chaîne de télévision dans un délai de cinq ans suivant la délivrance de l’autorisation par le CSA. Cette disposition vise à protéger le domaine public hertzien du jeu spéculatif.

Enfin, j’ai présenté à l’Assemblée nationale un amendement fondamental, me semble-t-il, relatif au renforcement de la protection du secret des sources des journalistes et des collaborateurs de rédaction. Je reviendrai plus loin sur cette mesure forte en faveur, elle aussi, de la liberté de la presse, et qui s’intégrait donc parfaitement dans cette proposition de loi.

Mesdames, messieurs les sénateurs, à votre tour, vous vous êtes saisis de ce texte. Sous votre autorité bienveillante, madame la présidente, chère Catherine Morin-Desailly, la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a travaillé à y imprimer sa marque.

J’ai suivi avec beaucoup d’intérêt vos débats en commission et je me réjouis des points d’accord que vos travaux ont permis d’atteindre. Nous les évoquerons en détail dans le cours de nos échanges.

Je voudrais tout d’abord souligner deux points, qui correspondent à autant de lignes de force de ce texte.

Premièrement, j’évoquerai la protection de la liberté éditoriale des journalistes.

L’article 1er permet d’étendre à tous les journalistes, quels que soient les médias dans lesquels ils travaillent, une protection, qui, depuis son introduction en 2009 dans la loi de 1986 sur l’audiovisuel, protégeait les journalistes de l’audiovisuel public. Certes, elle était en vigueur bien avant cette date, mais seulement dans le droit conventionnel.

Avec votre proposition de rédaction de l’article 1er, vous entendez concilier la garantie des droits des journalistes avec l’obligation faite aux entreprises de presse de se doter d’une charte de déontologie, laquelle doit être respectueuse de la ligne éditoriale définie par la direction de chaque titre, mais qui aura d’autant plus de force qu’elle aura été élaborée par l’équipe dirigeante et les journalistes.

Cette rédaction va être débattue et peut-être enrichie pour tenir compte des équilibres trouvés à l’Assemblée nationale.

La charte de déontologie, je le souligne, peut également contribuer à renforcer la confiance des lecteurs, des téléspectateurs et des auditeurs envers les organismes de presse.

Deuxièmement, j’aborderai la création de comités relatifs à l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes, comités que j’appellerai, par souci de simplicité, « les comités indépendance ».

Sans porter atteinte à la liberté éditoriale des éditeurs de télévision et de radio, non plus qu’à la responsabilité du directeur de la publication, ces comités doivent permettre de traiter d’une manière transparente et concertée toute menace sur l’indépendance d’un média qui serait portée à leur connaissance. Vos travaux ont restreint les modalités de saisine, que vous avez jugées trop ouvertes, de ces comités.

Ce texte permettra aussi à certaines personnes bien définies de les consulter – je pense aux médiateurs, là où ils existent – afin de garantir à nos concitoyens la défense de l’intérêt général.

Par ailleurs, votre proposition permet de préciser le rôle du CSA et les règles de mise en place des « comités indépendance », pour que chacun soit bien dans son rôle et qu’il n’y ait pas de confusion.

Mesdames, messieurs les sénateurs, en conclusion, je voudrais enfin évoquer l’amélioration des garanties apportées au secret des sources des journalistes. Il s’agit d’un enjeu démocratique majeur.

Vous connaissez ma détermination à ce que cette loi, avec ce point en particulier, soit adoptée, conformément à un engagement que le Président de la République, alors candidat, avait pris.

Il nous appartient tous ensemble de trouver le point d’équilibre le plus juste entre la sécurité que nous devons garantir aux journalistes dans leur travail d’investigation, indispensable à la démocratie, et la possibilité encadrée d’enquêter dans des cas précis où cela s’avère nécessaire pour la sécurité de nos concitoyens.

En adoptant l’amendement gouvernemental que j’ai eu l’honneur de porter, l’Assemblée nationale a défini, je le crois, les contours d’un bon équilibre.

Les insuffisances de la législation existante ont été corrigées pour permettre à la presse d’investigation de faire son travail sans risquer de mettre ses sources en difficulté. L’enquête menée par les plus grandes rédactions mondiales sur l’évasion fiscale au Panama – les Panama papers – illustre, s’il en était besoin, la pertinence, l’actualité et la nécessité de cette loi.

Permettez-moi de rappeler quelques-unes des avancées majeures du texte.

Tout d’abord, l’obligation faite aux enquêteurs d’obtenir l’autorisation préalable du juge de la liberté et de la détention avant toute action pouvant porter atteinte au secret des sources. Ce contrôle s’effectuait a posteriori, et non a priori, aux termes de la loi de 2010.

Citons également l’extension de la protection du secret des sources à tous les collaborateurs de la rédaction, au directeur de la publication, bref à toute la chaîne de recherche de l’information, là où la loi de 2010 visait uniquement le journaliste.

Je veux encore citer l’interdiction de condamner un journaliste pour le délit de recel d’une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction, d’une violation du secret professionnel ou d’une atteinte à la vie privée.

Madame la présidente de la commission de la culture, vous avez souhaité déléguer le travail parlementaire sur cette partie du texte à la commission des lois du Sénat. Celle-ci a fait le choix de ne pas retenir la plus grande partie de ces avancées et de revenir aux principales dispositions de la loi de 2010.

Je le regrette et souhaite que nos travaux en séance publique permettent de revenir à des mesures que je crois bonnes pour notre démocratie. J’espère avoir votre soutien sur ce point.

Voilà, chère Catherine Morin-Desailly, cher David Assouline, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes que je voulais réaffirmer devant vous au sujet de cette loi que je vous proposerai d’adopter.

Garantir l’indépendance des médias, protéger leurs sources, c’est construire une démocratie moderne, solide sur ses bases et capable d’affronter le monde d’aujourd’hui.

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