Intervention de Sylvie Robert

Réunion du 6 avril 2016 à 14h30
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Sylvie RobertSylvie Robert :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, quelle urgence y a-t-il à légiférer pour renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias ? Je dirai qu’il existe deux types de menaces pressantes : l’une interne au système médiatique, qui a déjà été amplement évoquée, l’autre externe, mais qui lui est intimement corrélée.

Oui, la presse et l’audiovisuel font face à un phénomène de concentration qui oblige à une attention accrue – ce même phénomène est d’ailleurs à l’œuvre dans beaucoup de secteurs économiques, comme le rappellent les débats sur le projet de loi relatif à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine, autour de la concentration horizontale et verticale dans la musique, par exemple, qui révèlent des tendances en développement.

En vue de réguler l’industrie des médias, les deux lois fondatrices de 1986 portant réforme du régime juridique de la presse et relative à la liberté de communication ont instauré des dispositifs de limitation des opérations de concentration. Pour autant, le défi posé par la compétition internationale exacerbée et la globalisation des marchés incite les grands groupes médiatiques à consolider leur position en diversifiant leur portefeuille. Il s’ensuit que depuis plusieurs années ce phénomène de concentration s’accentue dangereusement et qu’il nécessite, en conséquence, d’être régulé.

Le risque, qui s’est révélé réel, est bien sûr d’aboutir à une confusion entre les intérêts économiques des groupes détenteurs des organes de presse ou des chaînes audiovisuelles et la manière de traiter et d’analyser l’information. Quand cette déviance devient manifeste, elle ébranle la confiance des citoyens dans les médias – seuls 39 % leur font confiance aujourd’hui – et porte préjudice à la probité journalistique légitimement attendue.

Sans revenir sur les polémiques nées de la décision de ne pas diffuser tel programme ou tel reportage, il se révélait donc urgent de prendre les dispositions en vue d’aller plus avant dans la « séparation des pouvoirs » entre les actionnaires-éditeurs et les journalistes, et dans la non-ingérence – directe ou indirecte – des premiers dans la ligne éditoriale fixée par les seconds.

En somme, il est question de cloisonner ce qui relève de la gestion économique et financière du groupe, intérêt par essence privé, et ce qui a trait à l’information du public, intérêt éminemment général impliquant indépendance et pluralisme.

Pour ce faire, ces propositions de loi visent à conforter et à étayer des droits, notamment en étendant le droit d’opposition reconnu, en l’état, uniquement aux journalistes de l’audiovisuel public et en consacrant le droit à la protection du secret des sources. Sur ces deux points, le groupe socialiste et républicain proposera de rétablir le texte issu de l’Assemblée nationale.

Il s’agit bien de sécuriser la profession journalistique, car malgré leurs droits et la liberté théorique dont ils jouissent et qui s’exerce dans le respect de la ligne éditoriale, les journalistes peuvent se restreindre.

À l’instar d’artistes qui, parfois – et malheureusement trop souvent en ce moment –, s’empêchent d’aller jusqu’au bout de leur imaginaire, les journalistes ne sont pas à l’abri de l’autocensure, mal qui fragilise toute démocratie. Conscients, voire victimes des pressions économiques qui pèsent sur leur groupe, ils peuvent, on l’a vu, éviter certains sujets ou même s’interdire de les traiter de façon critique.

De cet engrenage, il résulte, a minima, la perte d’une grille de lecture d’un événement et, au pire, une perte sèche d’information. Quoi qu’il en soit, l’autocensure journalistique, qui peut être causée par un manque d’indépendance des rédactions, nuit au pluralisme et engendre une privation d’information pour le public, si bien qu’elle s’apparente à une défaite de la démocratie.

Par conséquent, faciliter l’exercice du métier de journaliste et lui apporter la sérénité nécessaire constitue une exigence démocratique. Milan Kundera, dans L’Immortalité, écrivait que « le pouvoir du journaliste ne se fonde pas sur le droit de poser une question, mais sur celui d’exiger une réponse » ; ce droit « d’exiger une réponse » n’est autre que le droit à l’information du public, prémisse indispensable pour qu’une opinion éclairée se révèle.

Encore faut-il s’assurer que cette information soit indépendante, plurielle pour que tout un chacun puisse se forger une opinion libre. Hannah Arendt l’exprimait bien dans Vérité et politique : « La liberté d’opinion est une farce si l’information sur les faits n’est pas garantie et si ce ne sont pas les faits eux-mêmes qui font l’objet du débat. […] Sans les journalistes, nous ne nous y retrouverions jamais dans un monde en changement perpétuel et, au sens le plus littéral, nous ne saurions jamais où nous sommes. » Comme ces phrases, si percutantes, résonnent avec l’actualité et les désormais fameux « Panama papers » !

Face aux récits de façade, qui peuvent s’apparenter à des contes imaginaires, les journalistes font ressortir ce qu’il y a parfois de plus froid : les faits. Sans nécessairement chercher à faire de leur narration un roman, ils démontrent et démontent ce qui est approximatif, inexact ou mensonger.

Pour paraphraser Kundera, le pouvoir du journaliste n’est pas de déclarer la vérité ; il est d’éclaircir le trouble et de déconstruire le mensonge. Ni prophète ni juge, il est messager d’une simple part de vérité, peintre d’une réalité brute.

Investiguer, informer, expliquer : telles sont, à mon sens, les trois missions principales qui incombent aux journalistes. Cette pédagogie apparaît d’autant plus fondamentale que l’information est devenue un enjeu essentiel.

La propagation des nouvelles technologies de l’information et de la communication, ou NTIC, qui constituent selon Jeremy Rifkin la troisième révolution industrielle, démultiplie à la fois les sources, les formats et la rapidité de circulation de l’information. Les réseaux sociaux parachèvent cette géographie contemporaine des médias : ils abolissent toute frontière et amplifient l’écho des événements, jusqu’aux plus lointains.

C’est ainsi que les individus s’emparent de ces nouvelles technologies et les font évoluer perpétuellement pour leur donner un sens, par la création de mouvements spontanés ou encore de solidarités très modernes. Atouts indéniables, symboles d’une société active qui se meut, le traitement et l’analyse de l’information n’en sont pas moins complexifiés de par les NTIC.

Il s’agit d’un immense défi démocratique : face à la multiplicité d’informations disponibles et à leur volatilité, face au sentiment que nous ressentons parfois d’être perdus au milieu de cette actualité dont le bruit ne cesse jamais, comment bien informer ? Comment donner à comprendre alors que le temps de réflexion est de plus en plus comprimé ? C’est précisément ce rôle de vigie démocratique, devenu majeur, que doivent incarner les journalistes.

Ce rôle, on le sait, est déjà délicat à remplir. Il l’est toujours plus au vu de la désinformation qui sévit, en particulier sur internet. Il convient d’abord de démêler le vrai du faux puis de prouver que telle ou telle information doit être prise au sérieux. La fonction pédagogique des journalistes participe donc d’une entreprise plus globale d’éducation aux médias, qui doit notamment viser les plus jeunes. Elle est de nature à lutter contre cette désinformation qui se répand, s’enracine et porte selon moi directement atteinte aux fondements démocratiques de notre société.

Cependant, « dans une époque où ce qui est cru est plus important que ce qui est vrai », comme le déclare un artiste dans l’un de ses textes, être audible et légitime dépend autant du contenu de votre travail que de la confiance que vous inspirez.

C’est pourquoi cette proposition de loi vise à restaurer la confiance des citoyens dans les médias, en renforçant l’indépendance et le pluralisme de ceux-ci. Faire la politique de l’autruche, estimer qu’il y a nul problème, nulle urgence à légiférer, c’est tout simplement aller à l’encontre de l’intérêt démocratique et de l’intérêt général.

Dans une « société de défiance », pour reprendre le titre de l’ouvrage de Yann Algan et Pierre Cahuc, rétablir la confiance dans une institution considérée comme le quatrième pouvoir ne se décrète pas. C’est un labeur quotidien qui se mesure à l’aune des articles de presse, des émissions de radio et des programmes télévisuels.

Néanmoins, cette responsabilité n’incombe pas uniquement aux journalistes. Les obligations relatives à l’indépendance et au pluralisme, qui peuvent être intégrées, par exemple, aux conventions signées entre les éditeurs de service de télévision et le Conseil supérieur de l’audiovisuel, pourraient être développées sous l’égide des comités généralisés par l’article 7 de la présente proposition de loi ; de même, ces comités pourraient contribuer à valoriser les bonnes pratiques observées.

En somme, l’objectif est donc bien de réfléchir à l’environnement médiatique dans son ensemble et à la manière d’étendre la confiance entre tous les acteurs. Dans cette perspective, les autorités publiques ainsi que l’autorité administrative indépendante en charge de garantir la liberté de communication audiovisuelle et le pluralisme des opinions doivent aussi inspirer confiance. Cela passe par une impartialité objective, qui doit s’observer tant dans les modalités de désignation de ses membres et dans sa composition que dans la justification de ses décisions et la stabilité de sa jurisprudence.

Mes chers collègues, la réponse commune à apporter pour insuffler une confiance renouvelée dans les médias se résume en un seul mot : « indépendance », à savoir tant celle des rédactions que celle des organes chargés du contrôle de cette indépendance. Voilà la finalité que poursuit et déploie cette proposition de loi.

En fin de mon propos, je veux sincèrement remercier les auteurs de cette proposition de loi. L’auteur français Michel del Castillo a eu cette phrase éloquente : « J’ai toujours pensé que la grandeur du journaliste se mesurait par son indépendance ». L’actualité de cette semaine lui donne entièrement raison !

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