Intervention de Marie-Christine Blandin

Réunion du 6 avril 2016 à 14h30
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce n’est pas l’actualité qui confère à ce texte une quelconque urgence ; c’est plutôt la contradiction croissante entre, d’une part, l’indépendance et l’éthique de l’information et, d’autre part, le modèle économique que se donnent les médias depuis des décennies, modèle aggravé en France tant par les liens des éditeurs avec la commande publique que par la précarisation de la profession.

Il est de notre devoir de prendre en considération le risque pour la démocratie que représentent ces changements et d’y trouver des parades. Voilà pourquoi ce texte est bienvenu.

Néanmoins, les propositions peuvent manquer leur cible si elles n’installent pas les garde-fous rigoureux et nécessaires que les journalistes sont en droit d’attendre pour exercer au mieux leur mission.

Or, à cet égard, les minorations effectuées par la commission aggravent le renoncement. Les relire à l’aune du travail collectif d’investigation mené par les journalistes sur les « Panama papers » est édifiant.

La protection du secret des sources est un bien précieux qui conditionne la liberté de l’information. Elle doit être renforcée. Nous regrettons par conséquent les amendements proposés par la commission des lois. Par la réintroduction dans ce texte de la notion d’« impératif prépondérant d’intérêt public », la commission des lois entend nous ramener à la formulation floue et sujette à interprétations variables de la loi de 2010.

En supprimant la sanction de suspension des aides à la presse, notre commission se prive de la dissuasion, tant ces aides sont indispensables. Permettre de les supprimer ne fragilise pas les entreprises, mais les conduit simplement à respecter la loi.

Mme la présidente-rapporteur nous rappelle que « le “capital confiance” des Français à l’égard de leurs médias est faible ». Toutefois, en refusant de faire davantage évoluer la législation, elle ne tire pas toutes les conséquences de ce fait et risque plutôt d’aggraver le capital confiance des Français à l’égard de leurs représentants.

Quant à la suppression proposée des dispositions relatives à la protection des lanceurs d’alerte, qui ont pourtant été adoptées à l’unanimité par l’Assemblée nationale et qui s’articulaient pleinement avec la protection du secret des sources des journalistes, le moins que l’on puisse dire est que cela irait à rebours de l’histoire et de l’actualité récente. Je vous proposerai de réintroduire cet article, absolument essentiel pour que ces sentinelles sachent qu’elles peuvent alerter quand il y a fraude, transgression de la loi ou toute autre atteinte à l’intérêt général. Je remercie à cet égard le Gouvernement d’avoir anticipé ce débat en complétant le dispositif proposé.

Les écologistes sont en revanche sceptiques sur la mise en place des chartes déontologiques maison. Ainsi, chaque entreprise ou société disposerait de son propre texte. On offrirait donc la possibilité à certains titres d’être plus souples que d’autres en matière de déontologie, et aux journalistes qui y contribuent d’être plus ou moins regardants sur les conditions d’exercice de leur métier.

Alors qu’il existe de solides textes de référence, depuis l’article 34 de la Constitution jusqu’à la « charte de Munich », cette géométrie variable, dans un contexte de précarité de la profession, serait la porte ouverte au dumping éthique et à l’éclatement d’une ligne de conduite commune qui honore le journalisme.

Un autre de nos regrets a pour objet la régulation de la concentration. Aujourd’hui, en France, sept individus milliardaires disposent de 95 % de la production journalistique. Leur métier d’origine importe peu : à un certain niveau, on accroche un groupe de presse à sa boutonnière comme certains croient que la réussite à cinquante ans s’affiche par une Rolex au poignet.

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