Intervention de Mireille Jouve

Réunion du 6 avril 2016 à 14h30
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Mireille JouveMireille Jouve :

Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, en ce moment même se tient en Turquie le procès de Can Dündar et Erdem Gül, journalistes au sein du journal progressiste et laïc Cumhuriyet. Ces deux journalistes d’investigation risquent la prison à perpétuité. Pour quelle raison ? Simplement pour avoir publié une enquête sur la livraison d’armes par les services de renseignement turc à des rebelles islamistes en Syrie au début de l’année 2014.

Plus que jamais, cette affaire, qui fait grand bruit en Turquie et qui est devenue l’un des symboles de la répression de la liberté de la presse par le régime de Recep Tayyip Erdogan, doit nous rappeler l’importance de médias libres et indépendants.

C’est l’objet de la proposition de loi examinée en séance aujourd’hui que de renforcer la garantie des principes constitutionnels qui fondent une liberté et une indépendance effectives des médias.

En effet, il faut bien le dire, la confiance du public dans ses moyens d’information s’érode depuis plusieurs années. Les raisons de cette défiance sont protéiformes, ainsi que l’explique l’Observatoire de la déontologie de l’information : les journalistes, moins soucieux d’une certaine éthique, sont considérés comme « trop proches du pouvoir ou des puissances d’argent ». Le phénomène est loin d’être nouveau. Rappelons-nous Albert Camus, défenseur acharné d’une morale professionnelle pour tous les journalistes, qui militait pour « couper les liens incestueux entre notre profession et les puissances d’argent ».

De ce point de vue, l’année 2015 est venue éclairer d’une lumière nouvelle le vœu que formait l’auteur de L’Homme révolté en 1939. En effet, jamais la concentration des médias entre les mains de quelques industriels, dont les autres activités ont peu à voir avec l’information et la communication, n’avait été aussi visible et importante. De Libération au Parisien–Aujourd’hui en France en passant par L’Obs, L’Express ou BFM TV–RMC, on peut égrener les noms de médias regroupés entre les mains d’une poignée d’hommes d’affaires.

L’un de ces exemples s’est peut-être avéré plus symbolique que d’autres tant il a parlé à notre imaginaire collectif : j’ai en tête la reprise en main de la ligne éditoriale de Canal+ par Vincent Bolloré, qui s’est accompagnée de la censure de documentaires de l’émission Spécial Investigation. Les questions suscitées par ce sujet ont animé les auditions de notre commission.

Une démocratie ne peut que sortir renforcée d’une loi visant à consolider l’indépendance et le pluralisme de ses médias. En effet, si ce combat est avant tout celui des rédactions et des journalistes, il peut aussi nécessiter l’engagement de la représentation nationale.

Ce texte peut permettre de faire évoluer la législation en vigueur eu égard à certaines pratiques devenues caduques et favoriser l’émergence d’autres pratiques en rapport avec une certaine actualité.

Je pense notamment à la jurisprudence relative au délit de recel de violation du secret de l’instruction, dans les cas où l’intérêt général est en jeu : ce délit est tombé en désuétude à mesure que les tribunaux prononçaient régulièrement la relaxe des journalistes. Je pense également aux dispositions visant à élargir le statut de lanceur d’alerte en matière d’environnement et de santé publique, domaines où l’importance de leurs révélations n’est plus à démontrer.

Il est d’ailleurs regrettable que, sur ces deux points, la commission des lois comme la commission de la culture aient décidé de faire marche arrière. Voilà un bien mauvais signal envoyé, d’une part, aux journalistes d’investigation et, d’autre part, aux lanceurs d’alerte, alors même que l’actualité de ce début de semaine et les révélations qui ont suivi la publication des « Panama papers » par Le Monde confirment à quel point nous avons besoin d’eux et, par conséquent, de protéger leur statut et leurs enquêtes.

Je regrette également les reculs de notre commission sur l’article 1er. Il paraissait tout à fait légitime de généraliser à tous les journalistes le droit d’opposition, protection dont bénéficiaient jusqu’alors les seuls journalistes de l’audiovisuel public.

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