Madame la présidente, madame la ministre, madame la rapporteur, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui de la liberté, de l’indépendance et du pluralisme de la presse : qui oserait prétendre qu’il ne s’agit pas là d’une question centrale pour notre démocratie mais aussi, en ce moment, de l’un de ses maillons faibles ?
Notre démocratie ne se porte pas bien ; or les questions de la libre information, de son indépendance vis-à-vis des puissances d’argent et de son pluralisme réel, et non seulement de la pluralité des canaux d’informations, sont au cœur de cette crise démocratique.
« Donner à toutes les intelligences libres les moyens de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde » : ce principe, ce droit fondamental énoncé par Jean Jaurès dans l’éditorial du numéro fondateur de L’Humanité est-il aujourd’hui assuré à tous nos concitoyens ? Loin de là !
Nous attendions donc sur ce sujet essentiel une loi importante. Le quinquennat en cours aura au contraire été marqué par des mouvements redoublés de contrôle et de concentration dans tous les grands moyens d’information, par une précarisation croissante d’une grande part des journalistes et par une instabilité économique toujours plus grave dans un secteur à la recherche d’un nouveau modèle d’équilibre.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui constitue en quelque sorte un rattrapage de ce manquement à l’initiative législative attendue. Elle a le mérite d’avancer, enfin, sur ces terrains essentiels mais ses limites sont elles aussi avérées.
Le présent texte laisse de côté deux questions majeures.
Premièrement, il ignore la précarisation croissante du métier, sur laquelle tous les syndicats de journalistes ont tenu à insister auprès de nous. Ce phénomène menace la qualité et le libre exercice professionnel du métier de journaliste.
Deuxièmement, il ne traite pas de l’étouffement du pluralisme par la concentration financière et multimédia qui ne cesse de se renforcer. Auditionné par notre commission de la culture, le président du CSA l’a pourtant reconnu : « Les lois anti-concentration sont dépassées. »
À cet égard, nous proposerons, à travers nos amendements, des dispositions essentielles. Mais, au-delà, il faut d’urgence entreprendre un chantier législatif d’ampleur.
Je le sais, on nous opposera l’imperfection de nos amendements. Mais qui peut le plus peut le moins ! Les dispositions que nous avançons constitueraient un premier pas dans la bonne direction et une incitation à poursuivre.
Parallèlement, on nous objecte qu’en encadrant la mainmise de MM. Arnault, Bolloré, Bouygues, Dassault, Drahi, Bergé, Lagardère, Niel, Pigasse, Pinault, ou encore du Crédit mutuel, l’on risquerait d’ouvrir la porte au capital étranger anglo-saxon, et de lui donner la maîtrise de nos moyens d’information.
Permettez-nous de penser que la protection du CAC 40 ne nous apportera pas la meilleure des garanties !
À ce titre, Hubert Beuve-Méry savait faire la différence entre une « industrie de presse » et une « presse d’industrie ». C’est vers la seconde, vers ce que l’on appellerait aujourd’hui « une presse d’argent », que nous avançons aujourd’hui à grands pas. Beuve-Méry disait à son propos : « Il suffit que l’information n’aille pas porter quelque préjudice à des intérêts très matériels et très précis, ou, à l’occasion, qu’elle les serve efficacement. »
Les exemples sont, hélas ! nombreux. Il suffit pour s’en convaincre d’évoquer les exemples les plus récents, le film Merci Patron !, l’émission Les Guignols de l’info, ou encore un reportage à charge consacré au Crédit mutuel par la chaîne Canal+. À l’inverse, on peut mentionner les préventions de M. de Tavernost, de M6, lequel ne supporte pas que l’on dise du mal de ses clients à l’antenne. On le vérifie ainsi, ces problèmes sont bien là !
Dans le même temps, chacun le sait, des titres majeurs du pluralisme comme L’Humanité, Politis ou Mediapart