Intervention de Audrey Azoulay

Réunion du 6 avril 2016 à 14h30
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Audrey Azoulay, ministre :

Je reviendrai sur certains des points qui viennent d’être abordés.

Tout d’abord, l’opposition entre viabilité économique et indépendance de la presse me semble fallacieuse. À mon sens, l’une nourrit l’autre. Mesdames, messieurs les sénateurs, en restaurant, par cette proposition de loi, la confiance du public dans les médias, vous participerez au renforcement de la viabilité économique des titres de presse. Les chiffres cités par plusieurs intervenants, notamment Mme la rapporteur, montrent que c’est nécessaire.

Néanmoins, et vous l’avez évoqué, l’enjeu du partage de la valeur et du modèle économique de la presse et de l’audiovisuel constitue un véritable débat – un débat complémentaire – auquel le Gouvernement participe pleinement, notamment à Bruxelles, dans ses discussions avec la Commission européenne. On assiste depuis une quinzaine d’années, avec le développement des plateformes numériques – plusieurs d’entre vous ont souligné le rôle de ces dernières dans la distribution de l’information –, à un phénomène de monétisation de l’information par les géants du numérique, au détriment de ceux qui la produisent.

Nous avons l’impression que l’information est partout et qu’elle est gratuite. En réalité, ceux qui la produisent en tirent moins de bénéfices, ce qui entraîne une fragilisation économique de la presse dans son ensemble, alors que l’on a l’illusion d’une profusion de l’information, point qui a également été relevé, notamment par Sylvie Robert.

En renforçant les capacités d’investigation et d’approfondissement des sujets de la presse, nous renforçons le travail d’information au détriment de sa prolifération illusoire et de la fragilisation économique du secteur.

Nous aurons l’occasion de revenir à la question du secret des sources. M. Portelli a évoqué l’égalité de tous les citoyens devant la loi, pour s’étonner que les journalistes jouissent de droits spécifiques, liés à l’exercice de leur métier. Il s’agit pourtant d’un mécanisme bien connu : en témoignent le droit au secret médical, le droit des avocats au secret dans leurs rapports avec leurs clients, qui protègent la démocratie. C’est pourquoi il existe un droit spécifique à la protection du secret des sources, au service de l’intérêt général. Cet argument ne me semble donc pas devoir prospérer.

Sur la conciliation du secret des sources et des exigences de la sécurité nationale, qui a également été évoquée, la proposition du Gouvernement – largement reprise par l’Assemblée nationale – visait justement à concilier les impératifs de la sécurité publique et la nécessité de protéger les sources des journalistes.

Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez les insuffisances de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, à laquelle vous souhaitez revenir. Vous avez ainsi évoqué le recel de la violation du secret de l’instruction, auquel, à mon sens, la loi n’apporte pas une réponse satisfaisante.

Il importe en effet de préciser que le secret des sources est protégé uniquement dans le cas où ce recel a pour but l’intérêt général. L’exemple particulièrement scabreux qui a été cité ne me semble pas répondre à cette exigence. Les journalistes ne sont ni hors sol ni hors-la-loi, mais ils ont droit à une protection particulière, lorsqu’ils défendent l’intérêt général.

Sur ce sujet, j’appelle votre attention sur la notion d’impératif prépondérant d’intérêt public, que vous avez citée et qui me semble assez floue. Elle est utilisée, c’est vrai, par la Cour européenne des droits de l’homme, mais le Conseil d’État, consulté sur le texte que nous avons élaboré en 2013 et qui est resté en suspens depuis, a validé, dans la nouvelle proposition qui vous est soumise, la nécessité que soit établie une liste précise des cas où l’impératif prépondérant d’intérêt public peut être invoqué, afin de mieux les encadrer. On aura ainsi la possibilité de savoir précisément ce que cela recouvre.

Cette liste a été dressée et le Gouvernement a choisi d’inclure dans ces infractions les délits prévus par les titres I, « Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation », et II, « Du terrorisme », du livre IV du code pénal, en stricte conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et les recommandations du Conseil d'État du mois de juin 2013.

Enfin, nous vous proposerons de rétablir le statut particulier des lanceurs d’alerte – question évoquée par Mme Jouve –, réservé aux personnes qui confient aux journalistes des faits tenus secrets méritant d’être portés à la connaissance du public. Cela s’inscrit dans un mouvement d’ensemble de protection des lanceurs d’alerte, puisque le projet de loi dit « Sapin II » prévoit également de les protéger quand cela concerne des matières financières. Cela me semble parfaitement utile à nos démocraties et nous savons qu’un certain nombre de pays ont pris des dispositions en ce sens.

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