Intervention de Patrick Chaize

Commission de l'aménagement du territoire et du développement durable — Réunion du 5 avril 2016 : 1ère réunion
République numérique — Examen du rapport pour avis et des amendements sur les articles délégués au fond

Photo de Patrick ChaizePatrick Chaize, rapporteur pour avis :

Dans la société de l'information, l'utilisation du numérique est devenue une composante essentielle de la vie individuelle et collective, dont l'importance ne peut que croître. En abolissant les distances géographiques, les technologies numériques créent des opportunités de développement formidables pour nos territoires et permettent un renouvellement profond des politiques publiques locales et nationales. Mais cela suppose un accès de qualité aux réseaux, sans quoi le numérique devient au contraire un problème supplémentaire pour les habitants, en particulier en zone rurale. L'aménagement numérique du territoire doit garantir qu'il soit un outil au service de l'égalité des territoires et non la source de nouvelles fractures, qu'il s'agisse du réseau fixe ou mobile. À cette fin, l'intervention publique doit souvent compenser, compléter ou corriger l'initiative privée, afin d'assurer une couverture homogène de tous les territoires malgré les différences de densité.

Je m'inscris dans la continuité directe du rapport sur la couverture numérique du territoire, adopté en novembre 2015 par notre commission dans le cadre d'un groupe de travail spécifique, dont j'avais eu l'honneur d'être co-rapporteur avec le président de notre commission. Ayant observé une progression globale du très haut débit fixe - avec des écarts significatifs entre les territoires - nous avions fait part de notre inquiétude sur le respect des engagements de déploiement des opérateurs privés, le financement des réseaux construits par les collectivités territoriales et l'arrivée des opérateurs privés sur ces réseaux publics pour fournir des services aux utilisateurs. Nous regrettions la persistance de communes non couvertes par les réseaux de deuxième génération de téléphonie mobile, le nombre important de territoires dépourvus de couverture 3G, et le risque élevé de manquement de certains opérateurs à leurs obligations de couverture en matière de 4G.

Deux priorités ont, dans ce contexte, guidé mon travail sur le projet de loi : l'accélération du déploiement des réseaux fixes pour le très haut débit et le renforcement de la couverture mobile. Mes amendements poursuivent le même but : apporter les réseaux de communications électroniques les plus modernes à nos concitoyens, le plus vite possible, quel que soit leur lieu de vie.

Avec cinq articles seulement, l'aménagement numérique du territoire était le parent pauvre du texte initial ; le texte transmis par l'Assemblée nationale en comporte désormais treize. Je me félicite que certaines de nos recommandations aient été intégrées, comme les syndicats de syndicats, le renforcement du calendrier du dispositif de zone fibrée, la facilitation du déploiement de la fibre optique dans les immeubles et sur les infrastructures existantes, la diffusion en open data des cartes de couverture ou encore le recensement des zones blanches.

Notre commission s'est saisie de 14 des 99 articles du texte : 8 sont examinés pour avis et 6 au fond, dans le cadre d'une délégation de la commission des lois. L'article 4 bis - différent des autres articles que nous examinons - prévoit que le cahier des charges des éco-organismes comporte des dispositions encourageant l'ouverture des données relatives aux déchets. Il reprend un ajout du Sénat en première lecture à la loi sur la croissance et l'activité, censuré par le Conseil constitutionnel comme cavalier législatif. Je ne vous proposerai pas d'amendement sur cette disposition, qui me semble équilibrée et permettra d'élaborer pour chaque filière des dispositions proportionnées en matière d'open data.

L'article 35 inscrit dans le code des postes et des communications électroniques l'existence des stratégies de développement des usages et services numériques ou SDUS(N), comme volets des schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique. Je suis favorable à une planification des usages et des services cohérente avec celle déjà mise en place pour les réseaux. Il est essentiel que les collectivités territoriales s'emparent de ces sujets stratégiques pour la vie locale de demain dans bien des domaines comme l'e-santé, l'accès à la culture, le tourisme, le développement économique, l'administration électronique, ou encore la gestion de l'énergie... Je vous proposerai qu'un document de cadrage soit élaboré au niveau national, présentant des orientations stratégiques et un guide méthodologique pour les stratégies territoriales. Je vous proposerai également un amendement de suppression du dernier alinéa de l'article 35, qui entraîne une confusion entre infrastructures et usages, et nuit à la lisibilité du portage des schémas d'aménagement numérique.

L'article 36 permet la création de syndicats mixtes de syndicats mixtes ouverts (SMO). Des syndicats existants, créés à l'échelon départemental ou supra-départemental pourront ainsi établir des réseaux d'initiative publique (RIP) et constituer ensemble un syndicat mixte de plus grande taille, chargé de l'exploitation et de la commercialisation de ces réseaux afin d'atteindre une taille critique plus favorable pour attirer les opérateurs commerciaux. Le texte, très verrouillé, de l'Assemblée nationale prévoit une fusion forcée de tous les syndicats dans un délai réduit. Je vous proposerai de revenir à la version initiale de l'article.

L'article 36 bis, qui nous est délégué au fond, impose une échéance à l'élaboration du décret définissant les conditions d'obtention du statut de zone fibrée. Introduit à mon initiative dans la loi croissance et activité, ce statut comporte des mesures favorisant la transition technologique du cuivre vers la fibre optique. Je vous proposerai un amendement afin de renforcer le rôle de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep).

L'article 37 A, qui nous est délégué au fond, permet aux collectivités territoriales de bénéficier des attributions du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) pour leurs dépenses réalisées en vue de déployer des infrastructures passives, c'est-à-dire des pylônes, dans le cadre de l'extension de la couverture mobile. Il est rédigé dans des termes identiques à ceux d'un amendement que j'avais déposé à la loi de finances pour 2016. Je me félicite que le Gouvernement ait changé d'avis sur la question.

L'article 37 B, qui nous est également délégué au fond, étend le périmètre de la servitude de passage pouvant être accordée au bénéfice d'un réseau de communications électroniques sur une propriété privée. Je vous proposerai d'étendre le dispositif aux droits de passage établis par voie conventionnelle sur ces propriétés. C'est un article technique, mais dont la portée opérationnelle accélèrera le déploiement sur le terrain.

L'article 37 C encadre mieux les possibilités d'opposition d'un syndicat de copropriétaires au déploiement de la fibre optique dans les parties communes d'un immeuble collectif. J'y suis favorable : les motifs d'opposition des propriétaires doivent être maîtrisés, si l'on veut qu'ils n'aillent pas à l'encontre des intérêts des occupants.

L'article 37 D répartit le bénéfice du suramortissement mis en place par la loi de finances rectificative pour 2015 entre l'opérateur chargé du déploiement et les opérateurs qui cofinancent ce déploiement, par l'acquisition de droits d'usage sur le réseau concerné, afin de tenir compte de la dynamique de cofinancement entre opérateurs sur de nombreux réseaux. Là encore, le Sénat a joué un rôle décisif, car cette disposition avait été défendue par notre collègue Pierre Camani lors de la discussion budgétaire, pour être finalement reprise par le Gouvernement dans le présent texte.

L'article 37 E, qui nous est délégué au fond, s'oppose à la stratégie dite d'écrémage, par laquelle certains opérateurs ayant leur propre réseau sur les parties les plus rentables d'une zone demandent à bénéficier d'un lissage tarifaire sur l'ensemble de celle-ci pour accéder au réseau d'un autre opérateur qui la couvre en intégralité. Si les opérateurs peuvent ainsi maximiser leurs revenus et minimiser leurs coûts, cette stratégie fragilise considérablement l'équilibre économique, et donc les incitations du second opérateur. L'article l'encourage à réserver le bénéfice de la péréquation tarifaire aux seuls opérateurs qui ne déploient pas un réseau concurrent sur la zone concernée. Je vous proposerai de moduler le principe de complétude imposée aux déploiements en fibre optique dans le temps et en fonction des coûts, afin d'imposer des obligations plus proportionnées aux réseaux d'initiative publique en zone rurale.

L'article 37 F, également délégué au fond à notre commission, renforce la sanction pécuniaire prononcée par l'Arcep en cas de manquement à une obligation de couverture, en ajoutant un élément relatif à l'entretien et à la maintenance en zone rurale. Je vous proposerai un amendement pour le sécuriser.

L'article 37, délégué à notre commission, prévoit la mise à disposition du public par l'Arcep des cartes de couverture que les opérateurs sont tenus de publier, ainsi que des données ayant servi à les établir. Cet article améliore l'information des utilisateurs mais également des collectivités territoriales et facilitera la confrontation des cartes de couverture des opérateurs avec la réalité de l'utilisation au quotidien. La rédaction actuelle me semble équilibrée.

L'article 37 bis, le dernier des articles dont l'examen au fond nous est délégué, prévoit l'identification de nouvelles communes dont le centre-bourg est en zone blanche dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, pour remédier aux problèmes d'information et de méthodologie constatés dans de nombreux territoires lors des recensements effectués en 2015. Je vous proposerai de supprimer l'échéance de six mois, pour que toute commune qui répond aux critères soit prise en compte, quelle que soit la date de sa demande.

L'article 38 sécurise juridiquement la valorisation du domaine public hertzien par l'État. Il précise que les fréquences libres sont par principe gratuites d'utilisation, et facilite l'utilisation à titre gratuit de fréquences à des fins expérimentales, en vue de stimuler l'innovation. Je vous proposerai un amendement prévoyant la prise en compte de l'objectif d'aménagement du territoire pour la fixation de la redevance, car les technologies radio seront indispensables dans les territoires ruraux afin d'achever la couverture en très haut débit, en complément des technologies filaires.

L'article 39 renforce les obligations incombant au prestataire de la composante téléphonique du service universel et précise les règles d'entretien des abords des réseaux de communications électroniques. Il reprend une proposition de loi du député André Chassaigne, à une modification problématique près : l'entretien des abords est à la charge des propriétaires. Je vous proposerai de revenir à l'esprit de la proposition de loi, en les mettant à la charge des exploitants de réseau plutôt que de solliciter les propriétaires privés, sauf s'ils en conviennent autrement par convention.

Je vous proposerai enfin des amendements créant des articles additionnels sur les thèmes suivants : création d'une contribution de solidarité numérique pour financer le déploiement des infrastructures et le soutien aux usages numériques ; facilitation de l'accès aux infrastructures d'accueil des réseaux de distribution électrique pour accélérer le déploiement de la fibre ; valorisation efficace de l'occupation du domaine public routier par les réseaux de communications électroniques, afin d'optimiser cette utilisation ; inscription dans la loi du conventionnement des déploiements privés de réseaux en fibre optique, avec une échéance à fin 2016 ; encadrement d'une éventuelle fusion entre opérateurs exigeant des engagements pour qu'ils fournissent des services sur les réseaux d'initiative publique ; extension à la couverture des centres-bourgs et des sites hors centre-bourg de la faculté donnée à l'Arcep de faire appel à des organismes extérieurs pour vérifier le respect des obligations des opérateurs ; inscription d'une obligation de couverture significative de la population et du territoire de chaque commune dans les licences mobiles ; renforcement du rôle de la commission supérieure du service public des postes et des communications électroniques (CSSPPCE) en lui confiant une mission de suivi de la couverture numérique des territoires.

Nous partageons tous le même objectif : renforcer l'accès au numérique partout en France, sans qu'aucun citoyen ne soit exclu. J'ai abordé le texte transmis au Sénat dans un esprit constructif et transpartisan. Je ne doute pas qu'à l'issue de nos discussions, le texte ressortira significativement enrichi en vue d'assurer la couverture numérique de tous nos territoires.

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