La commission des finances s'est saisie pour avis du projet de loi pour une République numérique, qui sera examiné au fond demain par la commission des lois, sur le rapport de notre collègue Christophe-André Frassa. Ce projet de loi contient essentiellement des dispositions relatives à l'ouverture des données publiques (open data), à la neutralité du net, aux droits des internautes sur leurs données personnelles, ou encore à la loyauté des plateformes envers les consommateurs. La France est plutôt en avance sur ces sujets.
Seuls quatre articles sur une centaine relèvent de la compétence de notre commission : nous sommes invités à jouer un rôle modeste dans les débats, mais peut-être faut-il y voir le signe que le Gouvernement a, une fois encore, choisi d'occulter les enjeux économiques et fiscaux de la révolution numérique. Il est vrai que c'est moins sympathique que l'open data. Les sujets qui fâchent semblent être remis à plus tard...
Nous sommes saisis des articles 37 A, 37 D, 41 et 42 ; les trois premiers nous ont été délégués au fond. Je passerai assez vite sur les deux premiers articles, de nature fiscale.
L'article 37 A prolonge jusqu'en 2022 l'éligibilité au fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) des dépenses des collectivités territoriales en matière d'infrastructures passives pour assurer la couverture du territoire en téléphonie mobile - concrètement, cela vise la construction des pylônes.
L'article 37 D étend le suramortissement « Macron » de 40 % aux co-investisseurs dans le déploiement de la fibre optique. Aujourd'hui, seul peut bénéficier de cet avantage l'opérateur qui effectue l'investissement physique dans les câbles (souvent Orange et SFR) ; les opérateurs qui apportent un cofinancement en échange d'un droit d'usage de long terme en sont exclus. C'est donc une mesure d'équité, neutre pour les finances publiques puisque les doubles déductions sont impossibles.
Nous ne pouvons qu'être favorables à ces deux articles, déjà adoptés, à l'identique, par le Sénat, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016, malgré l'avis défavorable du Gouvernement. Je vous demanderai donc d'adopter ces deux articles.
L'article 41 est plus substantiel : il élargit la possibilité de proposer des paiements par SMS, et plus largement la « facturation opérateur », où les achats sont directement imputés sur la facture de téléphone ou d'Internet. Aujourd'hui, ces paiements doivent concerner un produit directement consommé au moyen de l'appareil utilisé pour l'achat : une sonnerie, un morceau de musique, un jeu sur smartphone, un service de renseignements téléphoniques... Il est possible de payer - avec imputation sur sa facture téléphonique - un film à télécharger, mais pas un ticket de cinéma ou de parking ! C'est uniquement possible, via une applet, afin d'être débité sur sa carte bancaire.
C'est pourquoi l'article 41 élargit la possibilité de proposer des paiements par SMS, conformément à ce qui est prévu par la deuxième directive sur les services de paiement (DSP 2) adoptée en 2015. Seraient ainsi autorisés les paiements par facturation opérateur pour tout type de contenu numérique, quel que soit le dispositif utilisé pour l'achat ou la consommation. Ce mode de paiement serait autorisé également pour les dons à des associations caritatives : il serait dès lors possible de donner deux ou trois euros à la Croix-Rouge ou à l'Unicef par un simple SMS, comme dans les nombreux pays européens ayant anticipé sur la directive DSP 2 sans faire l'objet de poursuites par Bruxelles. Les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, leurs associations dans ces pays ont pu collecter de grandes sommes d'argent. Le paiement par SMS serait applicable aussi à l'achat de tickets électroniques. Un plafond, 50 euros par opération et 300 euros par mois, est prévu. Le système est simple et pratique, ses usages potentiels très nombreux. Pour autant, on ne peut pas ignorer les risques : explosion des factures pour les familles en raison de dépenses inconsidérées des adolescents ou des enfants, arnaques, pratiques douteuses de certains services...
Les opérateurs doivent prendre leurs responsabilités, par exemple en proposant par défaut des options de blocage ou d'alerte, des seuils différenciés en fonction des produits, etc. Le législateur, si nécessaire, prendra lui aussi ses responsabilités. Je vous proposerai trois amendements : le premier supprime l'entrée en vigueur différée de l'article, afin que les campagnes de dons par SMS aux associations caritatives puissent débuter dans les meilleurs délais ; les deux autres précisent l'application du plafond mensuel de 300 euros, afin de prendre en compte les flottes d'entreprises, les collectivités, les familles, où un abonné signifie plusieurs lignes, ainsi que le cas des paiements « machine to machine ».
L'article 42 relatif aux compétitions de vidéo est l'un de ceux qui a le plus mobilisé l'ensemble de nos collègues à l'Assemblée nationale et au Sénat, et qui a en grande partie justifié la saisine de la commission des finances. Il a été introduit dans le texte du Gouvernement à l'issue de la consultation publique sur Internet. Méthode originale s'il en est, et qui a conduit à un résultat très prévisible : tous les éditeurs de logiciels ont demandé à leurs utilisateurs, sur les forums, de répondre que ce sujet était prioritaire. Il a dès lors été considéré comme tel par le Gouvernement. Ce dernier a d'abord demandé une habilitation à légiférer par ordonnance, mais nos collègues députés ont préféré insérer directement un article, rédigé dans une certaine confusion. En parallèle, le sénateur Jérôme Durain et le député Rudy Salles, missionnés, ont rendu un pré-rapport il y a quelques semaines, dont les conclusions sont en ligne avec celles qui ressortent de nos auditions. Nous allons donc pouvoir proposer un texte consensuel.
Quel est le problème fondamental ? Les compétitions de jeux vidéo, dès lors qu'elles donnent lieu à un droit d'inscription à l'entrée et qu'elles offrent une récompense au vainqueur, sont considérées comme des loteries au regard de la loi - donc prohibées. Des clubs de joueurs organisent ainsi des compétitions illégales. Je me suis ainsi rendu dans une compétition, la Gamers Assembly à Poitiers, il y a dix jours, rassemblant dans trois halls complets 1 500 joueurs, avec une entrée payante. Tout cela était complètement illégal ! Cette filière des jeux vidéo est en pleine expansion, et la France est un des leaders. Adaptons notre droit pour que l'activité se développe et régler ce problème étonnant : il est difficile, pour un joueur étranger, de voir que ce type de compétition est interdite en France, alors qu'en Allemagne, certaines compétitions physiques rassemblent 40 000 spectateurs, et d'autres 100 000 personnes en Corée du Sud !
Plusieurs problèmes se posent : ces compétitions sont illégales, certains joueurs étrangers sont professionnels, viennent en France avec un visa de tourisme faute de statut mais gagnent de l'argent. Il faut donc clarifier cette situation, pour les joueurs et les organisateurs. La commission des finances n'est saisie que d'une toute petite partie du problème. Ces compétitions physiques rassemblent des joueurs dans un lieu, mais parfois des pré-compétitions sont organisées en ligne. Si leur accès est payant, nous considérons qu'il s'agit d'un jeu en ligne avec une espérance de gain, qui tombe sous le coup de la réglementation de l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel), à la différence d'une compétition physique. Nous vous proposons de ne pas en sortir et de ne pas autoriser ces préqualifications payantes en ligne. Tout le monde est d'accord. Les éditeurs de logiciels et les organisateurs ont compris que l'enjeu n'était pas là, mais d'organiser des grandes compétitions avec 20 000 spectateurs.
Monsieur le rapporteur général, il est préférable d'inscrire certaines dispositions en loi de finances, mais je dépose un amendement d'appel pour suggérer d'instaurer un taux de TVA à 5,5 % sur la vente de places pour ces compétitions, comme pour d'autres compétitions similaires. Par ailleurs, je vous proposerai un amendement sur les ajustements du régime du poker en ligne, traité en 2010 par notre collègue François Trucy. À l'origine il y avait plus de trente acteurs du poker en ligne ; ils sont désormais une dizaine, dont un dominant - Winamax - et la concentration se poursuit. Dans ce secteur coexistent des sites régulés et des zones d'ombre, pour ne pas dire plus. Dans le marché régulé, le nombre de joueurs de poker autour des tables est limité aux joueurs français. L'Arjel est d'accord pour élargir le tour de table - pour améliorer la liquidité - aux joueurs de pays européens dont la législation est comparable à la nôtre.
Deux de mes amendements proposent des évolutions plus marginales du régime : l'un rend plus efficace la lutte contre les sites illégaux en simplifiant la procédure judiciaire ; l'autre aménage une procédure d'autorégulation concernant le temps de jeu.
Plusieurs articles du projet de loi concernent les plateformes de l'économie collaborative, à commencer par l'article 22 qui les définit pour la première fois. Le sujet de la fiscalité ne manquera pas d'être abordé lors des débats. Mon amendement prévoit, pour les plateformes, une obligation de déclaration automatique des revenus de leurs utilisateurs. Cette proposition, issue des travaux du groupe de travail de notre commission en septembre 2015, avait déjà reçu le soutien quasi-unanime du Sénat lors du projet de loi de finances pour 2016, mais n'a pas survécu au passage à l'Assemblée nationale.
Sous le bénéfice de ces observations et sous réserve de l'adoption de mes amendements - hormis celui sur la TVA à 5,5 % - je vous propose de donner un avis favorable aux articles du projet de loi pour une République numérique dont nous sommes saisis.