Intervention de Frédéric Saudubray

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 24 mars 2016 : 1ère réunion
Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer — Audition des instituts de recherche en agriculture en zones tropicale et équatoriale

Frédéric Saudubray, directeur régional Aquitaine et outre-mer de l'IRSTEA :

La recherche de notre institut s'intéresse à la qualité des eaux qui fait d'ailleurs l'objet d'un suivi effectif. Parallèlement au travail régulier des organismes de l'eau, les instituts de recherche mènent en effet aux Antilles un suivi de la qualité des eaux à partir de systèmes d'instrumentation de bassins versants. Les méthodes utilisées sont les mêmes qu'en métropole. Certains dispositifs de bassins versants étudient plusieurs cultures, d'autres se limitent à des cultures en particulier pour étudier les effets induits par certaines pratiques ; l'approche est parfois même territoriale pour étudier l'origine des différents polluants qui n'est pas nécessairement uniquement agricole.

Les normes peuvent constituer un frein face à certains pays dont les normes sont moins strictes. Le système de mesure de la qualité de l'eau est en effet moins performant dans les Antilles anglophones. Nous suivons par ailleurs un nombre de molécules nettement supérieur à ce qui se pratique ailleurs, jusqu'à 250 sur certaines analyses d'eaux en outre-mer. Les contraintes pèsent donc davantage sur les pratiques agricoles dans les Antilles françaises avec un système de mesure plus performant et au spectre plus large en nombre de molécules recherchées.

La problématique du traitement des effluents se pose dans des termes équivalents. D'un point de vue environnemental, ces normes sont à la fois porteuses de contraintes et de bénéfices. À titre d'exemple, les effluents d'élevage qui se conforment à une norme de traitement sont également source de plus-value au travers de la production d'énergie. Bien que contraignantes, ces normes représentent un atout pour développer d'autres productions jointes.

La diffusion des innovations auprès des producteurs et le lien entre la recherche et le développement est une question à laquelle je suis particulièrement sensible. Je développerai deux exemples à l'appui de mon propos. L'IRSTEA, en lien avec l'INRA, a rencontré un certain succès en matière de développement de productions fourragères. Nous n'avons pas abordé ces problématiques exclusivement d'un point de vue technique, mais aussi de façon systémique. Nos organismes ont ainsi mis en place une politique de transfert volontariste au travers de la formation continue, de la diffusion de guides techniques et de la production d'une collection fourragère pour illustrer notre démarche. Ils ont également approfondi leurs liens avec la formation initiale dès les lycées agricoles, et pas seulement au niveau de l'université. L'IRSTEA a par ailleurs travaillé sur un prototype comme alternative aux traitements aériens de la banane qui avaient été interdits. Cette recherche a toutefois subi un quasi-échec en termes de transfert, puisque l'innovation n'a pas dépassé le stade du prototype et que les agriculteurs utilisent encore plusieurs techniques de traitement, tels que les pulvérisateurs à dos, les traitements du type arboriculture et les foggers. Cet éparpillement dans les pratiques conduit à désorganiser la filière et peut être source de difficultés car l'homologation d'un produit est aussi liée à son mode d'utilisation. Le matériel utilisé n'est pas toujours homologué, ce qui constitue un non-respect des normes, et ne protège pas toujours correctement les exploitants. L'exposition cutanée et respiratoire qu'ils subissent fait l'objet actuellement d'une évaluation dont les résultats sont attendus d'ici la fin de l'année. Depuis l'interdiction des traitements aériens sont apparues des pratiques de substitution qui ont mis à mal une autre norme, celle de la protection des personnes, qui n'utilisent pas suffisamment les équipements tels que les masques, du fait de la chaleur. Les nouvelles pratiques tendent en outre à augmenter la quantité de produit utilisé.

Il est vrai que la réglementation est plus contraignante en France que dans les pays extérieurs à l'Union européenne, que ce soit pour le nombre de molécules suivies ou l'interdiction du traitement aérien. Les normes traduisent la volonté d'instaurer une agriculture plus respectueuse de l'environnement. Dans les pays anglophones, le respect des normes est moins contrôlé, parce que les outils d'analyse et la pression sociale sont moindres.

Comment transformer la contrainte normative environnementale et sanitaire en avantage comparatif et en argument de promotion des produits agricoles ultramarins ? Je me contenterai d'émettre un avis personnel sur cette question complexe.

Actuellement, sur la base d'une expérimentation menée à La Réunion, l'IRSTEA cherche à comprendre comment l'effort environnemental est considéré et à qui il bénéficie. L'agriculteur qui supporte l'effort induit par les normes bénéficie de retours assez faibles. Les bénéfices directs sont au nombre de quatre, à savoir la sécurité de l'exploitant, une représentation plus positive du métier d'agriculteur, la rétribution financière d'origine publique d'une part, sous forme de subvention, et commerciale d'autre part, en termes de plus-value pour ses produits. C'est ce dernier aspect qui est toutefois le moins rétribué. Des études en métropole ont cependant révélé que le consommateur est prêt à payer pour protéger sa santé. Il est donc important de privilégier, dans une logique de marché, cette promesse plutôt que la protection de l'environnement qui le sensibilise moins, surtout si ces enjeux se trouvent loin de chez lui.

La question de la diversification des productions agricoles se pose dans la zone depuis déjà une trentaine d'années. J'étais d'ailleurs chargé, il y a 15 ans, d'un projet de cette nature en zone Caraïbes anglaise que la coopération française finançait. Les pays de l'outre-mer manquent d'atouts sur les marchés à l'export, en raison du coût de la main-d'oeuvre, de la petite taille des productions et structures foncières, mais aussi des normes environnementales. Il est donc préférable de viser à l'export des marchés de niche, par exemple la production de la marante (arrow-root), plante dont les rhizomes produisent de la fécule alimentaire et qui a des propriétés curatives. Cette plante est très prisée sur le marché anglais et donc à forte valeur ajoutée.

Sur le marché local, l'irrégularité de l'approvisionnement suppose d'organiser les filières face à la grande distribution. C'est un problème prégnant de l'organisation du monde agricole outre-mer. En outre, les possibilités d'exportation sur le marché régional n'ont pas été assez explorées. La production de biomasse peut également présenter une alternative, par exemple à La Réunion pour la filière canne à sucre.

La question des labels bio est délicate. Tous les pays tiers n'ont pas les mêmes niveaux d'exigence, par exemple sur le café labélisé bio en Afrique, mais il est difficile de généraliser. La banane de la République dominicaine ne me semble pas non plus respecter le cahier des charges bio tel qu'il est défini en France et dans l'Union européenne.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion