Intervention de Harry Ozier-Lafontaine

Délégation sénatoriale à l'Outre-mer — Réunion du 24 mars 2016 : 1ère réunion
Problématique des normes sanitaires et phytosanitaires applicables à l'agriculture des outre-mer — Audition des instituts de recherche en agriculture en zones tropicale et équatoriale

Harry Ozier-Lafontaine, président du centre INRA Antilles-Guyane et délégué régional pour la Guadeloupe :

Les informations suivantes proviennent de deux unités de recherche, l'une qui travaille sur les agrosystèmes tropicaux et l'autre sur les zootechniques. Pour rappel, le contexte climatique se caractérise par un niveau élevé d'humidité, de fortes températures et l'absence de rupture de cycle. Le contexte géographique favorise par ailleurs les échanges de matériel végétal entre les îles. Ces éléments contextuels rendent la région vulnérable aux menaces biologiques. Le positionnement de l'INRA sur les productions de diversification vise à renforcer l'autonomie alimentaire, ainsi que la santé environnementale et humaine.

La Guadeloupe peut être considérée comme un phytotron naturel de par la diversité de ses paysages, ses microclimats, ses types de sol ou encore ses pratiques culturales, ce qui permet une transposition des travaux de recherche à de nombreux pays de la zone tropicale, en particulier les DOM. Mon propos s'articule en quatre points qui ne répondront peut-être pas exactement au questionnaire que vous nous avez adressé. Le premier est relatif aux principales menaces biologiques qui pèsent sur les productions de diversification végétales et animales aux Antilles-Guyane et aux réponses originales que l'INRA et ses partenaires leur apportent.

Dans le domaine des productions végétales, les contraintes sont de trois ordres :

- les adventices,

Nous avons mené des travaux sur la sélection et la compréhension du fonctionnement de plantes de service qui sont cultivées en association ou en rotation avec les plantes destinées à la consommation. Elles permettent de couvrir rapidement le sol et de lutter contre l'envahissement par les mauvaises herbes. Le CIRAD possède d'ailleurs une collection de ces plantes. L'INRA a également mené des travaux pointus sur les mulchs et les paillages biodégradables, notamment le papier kraft qui peut être facilement déployé sur les champs en remplacement du plastique, sous réserve d'utiliser la machine adéquate. La gestion des successions a conduit à mettre au point un projet de petite mécanisation avec le griffage, des petits chalumeaux qui brûlent les adventices à leur sortie de terre ;

- les maladies fongiques, bactériennes et virales,

Je développerai l'exemple de l'anthracnose, une maladie fongique qui attaque l'igname aux Antilles. L'INRA développe, depuis dix ans, un programme en génétique pour mettre au point des résistances durables contre le champignon.

Par ailleurs, nous avons développé, contre le flétrissement bactérien de la tomate, des variétés résistantes. La Caraïbos a ainsi été disséminée dans toute la zone intertropicale, mais en Martinique, l'agent pathogène a toutefois contourné les résistances de cette variété. Nous développons aussi des pratiques en bio-protection s'appuyant sur le fonctionnement de champignons du sol que l'implantation de certaines plantes favorise. Il reste à transférer ces travaux de recherche au travers de l'apprentissage.

Une deuxième maladie bactérienne, le citrus greening, menace les plantations d'agrumes en Guadeloupe et dans d'autres pays. L'implantation de porte-greffes sains est l'alternative envisagée, mais la pérennité de cette solution ne dépasse pas cinq ans. Des pays comme la Floride développent une plante dont l'huile essentielle permet de combattre cette maladie en agissant à la fois sur le vecteur qui est un insecte et sur la bactérie. La réglementation peut toutefois constituer un obstacle pour transposer cette solution dans nos pays.

Dans le cas de l'igname qui est touchée par des maladies virales, la production de plants sains est la solution la plus durable. Nous développons donc des laboratoires de cultures in vitro ;

- les ravageurs,

La fourmi manioc fait figure de véritable fléau aux Antilles, en Guadeloupe particulièrement. Une thèse menée avec le réseau Tramil a permis d'inventorier toutes les plantes dont les propriétés insecticides et fongicides sont susceptibles d'intervenir dans la lutte contre cet insecte. D'autres équipes mènent également des travaux, notamment dans le cadre de l'Université des Antilles et de la Guyane. Nous nous heurtons toutefois à la réglementation en vigueur pour faire homologuer ces produits.

Nous avons également mis au point des moyens biologiques, tels que les pièges à phéromones, pour lutter contre le charançon de la patate douce. Ils sont assez proches de ceux identifiés contre le charançon du bananier.

Dans le domaine des maladies animales, l'INRA concentre ses efforts sur le parasitisme gastro-intestinal qui affecte les petits ruminants ; il développe des démarches intégrées de lutte contre ce parasitisme qui sont exemplaires et transposables. Elles consistent à associer des plantes fourragères et des graminées, mais aussi des animaux ou encore à utiliser des plantes anthelminthiques.

Il est toutefois à relever que la prédation représente le principal problème dans toute la Caraïbe. Il pourrait être résolu au moyen de caméras ou de clôtures.

Le deuxième volet de mon propos concerne les mesures environnementales prises vis-à-vis des polluants et de l'économie de l'eau en zone tropicale.

Le chlordécone a conduit à mettre en place un observatoire sur deux bassins versants instrumentés qui font figure de référence, l'un en Martinique, l'autre en Guadeloupe. Des travaux sont menés de façon intégrée pour étudier comment les pratiques exercent une influence sur le transfert dans les sols et dans les eaux, dans les végétaux et dans les animaux. Là encore, ils sont transposables.

Concernant le traitement des effluents d'élevage, l'INRA dispose de plates-formes de compostage et mettra au point d'ici mai-juin un pilote de méthanisation, celle-ci étant rarement étudiée sous cet angle en zone tropicale. Une thèse étudie par ailleurs comment la qualité du matériel en provenance des effluents conduit à améliorer les lombrics de compost.

L'INRA mène par ailleurs des travaux avec ses partenaires depuis une vingtaine d'années sur la gestion de l'irrigation dans les zones sèches, en développant des modèles de bilans hydriques. L'Institut a également mis au point le capteur Thérésa qui permet de déclencher l'irrigation de façon pointue, à partir de la mesure des déplacements de sols. En outre, les mulchs et les paillages sont utilisés pour limiter l'évaporation du sol. Plus récemment, le zonage agro-écologique de la Guadeloupe incite à repenser l'implantation des cultures en fonction des potentialités pédologiques et climatiques de chaque milieu. Par exemple, la culture de la banane qui est très consommatrice en eau gagnerait à être déplacée sur la zone sud de la Basse-Terre.

Le troisième sujet abordé concerne les moyens mis en oeuvre pour le transfert et l'appropriation des solutions explorées.

Ces moyens sont nombreux et complémentaires, à savoir :

- un site, inra-transfert.fr, qui présente les travaux de l'INRA sous forme de fiches pédagogiques à destination des professionnels et des décideurs et qui est transposé à Mayotte ;

- le Groupement Intergouvernemental d'experts sur les évolutions du climat (GIEC) en Guyane ;

- un site récemment développé par le réseau d'innovation et de transfert agricole (RITA) ( coatis.rita-dom.fr) ;

- des plates-formes offrant des systèmes experts destinés à permettre la sélection de plantes de service en fonction des utilisations et des contraintes de milieu, à la fois agro-écologiques et socio-économiques.

En parallèle, l'INRA développe des programmes de recherche avec les organismes professionnels et les agriculteurs dans une démarche participative et mène de nombreuses actions :

- des journées techniques thématiques de restitution avec les producteurs ;

- des fiches techniques sur, par exemple, l'igname ou la production animale ;

- des essais en ferme qui favorisent les techniques participatives d'apprentissage à l'intention des acteurs, comme pour les mycorhizes ;

- des outils d'aide à la décision techno-économique, calculateurs qui mesurent l'impact sur la production des modifications des pratiques culturales, comme pour la banane, l'igname et la canne à sucre ;

- des plates-formes de sélection participative avec une implication très active dans le réseau Rita ;

- une participation active à l'enseignement agricole au travers du concept INRA Formateur qui a reçu un agrément et a permis de créer une licence s'adressant, depuis 2015, à de jeunes agriculteurs, « Agriculture Développement Régional Entreprenariat en milieu tropical » ;

- une intervention dans le domaine de la formation continue en lien avec le ministère de l'agriculture sur le thème suivant : « Agriculture, produire autrement, l'agro-écologie ».

Sur le dernier volet de mon propos relatif au positionnement des DOM vis-à-vis des pays tiers et des freins à lever pour améliorer la compétitivité, comme le colloque organisé en 2015 en Guadeloupe, Carribean Food Crops Society, l'a démontré, les Antilles françaises ont présenté leur mea culpa sur le chlordécone et pris les mesures nécessaires pour limiter ses impacts. Les pays de la Caraïbe qui sont confrontés au problème avec la même acuité n'ont pas été en mesure d'en faire autant.

Il est également à signaler que la réglementation semble à deux vitesses à certains agriculteurs. À titre d'exemple, la banane de la République dominicaine est commercialisée avec le label bio sur le marché français, mais est traitée à partir de pesticides qui sont interdits en France. De la même façon, les ignames en provenance du Costa Rica sont commercialisées en France, alors qu'elles sont produites à grand renfort de pesticides, ce qui est interdit en France. Cette concurrence déloyale soulève donc un grand nombre de questions. Le parcours d'homologation des produits dits biologiques peut enfin en dissuader certains, alors que nombre de plantes possèdent des propriétés très intéressantes qui pourraient être utilisées efficacement. L'exemple du citrus greening est loin d'être unique.

Je souhaite partager quelques pistes d'action qui me semblent indispensables. Il s'agit notamment de :

- soutenir l'exigence et l'exemplarité comme gages de réussite et de différenciation pour les produits ;

- constituer des groupes de travail ad hoc sur certains sujets, par exemple sur la fourmi manioc, en commençant par inventorier les pratiques existantes, qu'elles soient traditionnelles ou pas, puis en testant avec les agriculteurs celles qui seraient les plus efficaces dans nos milieux.

Par ailleurs, je participe prochainement, à l'Académie de l'agriculture de France, à un groupe de travail sur la petite agriculture familiale. Ces initiatives sont indispensables pour impulser le changement ;

- renforcer l'innovation organisationnelle, et non seulement l'innovation technologique qui a été privilégiée, pour améliorer l'appropriation des outils technologiques en lien avec les organisations professionnelles et les agriculteurs ;

- promouvoir les techniques et les démarches qui s'inspirent de l'agro-écologie et développer les productions de type bio, pour les aider à se démarquer, que ce soit avec le label ou peut-être davantage au travers de marques ;

- assouplir les démarches d'homologation qui sont trop longues ;

- durcir les politiques réglementaires vis-à-vis des produits importés ;

- mieux informer les consommateurs ;

- accompagner les agriculteurs durant les phases de transition d'un système conventionnel à un système dit agro-écologique en trouvant des mécanismes compensatoires ou en élargissant l'accès au Programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (POSEI), au-delà des producteurs de canne et de banane.

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