Intervention de Rémy Rioux

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2016 à 9h32
Rapprochement entre l'agence française de développement et le groupe caisse des dépôts et consignations — Audition de M. Rémy Rioux secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères en charge des affaires économiques

Rémy Rioux, secrétaire général adjoint du ministère des affaires étrangères en charge des affaires économiques :

Merci beaucoup pour votre accueil.

Je suis très honoré d'être devant votre commission pour vous présenter mon rapport.

Le Parlement joue et va bien sûr jouer un rôle essentiel dans cette réforme, en particulier le Sénat, par la voix de ses représentants, dont le rôle sera évidemment maintenu dans la réforme, à la fois dans le cadre de la commission de surveillance de la CDC pour MM. Vincent et Delahaye, et dans le cadre du conseil d'administration de l'AFD pour Mmes Keller, Goy-Chavent, ainsi que MM. de Raincourt et Collin.

Je suis à leur entière disposition, au-delà de cette séance, pour leur apporter toutes les précisions utiles.

Votre assemblée s'est déjà exprimée sur ce sujet au moment de l'examen de la loi du 7 juillet 2014, et a précisé les orientations de la politique de développement et de solidarité internationale ; elle sera appelée à le faire à nouveau dans le cadre de cette réforme, en particulier le Sénat, l'une des ambitions de ce texte étant de rapprocher l'AFD de nos territoires et d'accroître leur influence internationale. Vous en êtes les représentants. J'espère que vous serez sensibles à cet aspect des choses.

L'ambition de la réforme est de créer un instrument bilatéral plus puissant, plus visible, plus efficace et plus partenarial, de la façon la plus simple et la plus rapide, compte tenu des urgences auxquelles nous sommes confrontés dans les pays les plus proches de la France.

L'ambition est aussi de réunir tous ceux qui peuvent apporter quelque chose à notre politique de développement, et contribuer à la renouveler. C'est une conviction que je possède depuis très longtemps.

J'ai fait carrière au ministère de l'intérieur, au ministère des finances, au Trésor, à l'Agence des participations de l'État, à la direction du cabinet du ministre. Je suis à présent au ministère des affaires étrangères et du développement international, auprès de Laurent Fabius. Je connais bien l'AFD. Je l'apprécie beaucoup. J'ai travaillé avec M. de Raincourt, alors qu'il était ministre, lors de la crise ivoirienne...

J'ai donc pu apprécier la politique de développement de l'AFD sous ses différentes facettes. Ma conviction est que l'on peut davantage encore réunir les acteurs au service de cette politique et leur adjoindre les forces, la capacité d'innovation, le réseau de la CDC, qui ne sont pas aujourd'hui mobilisés à cette fin. Ceci ne figure pas parmi les missions de cette grande maison. C'est le but de la réforme.

Trois objectifs m'ont été fixés. Le premier est le plus conjoncturel et le plus immédiat et découle de la nécessité de tenir les engagements pris par notre pays lors des conférences d'Addis-Abeba, en juillet, et de la préparation de la COP21.

J'étais en charge du volet financier de la négociation de l'accord de Paris ; après nos collègues allemands, l'annonce de financements accrus pour le climat faite par le Président de République française, à New York, le 20 septembre dernier, a joué un rôle extrêmement important pour que nos partenaires acceptent d'entrer dans la négociation, en ayant l'assurance que les financements augmenteraient d'ici 2020.

La réforme dont je viens vous parler ce matin porte sur la façon d'augmenter mes engagements pour l'aide au développement de 4 milliards d'euros, dont 2 milliards d'euros pour le climat.

L'engagement du Gouvernement est à la fois d'augmenter la capacité d'intervention de l'AFD, mais également d'apporter 400 millions de dons, au-delà des bonifications de prêts, d'ici à 2020, afin de maintenir un ratio entre les prêts et les dons permettant de recharger la politique bilatérale, en lui permettant d'intervenir là où les prêts ne sont pas possibles, ou dans certains domaines où seuls les dons peuvent être pratiqués, qu'il s'agisse de pays en crise, d'une partie des actions pour l'adaptation ou la lutte contre le changement climatique, ou des secteurs sociaux, auxquels je vous sais très attachés.

Le second objectif consiste à tirer les conséquences du nouveau cadre international du développement durable, tel qu'il a été défini lors des trois grandes conférences de l'année dernière. On est au début de la réflexion, mais on a à présent un agenda universel qui concerne à la fois les pays en développement et les pays développés. Celui-ci est très élargi et transversal, et touche de nombreux secteurs.

Cet agenda est également très inclusif et ambitionne de mobiliser tous les acteurs, et pas seulement les États. On veut également augmenter les financements pour le développement au-delà de la seule aide publique.

Ce très grand élargissement des priorités a été décidé par la communauté internationale l'année dernière ; il faut donc en tirer les conséquences au plan bilatéral.

L'ambition de cette réforme est de rapprocher les sources de financement domestique des sources de financement international et, au lieu d'avoir deux domaines qui dialoguaient finalement assez peu, d'essayer de voir si ce nouvel instrument est capable d'initiatives, de création d'instruments, d'innovations, d'actions plus puissantes.

On rejoint là - c'est le troisième objectif de la réforme - un mouvement qui est en train de prendre de l'ampleur dans de très nombreux pays, dont plusieurs d'Europe continentale, comme l'Allemagne, avec la Bank aus Verantwortung (KfW), ou en Italie, où la Cassa depositi e prestige, la Caisse des dépôts et consignations italienne, s'est vue adjoindre par la loi la mission d'aide au développement et se prépare à intervenir elle aussi dans ce domaine.

C'est un phénomène que l'on observe également dans de très nombreux pays émergents, qui se sont dotés de banques publiques puissantes pour développer leur propre pays ; ces banques publiques sont en train de s'internationaliser.

Ces « animaux », qui représentent plusieurs centaines de milliards de total de bilans, sont en train de créer des clubs, de se rapprocher, en complément ou en parallèle de ce que font les banques multilatérales, créant ainsi de l'action collective ; on a vu de façon assez spectaculaire, lors de la préparation de la COP21, à la fin de l'année dernière, que ces capacités d'actions internationales pouvaient être mobilisées au service de priorités collectives.

Mon rapport essaie de dégager les quelques axes d'un projet stratégique que la CDC et l'AFD pourraient bâtir ensemble au service de notre pays. Il conviendrait bien sûr de mener une stratégie commune autour des objectifs du développement durable du climat. C'est la CDC qui va devoir mettre en oeuvre, dans notre pays, un grand nombre des objectifs décidés à New York. Il va falloir rendre des comptes concernant cette mise en oeuvre. L'AFD pourra bien sûr apporter une contribution à nos partenaires pour la mise en oeuvre de ces objectifs. Il y a certainement là des instruments, des interventions et une stratégie que ces deux maisons peuvent construire en commun.

Le second axe du projet stratégique est de faire de cette agence une agence pleinement bilatérale. Beaucoup de choses se font déjà, mais il faut doter l'AFD d'un réseau en France, que les directeurs territoriaux de la CDC, qui représentent le groupe, échangent également avec les nouveaux présidents des conseils régionaux, les élus des métropoles, et ceux des petites villes, qu'ils évoquent le développement, l'internationalisation de nos territoires. C'est aujourd'hui un canal qui n'existe pas, et que l'on va pouvoir ouvrir et mobiliser pour faire remonter de nos territoires vers l'AFD beaucoup de projets, d'intentions, de capacités, qu'il faudra ensuite bien entendu transformer en actions à l'étranger.

Inversement, faire du réseau de l'AFD à l'étranger, dans les soixante-dix pays où elle se trouve, une forme de représentation du groupe CDC va faire remonter vers la France, nos territoires et vers la CDC elle-même ainsi que vers ses différents instruments des expériences, des intentions, des volontés de partenariat de très nombreux territoires dans les pays partenaires qui, aujourd'hui, ne remontent probablement pas facilement. L'idée d'un réseau unifié, sans maille, me semble très importante ; c'est une façon de servir l'action internationale des collectivités de façon beaucoup plus active et efficace.

Les relations avec la société civile sont déjà très actives au sein de l'AFD. Souvent, les grandes ONG ont dépassé ce mouvement et sont actives en France et au plan international. L'objet de la réforme est pour elles très naturel, puisqu'elles se partagent déjà ces deux regards, domestique et international.

Troisième idée du projet stratégique commun : les groupes CDC et AFD constituent deux maisons qui ont des métiers dans des géographies différentes, qu'elles réalisent avec des instruments différents. Elles ont pour mission de servir l'intérêt général, appuyer la définition des politiques publiques, d'appuyer les élus, de financer et de mettre en oeuvre des projets dans des domaines qui sont, qu'il s'agisse des services essentiels ou des infrastructures, souvent proches.

Il existe donc dans ces deux maisons des métiers, des capacités, des intentions, des idées qui peuvent être construites et rassemblées pour améliorer la pertinence de nos interventions en matière de développement.

J'ai déjà cité quelques têtes de chapitres : la lutte contre le changement climatique et la transition énergétique, domaines d'excellence des deux maisons où l'on peut faire beaucoup de choses ensemble, le développement urbain et l'aménagement du territoire, auquel j'ajouterai volontiers l'agriculture pour les rapports entre la ville et la campagne, mais aussi la protection sociale, secteur où la CDC a une très longue expérience, qui constitue une demande très forte, notamment de la part de beaucoup de métropoles de pays émergents, qui sollicitent notre aide pour structurer leur épargne et bâtir des systèmes de protection sociale pour les classes moyennes et pour les plus vulnérables de ces cités.

On peut aussi envisager la diplomatie économique de façon nouvelle, si l'on raisonne non plus uniquement sur chacune des entités, mais en l'envisageant aux bornes du groupe CDC-AFD. Je pense qu'il existe une possibilité de mieux répartir les rôles entre l'AFD, Proparco, BpiFrance, la CDC elle-même ou sa filiale CDC international capital, sans rompre avec les règles auxquelles nous avons souscrit, en ayant des modes de financements plus intelligents, répondant mieux aux demandes des partenaires de la France, dans l'intérêt de notre économie et de son redressement.

Je ne développe pas le thème relatif aux crises, aux migrations et à la sécurité. La KfW est en train de bâtir une stratégie de réponse sur le sujet, en essayant de voir si elle peut articuler l'ensemble de ses instruments d'intervention dans les pays d'origine, souvent en crise, dans les pays de transit, où l'on peut souvent faire des prêts, et sur le territoire national, afin d'accompagner les collectivités locales dans leur besoin de logements ou d'entreprenariat. Il s'agit de voir si ce nouvel instrument peut répondre aux enjeux de la chaîne d'accueil et de traitement de ces sujets si prégnants.

Les deux institutions interviennent bien entendu fort efficacement outre-mer, peut-être plus en matière d'appui au secteur public que privé. C'est le message que j'ai perçu lors de la mission de préfiguration. Rassembler ces instruments ne peut-il apporter à l'outre-mer davantage de financements pertinents et efficaces ?

Enfin, je suis attaché à l'idée que l'aide au développement et la solidarité constituent des domaines où l'on peut réaliser beaucoup d'innovations. On a, en France, des capacités de recherche ; on peut valoriser la recherche. La CDC, via son lien avec la french tech, les start-up, et tout ce que la réforme souhaite mettre en place, pourra peut-être parvenir à établir des connexions et inventer de nouveaux outils, de nouveaux services en faveur des plus pauvres. On sait la révolution qu'a constituée la téléphonie mobile jusque dans les savanes africaines les plus reculées. Ce sont là des vagues d'innovation, notamment via le numérique, extrêmement puissantes et qu'il faut mettre au service du développement.

Cette connexion entre la CDC, qui connaît fort bien les innovateurs en France, et l'AFD, qui connaît bien les partenaires du Sud, peut présenter un certain potentiel, et les deux maisons doivent la construire ensemble ; son influence et son utilité peuvent être extrêmement importantes.

Le troisième volet de la mission consiste à trouver la forme juridique et financière que pourrait prendre ce rapprochement. Le premier objectif que l'on s'est fixé est de réaliser l'ambition annoncée par le Président de la République. Il faut donc trouver une solution permettant de libérer d'ici à 2020 les 4 milliards d'euros d'engagements supplémentaires vis-à-vis des États étrangers. Il faut aussi, compte tenu du projet, dégager les synergies et faire en sorte que les liens entre les équipes de la CDC et de l'AFD, qui se sont construites en parallèle et qui se connaissent assez mal, puissent être établis, même en matière financière.

Je pense aussi qu'il faut maintenir la forte identité de l'AFD qui, depuis la réforme de 1998, constitue en France le lieu du développement. C'est là que se concentrent les expériences, les expertises, les connaissances du monde en développement. Il faut donc préserver ce lieu et sa capacité d'actions, son personnel, ses pratiques. Il faut également une gouvernance très inclusive qui permette de rassembler les acteurs actuels de la politique de développement et d'en ajouter d'autres, notamment en réservant un accueil à la CDC et à ses représentants. L'État doit rester très fortement impliqué dans cette politique régalienne, qui constitue un élément de la politique extérieure, même si elle doit mobiliser bien d'autres acteurs que le Gouvernement.

Dans le groupe CDC, c'est probablement « l'objet » qui aura le contenu budgétaire le plus lourd ; ceci suppose une très grande attention de la part des administrations de l'État et, à la faveur de la réforme, un soutien renforcé à la politique de développement.

Il a été décidé - ceci fera l'objet d'un débat au Parlement - de placer l'AFD dans le groupe CDC. Plusieurs modèles ont été étudiés successivement. Il faut rapprocher l'AFD du coeur de la CDC, l'ambition de la réforme étant bien de contribuer à l'internationalisation de celle-ci. L'AFD ne doit donc pas être considérée comme une simple participation de la CDC, mais comme une entité représentant plus qu'une filiale et moins qu'une section.

La proposition consiste à conserver le statut d'établissement public de l'AFD en la plaçant, par la loi, dans le groupe CDC ; seul le législateur peut s'en charger, comme pour le groupe ferroviaire ou le groupe Banque mondiale. Cela permettra de conserve l'identité de l'AFD, tout en la mettant à la bonne place dans le groupe CDC, plusieurs éléments pouvant créer des liens entre les deux. La proposition est de considérer que la CDC va contribuer à la mission de développement et de solidarité internationale, principalement grâce à l'AFD, mais aussi, le cas échéant, grâce à d'autres moyens qui pourraient se développer au fil du temps et engager l'ensemble du groupe dans cette priorité.

Mon rapport propose également une gouvernance croisée, que le directeur général de la CDC préside le conseil d'administration de l'AFD, afin de faire le lien avec le reste du groupe, ce que lui seul peut faire, et qu'il instruise ses équipes pour que les projets se réalisent.

On renoue là avec une très vieille tradition : François Bloch-Lainé a été le président de la CDC de 1952 à 1967. On recréerait donc le lien entre les deux maisons, et je pense qu'il faut que le directeur général de l'AFD ait aussi une responsabilité au sein du groupe CDC, afin qu'il soit comptable de la réussite de cette intégration, au-delà même de la mission de l'AFD stricto sensu, elle-même renforcée.

Le Président de la République a beaucoup insisté sur les réseaux. Il faut les rassembler, les unifier, les faire travailler ensemble, faire en sorte que le réseau de l'AFD représente la CDC à l'étranger, et que le réseau de la CDC puisse apporter son aide aux activités de l'AFD en France. Il faut aussi des liens financiers pour que les projets se réalisent.

En parallèle, la proposition consiste concomitamment à renforcer considérablement l'AFD. C'est l'État qui remplirait ici son devoir d'actionnaire en restructurant le bilan de l'AFD, notamment en transformant toute une série d'éléments de passif de l'AFD en fonds propres de base. Vous l'avez sans doute lu dans la communication faite en conseil des ministres la semaine dernière : l'objectif serait de doubler très rapidement les fonds propres de l'AFD, dès cette année, probablement avec l'accord du Parlement dans une loi de finances, puis, progressivement, grâce à différents mécanismes, de les tripler avant de les quadrupler dans la durée de mise en oeuvre des objectifs de développement durable définis à New York.

L'AFD a accumulé depuis 1941, lors de sa création, à Londres, 3 milliards d'euros de fonds propres de base. La proposition est de quadrupler ce montant et de donner à cet instrument une capacité d'action accrue dans de nombreuses régions avec, en parallèle, un effort budgétaire de 400 millions d'euros portant sur les dons.

Il s'agit d'un net renforcement de l'outil. Vous verrez par ailleurs que le rapport propose de faire passer l'AFD du statut d'établissement de crédit à celui de société de financement, ce qui aura pour effet de revenir à une régulation nationale à titre prudentiel, réalisée par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) et la Banque de France.

Enfin, une grande attention sera apportée à la conduite du changement ; l'AFD a déjà beaucoup grandi depuis une quinzaine d'années, à la satisfaction de tous, je pense. On prépare une étape supplémentaire qui augmentera son activité de 50 % en cinq ans. La situation des personnels, la façon dont cette transformation va se réaliser, les liens avec la CDC sont autant de sujets qui requièrent une très forte attention, dont il faudra tirer des conséquences au plan budgétaire et dans l'organisation et la gestion de l'AFD.

Mon impression est que tout le monde est gagnant dans cette réforme ; la politique de développement peut en sortir grandie et renforcée au profit de nos partenaires, avec le renfort de la CDC et des moyens accrus.

La capacité d'action de l'AFD sera transformée ; son mandat sera encore plus fort. On poursuit également les transferts de compétence de l'État vers l'AFD. Le transfert de la gouvernance, qui aura lieu concomitamment à la réforme, va permettre de rendre les produits de l'AFD plus intelligents et plus pertinents. La CDC va par ailleurs y gagner un réseau international, une dimension et un poids dans les partenariats internationaux qu'elles n'avaient pas encore.

Les réactions sont plutôt favorables jusqu'à présent. Le syndicat majoritaire de l'AFD a pris position de façon très positive. Cités Unies France (CUF), présidée par M. Roland Ries, a également pris position publiquement, tout comme le MEDEF, qui a marqué son intérêt. Hier, Coordination SUD, au nom des ONG, a fait part de son analyse, manifestant son attention mais aussi un grand intérêt pour cette réforme.

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