Intervention de Ali Ahani

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2016 à 9h32
Audition de s.e M. Ali Ahani ambassadeur de la république islamique d'iran

Ali Ahani, ambassadeur de la République islamique d'Iran :

Je suis très heureux d'être parmi vous aujourd'hui. Je vous présente tous mes voeux de bonne année, de bonne santé et de prospérité. Je vous remercie pour votre invitation, qui va me permettre de m'exprimer sur les sujets qui vous intéressent. Je suis à votre disposition pour répondre à vos questions.

Cette audition, qui suit la mise en oeuvre, le 16 janvier dernier, de l'accord sur le nucléaire conclu à Vienne le 14 juillet 2015, est très importante. La levée des sanctions imposées injustement et illégalement pendant des années à notre pays va permettre de mieux développer notre économie et de soulager les souffrances de notre peuple.

La déclaration de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), juste avant le début de l'application de cet accord, a bien démontré que l'Iran est un pays responsable, qui a respecté ses engagements internationaux ; il va bien entendu continuer à le faire. Nous espérons également que les membres du groupe P5+1 respecteront aussi bien leurs engagements. La France est l'un des pays importants de ce groupe : nous espérons qu'elle sera vigilante.

A la suite de cet accord, l'Iran peut jouer un rôle plus significatif dans cette région très agitée, grâce à ses ressources humaines jeunes et bien formées, à ses ressources naturelles importantes, à sa situation géopolitique et à son influence dans le monde islamique, dans cette région et sur la scène internationale. Partageant des intérêts communs avec la France à propos de certains sujets régionaux, nous pouvons travailler ensemble et dialoguer. La concertation politique a débuté il y a un an et demi, après le feu vert de M. Fabius et sa visite officielle en Iran, qui s'est très bien déroulée.

Des déplacements à haut niveau ont eu lieu entre nos deux pays, comme la visite officielle du président Larcher en Iran ; ces visites ont été très bien accueillies et vont permettre d'ouvrir la voie à une collaboration plus étroite en matière de diplomatie parlementaire sur des sujets nouveaux, qui vont permettre aux parlements de jouer leur rôle dans la résolution de certaines crises régionales.

Nous sommes à la veille de la visite officielle du président Rohani en France. Une réunion a également été prévue, à l'initiative de M. Joël Guerriau, président du groupe interparlementaire d'amitié France-Iran, la semaine prochaine, en présence du vice-ministre chargé de l'Europe et des Amériques. Le président Larcher doit également avoir un entretien avec le président Rohani. Un forum économique réunissant MM. Rohani, Valls et Macron, en présence des différents ministres iraniens, ainsi que des hommes d'affaires des deux pays, est également prévu. Environ quatre-vingts hommes d'affaires iraniens accompagneront la délégation officielle pour établir des liens avec les entreprises françaises, dont la plupart sont malheureusement absentes de ce marché de 80 millions de personnes. Ceci sera l'occasion pour le secteur privé de nos deux pays d'établir des contacts.

Certains accords et documents officiels vont être signés par les ministres concernés, ainsi que des contrats de base entre les grandes entreprises françaises et iraniennes, qui peuvent permettre une ouverture des échanges économiques et commerciaux dans un avenir proche.

La culture est un domaine important de notre relation depuis des siècles. 2015, marquait le trois-centième anniversaire de l'établissement des relations diplomatiques officielles entre l'Iran et la France. La relation entre nos deux grandes nations date de plus de six siècles. L'aspect culturel et l'aspect scientifique peuvent également jouer pour consolider nos relations. Une semaine culturelle iranienne sera inaugurée en France à l'occasion de la visite officielle du président Rohani.

Cette visite va donc ouvrir différentes portes dans les domaines économique, politique, parlementaire, scientifique, culturel, et va permettre le dialogue régional.

Le poids politique et l'influence de chacun des deux pays au Proche et Moyen-Orient peuvent aider à résoudre les problèmes et les crises qui sévissent dans cette région agitée. Nous avions, à l'époque de M. de Charrette, en 1996, mené une expérience intéressante au Liban, lorsque ce pays se trouvait dans une impasse politique dont il n'arrivait pas à sortir seul ; le dialogue politique entre M. de Charrette et son homologue iranien, M. Velayati, a permis à l'époque d'aider les Libanais. Nous avons la chance, s'agissant des différents sujets régionaux, de pouvoir travailler et réfléchir ensemble pour trouver des solutions politiques. Les crises qui malheureusement nous encerclent depuis des années n'ont que des solutions politiques. Il faut une volonté politique, de la part de tous les acteurs de la région, et hors de la région pour essayer de trouver les moyens de sortir de ces situations.

Vous avez évoqué l'incident survenu récemment avec l'Arabie saoudite. L'Iran et l'Arabie saoudite sont deux acteurs importants du monde islamique. Ils doivent résoudre leurs difficultés par le dialogue ; il y a la capacité de travailler ensemble pour parvenir à résoudre les crises existantes de la région.

Depuis son arrivée au pouvoir, le président Rohani a essayé, par ses initiatives, d'établir le dialogue avec l'Arabie saoudite. Il n'a malheureusement pas reçu des réactions convenables. Vous êtes au courant des problèmes internes que connaît l'Arabie saoudite et de sa fragilité.

L'Arabie saoudite espérait que l'accord nucléaire n'aboutirait pas et a, durant des années, abusé de la crise artificielle créée autour du nucléaire pour provoquer l'iranophobie. L'accord qui a abouti les a rendus très nerveux, d'autant qu'ils étaient critiqués à propos du soutien direct et indirect apporté au groupe terroriste Daech, qui se présente comme « l'État islamique » : or celui-ci n'a rien à voir avec l'islam ! L'islam est en effet une religion de paix, opposé à la violence. Aujourd'hui, tout le monde a bien compris qui est derrière Daech, qui le soutient, le finance et l'équipe.

L'Arabie saoudite cherchait à créer la tension afin d'empêcher l'Iran de profiter du résultat de l'accord nucléaire. Ils ont par ailleurs des problèmes avec leur minorité religieuse.

Cheik Al-Nimr, dignitaire musulman, a été fait prisonnier et condamné à mort il y a presque un an. On a essayé par différentes manières de les empêcher de le décapiter, car nous savions bien que cette exécution barbare entraînerait des conséquences. On a même attiré l'attention du président Hollande, du secrétaire général des Nations unies ou d'autres chefs d'État pour dissuader les autorités saoudiennes d'exécuter Cheik Al-Nimr. Ils n'ont malheureusement pas écouté et ont procédé à la décapitation. Ceci a entraîné maintes réactions de colère, non seulement dans les pays islamiques, mais également en Europe et ailleurs.

Malheureusement, certains éléments ont attaqué l'ambassade d'Arabie saoudite à Téhéran. Ceci a été condamné à un haut niveau en Iran, car ces actes vont à l'encontre de nos engagements internationaux. Nous les avons interpellés et formé une commission d'enquête.Nous avons bien entendu pris la décision d'indemniser l'Arabie saoudite. Ce sont des choses qui arrivent dans nombre de parties du monde. Rompre les relations diplomatiques peut-il résoudre quelque chose ? Non !

Certaines de nos ambassades, en Europe, dont en France et en Allemagne ont déjà été attaquées par le groupe terroriste que vous connaissez, les moudjahiddines du peuple. Nous n'avons pas interrompu nos relations diplomatiques : nous avons essayé de résoudre la difficulté.

Malheureusement, la nouvelle équipe saoudienne, qui manque d'expérience et qui a choisi une mauvaise politique, est furieuse de l'aboutissement de l'accord nucléaire et en plus leur politique menée en Syrie, en Irak, au Yémen, ainsi que les bombardements quotidiens contre les plus pauvres des Yéménites, n'ont pas été couronnés de succès.

Nous ne voulons pas la tension avec l'Arabie saoudite. Nous restons vigilants et insistons sur le dialogue. Certaines initiatives ont pour but de calmer le jeu. Même la France peut avoir un rôle à jouer en Arabie saoudite. Le premier ministre pakistanais est ainsi venu à Téhéran après Riyad. Différents pays ont eu des initiatives. Nous sommes accueillants et ne voulons pas entretenir de relations tendues avec l'Arabie saoudite, mais certains actes intervenus dans le Golfe persique sont provocateurs et dangereux.

Nous nous sommes jusqu'ici abstenus de toute réaction ; nous espérons que l'Arabie saoudite s'assagira, car si elle opte pour une provocation militaire, elle recevra une très forte réponse dont on ne peut prévoir les conséquences. Cependant, ils sont confrontés à un certain nombre d'autres difficultés, et nous espérons qu'ils feront preuve de sagesse. La France peut aussi jouer un rôle pour les mettre sur de bons « rails » en vue d'assurer la paix dans la région.

Daech est malheureusement toujours en Syrie et en Irak, et les manipulations étrangères sont nombreuses. Certains acteurs de la région ne souhaitent pas vraiment stopper la confrontation et aident Daech en lui achetant du pétrole, ce qui lui a permis de recruter des combattants en Europe et ailleurs, et qui constitue une menace pour la communauté internationale. Il faut une volonté réelle de celle-ci pour arrêter la confrontation et lutter contre le terrorisme.

En Syrie, nous cherchons toujours la solution politique. Nous avons soutenu les initiatives internationales sous les auspices des Nations unies. Nous espérons que la politique saoudienne n'influencera pas le processus, qui est important pour tout le monde. Il faut encourager les différents groupes d'opposants pacifiques syriens à venir autour de la table pour essayer de régler les problèmes.

On ne doit pas donner aux Syriens l'impression que ce sont les États-Unis, l'Iran, la France, ou l'Arabie saoudite, qui décident pour eux. Il faut lutter réellement contre le terrorisme et, parallèlement, travailler sur le processus politique. C'est notre principe et nous oeuvrons en ce sens. Nous sommes en contact avec le gouvernement et les différents groupes d'opposants syriens. Nous espérons que les autres acteurs auront le même comportement et chercheront à calmer le jeu.

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