Intervention de Ali Ahani

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 20 janvier 2016 à 9h32
Audition de s.e M. Ali Ahani ambassadeur de la république islamique d'iran

Ali Ahani, ambassadeur de la République islamique d'Iran :

L'aspect culturel est une question importante. Nous accordons beaucoup d'intérêt au développement des coopérations culturelles. Nous sommes désolés que la francophonie en Iran ait reculé par rapport à ce qu'elle était il y a plusieurs décennies.

Durant ma première mission en France, dont j'ai gardé bien des souvenirs, à l'époque du président Mitterrand, nous avons essayé d'introduire la langue française dans les lycées iraniens. À l'époque, la seule langue étrangère existante était l'anglais. nous avons essayé de proposer un autre choix aux lycéens et j'ai attiré l'attention des instances culturelles du Quai d'Orsay sur le fait qu'il fallait encourager plus de lycéens à opter pour le français.

La volonté existe. Nous avons aidé l'ambassade de France à Téhéran à renforcer et à officialiser le Centre de langue française. Plusieurs centaines de candidats sont actuellement inscrits pour l'apprentissage de la langue française dans ce centre.

Bien entendu, il faut préparer le terrain afin que les intéressés puissent venir facilement en France pour compléter leurs études. Malheureusement, la restriction de la délivrance des visas d'étudiants a poussé les jeunes Iraniens à aller vers d'autres pays, comme l'Allemagne, l'Angleterre, les États-Unis, etc. C'est dommage !

Le gouvernement iranien souhaite renforcer les liens culturels et scientifiques entre nos deux pays. Un accord en ce sens avec la France doit être signé durant la visite officielle du président Rohani par le ministre de l'enseignement supérieur et celui de la santé, qui sont tous deux en charge des universités.

En matière économique, le plan gouvernemental existe-t-il ? Oui, il existe. Plusieurs projets n'ont pu être finalisés auparavant, pour des raisons financières et du fait du blocage des échanges bancaires et des sanctions, en particulier avec la France. Depuis quelques mois, des négociations ont heureusement lieu entre la Banque centrale iranienne, le ministère de l'économie et des finances et la France. Un accord a été récemment signé avec la Coface pour couvrir les différents projets. Il faut bien entendu encourager les banques françaises à aider les entreprises françaises à revenir sur le marché iranien.

Il y a quelques années, les échanges entre la France et l'Iran s'élevaient à plus de 5 milliards d'euros ; ce chiffre est aujourd'hui tombé à 500 millions d'euros. C'est fort dommage. Les échanges avec l'Allemagne se sont élevés à 2 milliards d'euros l'année dernière !

Les entreprises françaises sont compétentes. Il faut leur ouvrir la route dans le domaine énergétique, industriel, automobile. Nous espérons que le PSA signe des accords pendant la visite présidentielle. J'ai eu mon rôle, durant ma première mission, aux accords de coopération avec PSA, qui ont duré plus de vingt ans ; les pressions américaines les ont obligés à arrêter. Je suis optimiste pour ce qui concerne l'agriculture, l'industrie, le domaine minier, ainsi que pour le transport - qu'il s'agisse du transport aérien, routier ou ferroviaire - et pour les activités portuaires.

Pourquoi ne pas envisager une coopération dans le domaine de la construction de centrales nucléaires, surtout après l'accord qui vient d'autoriser cette coopération ? Il faut être rapide ! Si la France ne bouge pas, ce seront les autres qui lui raviront la place ! Ce serait dommage...

Je crois aux échanges auxquels ce plan pourra donner lieu. Une délégation conduite par le MEDEF international est en ce moment à Téhéran pour mener des discussions dans le secteur pharmaceutique. Un accord doit être signé avec Sanofi à cette occasion.

En ce qui concerne l'Arabie saoudite, nous sommes désireux d'apaiser la situation actuelle ; nous ne cherchons pas du tout l'affrontement. Ce n'est dans l'intérêt ni de l'un ni de l'autre. Nous pensons pouvoir arriver à régler les difficultés actuelles ; les pays qui ont des relations fortes avec l'Arabie saoudite doivent conseiller ce pays pour qu'il corrige sa politique. Je fais ici référence à la question de Mme la sénatrice Goulet, que je remercie de ses efforts, alors que la situation était très tendue. Certaines initiatives n'ont pu être menées à bien à cause des réserves émises à l'époque par le Quai d'Orsay, du fait de la situation qui existait alors, mais je suis reconnaissant à Mme la sénatrice de ses efforts et de son amitié.

Que faut-il faire ? Vous devez attirer l'attention des Saoudiens sur le fait qu'il ne faut pas considérer l'Iran comme un rival, mais comme un partenaire. Les Saoudiens n'apprécient pas que l'Iran entretienne de bonnes relations avec certains pays de la région. À qui la faute ? Notre système politique est apprécié par leurs populations, même si c'est difficile à comprendre pour la France, pays laïc. Ce système démocratique religieux a son bilan remarquable bien qu'il y ait encore des insuffisances. L'Iran a été, durant des siècles, placé sous un régime dictatorial. Après la révolution, nous avons choisi un modèle démocratique. Même en France, la démocratie n'est pas complète et impeccable, alors qu'elle a été instaurée depuis longtemps. L'installation de la démocratie prend du temps. On ne peut pas l'injecter d'un seul coup ! Même si les lois sont bonnes, ce sont les individus qui doivent les appliquer ! On ne peut placer un contrôleur derrière chaque citoyen. Il faut laisser du temps et tenir compte des traditions et des valeurs sociales. On ne peut imposer un modèle des droits de l'homme sans tenir compte de la diversité culturelle.

L'Iran peut tirer le bilan de trente-sept ans de démocratie. Comparez-le avec ce qui se passe dans les pays qui entourent l'Iran... Certains ne savent même pas comment s'écrit le mot « démocratie » ! Quel rôle les femmes ont-elles dans ces pays ? Leur voix est-elle prise en compte ? Qu'en est-il du droit des minorités ? Ces pays ne comptent pas une seule église active, alors qu'on en compte plus de trois cents en Iran ; il existe aussi de nombreuses synagogues en activité. Des représentants de chaque minorité religieuse sont présents au Parlement : ils peuvent s'exprimer librement. Est-ce le cas ailleurs dans la région ?

Les populations de ces pays ne sont pas satisfaites de ce qui se passe chez elles, et éprouvent une certaine sympathie à l'égard de l'Iran. Nous n'intervenons pas pour autant. C'est à eux de choisir ! Il ne faut pas considérer l'Iran comme un rival. Il faut conseiller à ces pays d'être réalistes. Les données ont changé. Il faut y être attentif. Du reste, je ne suis pas d'accord pour distinguer le chiisme du sunnisme. Il existe des différences, mais tous croient en un même Dieu, au saint Coran, et en le même prophète. Tous sont musulmans. Mais il existe malheureusement, chez chacun, des éléments extrémistes. Il faut les éviter. Ceux-ci essayent de mettre de l'huile sur le feu. Ce n'est pas dans l'intérêt du monde islamique.

On sait d'où vient le wahhabisme. Il comporte certaines différences. Malheureusement, la violence de ses adeptes, leur regard dogmatique, font qu'ils sont différents des chiites. Les chiites ont un principe, l'ijtihâd, qui consiste à interpréter les principes islamiques en tenant compte de l'évolution du monde. Ce principe n'est appliqué chez les sunnites, ce qui ne signifie pas pour autant que tous soient extrémistes. Certains éléments le sont cependant, et sont inspirés du wahhabisme et financés par certains Etats de la région, qui ont préparé le terrain pour Daech.

On peut toutefois dialoguer avec l'Arabie saoudite. Nous ne sommes pas pessimistes. Il faut aller dans cette direction.

Pour ce qui est du Liban, nous partageons certains points communs avec la France. Nous insistons sur l'intégrité territoriale et nationale du Liban. Il faut travailler ensemble. On peut les aider. Le choix d'un président de la république se trouve entre les mains des chrétiens. Hier, Samir Geagea, candidat à la présidence, a décidé de soutenir Michel Aoun. Cela peut modifier l'équation. La visite officielle du président Rohani est une bonne occasion de dialoguer sur ce sujet. Nous sommes prêts à les aider, mais il faut les convaincre de trouver eux-mêmes la solution. Nous sommes en relation étroite avec le Hezbollah au Liban ; sans lui, Daech serait aujourd'hui à Beyrouth ! Nous espérons pouvoir aider les Libanais à sortir de cette situation.

Enfin, la démocratie n'est guère facile à mettre en place dans des pays comme le nôtre avec un passé dictatorial. Cela coûte parfois cher. Il faut tenir compte des différentes tendances politiques. Certaines lois doivent être améliorées mais, quand même, les différentes instances politiques actuelles en Iran sont toutes élues, à commencer par le Guide suprême. Le suffrage universel en Iran joue véritablement son rôle. Il existe évidemment des différences entre, selon vous, les modérés et les conservateurs, mais il faut être patient et continuer à renforcer la voie de la démocratie...

La démocratie est irréversible. Il faut donc continuer. Quand la population y a goûté, la démocratie ne peut plus reculer. C'est un point important et positif.

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