Je vous présente aussi à tous mes voeux les plus chaleureux pour 2016, en espérant que notre pays puisse tourner la page de cette dramatique année 2015. Nous connaissons le poids des menaces qui pèsent sur lui et les défis qu'il doit affronter en termes de sécurité. La question de l'emploi des forces armées sur le territoire national constitue l'un d'entre eux.
Le rapport sur l'opération Sentinelle s'inscrit dans une série de travaux interministériels conduits par le SGDSN. Les premiers furent menés dans le cadre du RETEX (retour d'expérience) des attentats de janvier. Ils ont été l'occasion de réviser certains outils opérationnels -la cellule interministérielle de crise et celle d'aide aux victimes-, mais aussi de rédiger un mémento d'aide à la décision en cas d'attentat -qui a notamment servi pour la mise en oeuvre de l'état d'urgence en novembre- et, plus récemment, de travailler à l'élaboration d'un nouveau cadre de protection nationale en situation de crise.
A la suite de l'attentat de Saint-Quentin-Fallavier, nous avons par ailleurs oeuvré à la réévaluation de la sécurité des sites SEVESO, pour lesquels le risque initialement pris en compte était celui d'une catastrophe industrielle et non celui d'une menace terroriste. Nous nous sommes intéressés à la problématique du criblage dans un certain nombre de sites sensibles ainsi qu'à celle de la sécurité des transports.
Enfin, nous avons engagé une réflexion sur la révision du plan Vigipirate. Durant l'année écoulée, ce plan a été adapté une quinzaine de fois, ce qui prouve sa souplesse d'emploi. Compte tenu de l'activation du contrat opérationnel de protection des armées et de la modification attendue de la loi sur l'état d'urgence, il était néanmoins nécessaire d'envisager certains aménagements. Le plan Vigipirate rénové que nous proposons devrait ainsi comporter quatre niveaux :
- un niveau « vigilance permanente » ;
- un niveau « vigilance renforcée », à partir duquel le contrat opérationnel de protection pourrait être activé (avec un déploiement d'effectifs plafonné à 7 000 soldats) ;
- un niveau « alerte attentat » déclenché immédiatement après un attentat ou en cas de menace imminente ;
- un niveau « urgence attentat » correspondant à la mise en oeuvre des dispositions résultant de la réforme de l'état d'urgence.
Nous sommes ainsi engagés dans une démarche d'évaluation de toutes les décisions prises en 2015, ce qui implique d'analyser également le déploiement massif de l'armée sur le territoire à la suite des attentats de janvier, la décision de pérenniser ce dispositif et les conséquences qui en ont été tirées en termes d'effectifs dans le cadre de la loi d'actualisation de la programmation militaire, ainsi que les mesures complémentaires prises à la suite des attentats de novembre, avec une remontée temporaire à 10 000 hommes de l'effectif déployé.
En ce qui concerne les grands principes qui ont guidé l'élaboration de ce rapport, j'ai souhaité que soit d'abord conduite une réflexion dans les différents ministères, notamment celui de la défense, avant d'en débattre au niveau interministériel afin d'aboutir à un document équilibré sur des options en partie déjà décantées.
Ce rapport ne propose pas de modifier le cadre juridique existant, qui prévoit que les armées interviennent sur réquisition du pouvoir civil, conformément à l'article L. 1142-2 du code de la défense selon lequel « le ministre de l'intérieur est responsable de la préparation et de l'exécution des politiques de sécurité intérieure et de sécurité civile qui concourent à la défense et à la sécurité nationale ». Le cadre habituel de l'emploi des forces armées sur le territoire national serait donc maintenu, même si un certain nombre d'adaptations du droit en vigueur sont envisagées, notamment dans le cadre du projet de loi sur l'état d'urgence.
Le déploiement massif de militaires sur le territoire national a permis de renouer avec une situation qu'on avait connue dans le passé, mais qui s'était profondément transformée au cours des dernières années. Depuis la fin de la guerre froide, en effet, la professionnalisation, les décisions prises en matière de gestion des effectifs, les restructurations menées, le primat donné à la projection extérieure avaient entraîné une réduction de l'empreinte de l'armée de terre sur le territoire national. Face aux événements qui ont frappé le pays, les armées, et notamment l'armée de terre, ont été amenées à souhaiter honorer davantage la mission de protection qui leur est confiée à côté des autres missions : projection extérieure, prévention, dissuasion, considérant que face à pareille menace, elles devaient être au rendez-vous des attentes de nos concitoyens, au risque sinon d'apparaître comme des armées hors-sol.
Le travail doctrinal conduit à cette occasion a d'ailleurs permis de rétablir une forme de continuité interarmées concernant la protection du territoire. De fait, si l'armée de terre avait en quelque sorte perdu l'habitude du caractère régulier sinon permanent de cette mission, tel n'était pas le cas des autres armées qui continuaient à l'assurer quotidiennement, la marine nationale à travers sa mission de sécurisation des approches maritimes et l'armée de l'air à travers sa mission de sécurisation de l'espace aérien. L'armée de terre, quant à elle, avait encore l'habitude de conduire ses déploiements sur le territoire national -notamment en cas de catastrophe naturelle- à la manière de ses opérations extérieures, dans une logique de projection, c'est-à-dire pour une durée limitée.
Certains s'interrogent sur l'utilité et sur l'efficacité de Sentinelle. Il convient de souligner à cet égard que d'autres pays font de même, comme la Belgique par exemple. Face aux situations d'urgence que nous venons de connaitre, nous devons pouvoir mobiliser des effectifs importants, substituables et immédiatement disponibles. De par leur dispersion sur l'ensemble du territoire, les forces de sécurité intérieure ne peuvent constituer une réserve de cette importance et aussi réactive. Pourquoi ne pas avoir recruté 7 000 gendarmes ? Parce qu'à la longue, gendarmes ou policiers ont vocation à s'inscrire dans des profils de carrière et les effectifs tendent à se disperser dans la chaîne territoriale, de sorte que le gisement d'emplois constitué au départ aurait rapidement disparu. Il n'était pas non plus question de créer des escadrons de gendarmerie mobile ou des compagnies républicaines de sécurité qui sont d'abord destinés à répondre aux besoins du maintien de l'ordre ou encore une force spécialisée dans la protection des sites. A l'inverse, les forces armées offrent une souplesse d'emploi dont nous avons besoin et propose à ses personnels des missions fort variées. Nous veillons d'ailleurs à ce que ne s'instaure pas une spécialisation au sein de l'armée de terre sur la seule mission de protection. Les armées disposent en outre de capacités que les forces civiles n'ont pas, que ce soit en termes d'infrastructures, de génie ou encore de lutte contre la menace nucléaire, radiologique, bactériologique et chimique (NRBC). Elles ont enfin une grande expérience en matière de planification des missions et de commandement.
Forte de ces atouts, l'armée de terre est-elle pour autant parfaitement adaptée à cette mission de protection du territoire national ?
S'agissant de l'équipement, il a été jugé souhaitable que les militaires du rang conservent leurs armes habituelles, afin de ne pas complexifier la formation. Cela ne fait pas obstacle à ce que les cadres, officiers et sous-officiers, soient équipés différemment. Comme avant toute mission, une période de formation, d'une durée d'environ quinze jours, est par ailleurs prévue avant l'entrée dans le dispositif Sentinelle.
S'agissant des conditions d'hébergement, des améliorations sont nécessaires. Les sujétions ne doivent pas être excessives et ce qui a été conçu et accepté dans l'urgence après les attentats de janvier 2015 ne doit pas devenir la norme.
Faut-il adapter les règles d'usage des armes ? Certains ont évoqué une évolution de la règle de légitime défense. Lors de l'assaut de Saint-Denis, les forces militaires ont été déployées ; et lors de l'attentat du Bataclan, un peloton de militaires qui était proche des lieux s'est trouvé en situation de pouvoir agir. Ces exemples illustrent l'utilité des forces militaires déployées dans le cadre de « Sentinelle » à des fins à la fois préventives ou dissuasives ou même en soutien des forces de sécurité intérieure. Les militaires bénéficient de leur expérience sur des théâtres à l'étranger qui leur permet d'assurer dans l'urgence ce type de mission, en appui des forces de sécurité intérieure.
Dans ce contexte, des évolutions juridiques sont envisagées pour harmoniser les règles d'ouverture du feu des militaires, des gendarmes et des policiers dans des circonstances données, afin que le régime de responsabilité pénale puisse se lire de la même manière pour tous.