Je reviens sur une réponse que je n'ai pas apportée. Vous m'avez posé la fameuse question adressée à Raymond Aron : que ferais-je si j'étais conseiller du Président de la République ? J'y répondrai en bottant en touche, n'étant heureusement pas décideur politique, toute décision ou absence de décision étant en quelque sorte mauvaise dans le contexte d'aujourd'hui ! Je dirais, pour saluer le Sénat, que la question palestinienne est la démonstration de l'erreur de la théorie du président Queuille, pour qui il n'existait pas de problème qu'une absence de solution ne permette de régler un jour : ce n'est pas le cas, de ce point de vue !
En ce qui concerne Israël et la Palestine, l'hypocrisie est internationale. On a défini le droit par un jeu de résolutions de l'ONU, pas seulement la 242, mais aussi un certain nombre d'autres résolutions du Conseil de sécurité, en particulier à propos de Jérusalem. Aucune des résolutions de l'ONU n'est sous le chapitre 7. On peut définir le droit, mais cela ne sert à rien si l'on ne se donne pas les moyens de l'appliquer.
Vous avez parfaitement raison à propos de la faiblesse théologique du sunnisme et sur le fait que le salafisme constitue un appauvrissement de la théologie. Le salafisme n'est toutefois pas né avec l'Arabie saoudite : il remonte à plus d'un siècle. Cet appauvrissement intellectuel et moral que représente le salafisme est une véritable catastrophe par rapport à la richesse du modernisme de la même période, mais j'ai toujours eu des doutes sur le fait de faire porter la responsabilité du salafisme aux Saoudiens, même s'ils sont eux-mêmes pratiquement salafistes, dans la mesure où le salafisme existait avant l'Arabie saoudite. Il était déjà diffusé ailleurs que dans la péninsule arabique. Certes, la propagande saoudienne a joué à une certaine époque, mais cela n'a pas suffi, loin de là, ceci correspondant à des attentes de fractions conséquentes de la population, séduites par sa simplicité.
L'argument d'un accord entre les États-Unis et les Al Saoud en 1945 pour obtenir un pétrole peu cher ne tient pas. L'économie pétrolière était à cette époque cartellisée et régulée par les majors. En fait, la stratégie américaine, en 1945, n'était pas celle-là. Il s'agissait de reconstruire l'économie européenne, à l'aide du plan Marshall, grâce au pétrole arabe. Ceci figure noir sur blanc dans les écrits des stratèges américains entre 1945 et 1947, qui considéraient que l'Europe ne pourrait se relever qu'avec l'aide du pétrole du monde arabe. Il ne s'agissait donc pas d'exporter ce pétrole vers le continent américain.
Aujourd'hui, il existe certes de fortes tensions, mais les choses sont plus compliquées. M. Obama pense que les États-Unis n'ont pas intérêt à s'engager dans une guerre, et il essaie d'en faire le moins possible. Cela ne veut pas dire qu'il renonce à tuer : il a utilisé systématiquement les drones. Les instruments sont surtout toujours là : la question américaine est plus une question de volonté d'utiliser des instruments que de non-existence de ces instruments. La sixième flotte est toujours en Méditerranée, et la cinquième flotte se trouve toujours dans l'océan Indien. Le CENTCOM est toujours, quant à lui, au Qatar. Rien n'a donc bougé dans le dispositif militaire américain, même si M. Obama a préféré le déplacer vers la mer de Chine. Cela signifie que ses successeurs disposeront toujours des mêmes instruments, ceux-ci n'ayant pas été déplacés. En tout cas, en l'état actuel de la campagne électorale américaine, même Mme Clinton a des positions plus dures que celles du président Obama.
Pour les Saoudiens, la question est aussi celle de la succession. Il y a changement de direction et il semble qu'il y ait de fortes tensions à l'intérieur à de la famille royale - même si on n'en sait pas plus.