Intervention de Henry Laurens

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 13 janvier 2016 à 9h35
Situation au moyen-orient — Audition de M. Henry Laurens professeur au collège de france chaire histoire contemporaine du monde arabe

Henry Laurens :

S'agissant de l'économie, de l'effondrement de la rente pétrolière, de l'augmentation du circuit de la vente d'armes, la Russie essaye visiblement de gagner un peu d'argent en vendant massivement de l'armement. C'est un peu aussi notre travers : on a démontré les capacités du Rafale et des Exocet, ce qui a permis de susciter l'intérêt d'un certain nombre de pays...

L'islam est complexe. On ne sait pas toujours ce que c'est, car l'islam est ce qu'en font les musulmans ; or il existe une variété considérable de musulmans, et donc d'islams. De ce point de vue, en effet, l'islam est en quelque sorte un islam hérité de la fin du XIXe siècle, c'est-à-dire un contre-projet par rapport à la culture et la domination occidentale, un contre-projet semi-utopique, car il est absurde de vouloir revenir au VIIe siècle pour résoudre des problèmes du XXIe siècle. C'était l'une des clés du printemps arabe, qui a malheureusement avorté. En 2011-2012, en tout cas en Égypte, on pouvait démontrer que l'islam n'était pas la solution : le coup d'État en Égypte a empêché de le faire. De ce point de vue, cela n'a pas été positif.

Cela étant, je rappelle que c'est au lendemain des guerres de religion que les Lumières se sont allumées en Europe, précisément par rejet de ce qui s'était passé, ce que l'on appelait jadis la « crise de conscience européenne » - livre célèbre. Sans bien évidemment pouvoir lire dans une boule de cristal, on peut estimer que des myriades de petits signes apparaissent dans les sociétés musulmanes. On constate que de plus en plus de personnes contestent la domination religieuse ; on assiste à la multiplication des affaires dites de « blasphème », et les procès d'atteinte à la religion se multiplient. Ce sont des indicateurs qui démontrent que quelque chose est en train de se produire. Je ne peux en dire plus : je ne puis vous dire qu'ils vont se laïciser, je n'y crois pas ; mais quelque chose de différent est en train d'émerger dans ces sociétés.

Encore une fois, je crois que la volonté la plus élémentaire des populations, musulmanes ou non, est de vivre une vie normale et décente. C'était le moteur de 2011, et c'est celui de la grande migration actuelle. Le problème vient du fait que l'Europe ne peut fournir aux migrants ce qu'ils demandent. C'est un autre sujet...

En ce qui concerne les agressions sexuelles, vous avez parfaitement raison. Ce sont des choses qui s'étaient déroulées en Égypte et que l'on ne s'attendait pas à voir survenir ici. C'est une combinaison d'éléments anthropologiques et économiques qui fait que le freinage démographique de cette région du monde s'est fait en propulsant l'âge du mariage au-delà de trente ans. En admettant en même temps une morale sexuelle impitoyable, on crée une frustration qui est l'un des moteurs de la violence. Il suffit de considérer tout l'aspect sexuel contenu dans le djihadisme, que l'on rencontrait déjà dans l'Algérie des années 1990, pour comprendre qu'une partie de cette violence provient de ces frustrations. Je dois dire aussi que certains migrants passent par de telles épreuves humaines, durant leur traversée vers l'Europe, que certains perdent beaucoup de moralité.

Cela me rappelle le magnifique film d'Elia Kazan, « America, America », qui raconte l'odyssée d'un jeune Arménien vers les États-Unis. Finalement, il arrive à faire des choses épouvantables pour parvenir à Ellis Island. Cela se passe avant 1914. « America, America », c'est un peu aujourd'hui la situation de ces populations qui affluent vers l'Europe, avec des personnes qui perdent beaucoup en route.

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