J'évoquerai la situation au Levant et en Libye mais aussi au Sahel et en République centrafricaine.
Il est vrai que l'actualité évolue sans cesse, mais il ne faudrait pas banaliser la tragédie qui a frappé la France il y a moins d'un mois. La situation reste en effet très préoccupante et nous oblige à garder et à améliorer notre posture d'extrême vigilance et à renforcer nos capacités. Les renseignements dont je dispose montrent qu'il faut continuer à sensibiliser la population au fait que nous sommes en état d'urgence et que la menace demeure.
En ce qui concerne le Levant, la situation est encourageante en Irak, où la coalition a repris Baiji et, avec l'appui des peshmergas, Sinjar. La route entre Mossoul et Raqqa est désormais coupée. Ramadi pourrait être prochainement reprise par la coalition avec une préparation politique opportune impliquant la participation de toutes les forces sunnites pour éviter une situation comme à Tikrit. La progression est bonne et la France y contribue. Encore ce matin, des frappes françaises menées par des Rafale ont eu lieu à Al Qaim à la frontière syrienne, avec, pour la première fois, des missiles de croisière, contre des centres de commandement et d'entraînement. Le porte-avions Charles de Gaulle est en route vers le Golfe arabo-persique où il va relayer un porte-avions américain et sera pour un temps le seul porte-avions sur zone, il commandera la Task Force 50.
En Syrie, les difficultés se concentrent à l'ouest, à la frontière avec la Turquie, où les armées loyalistes, soutenues par la Russie et les pasdarans iraniens, grignotent les territoires contrôlés par les insurgés, mais moins vite qu'ils ne l'espéraient. La présence russe est significative avec une quarantaine d'avions de chasse basés près de Lattaquié. La Russie engage également son aviation à long rayon d'action, pour les frappes menées contre Raqqa et Deir Eizzor par des bombardiers décollant de l'aérodrome de Mozdok au sud de la Géorgie ou encore elle effectue des tirs de missiles depuis le croiseur Moskva au large de Lattaquié. On note une inflexion de l'action militaire russe. Nous estimons ainsi que les frappes contre Daech représentent entre 20 et 30 % du total des frappes russes ces dernières semaines, contre 5 % auparavant.
Concernant le soutien aux insurgés, l'action militaire américaine et française s'est renforcée, confortée depuis peu par les frappes britanniques.
Parallèlement, un processus politique est nécessaire, qui doit s'appuyer sur les pourparlers de Vienne. Le communiqué adopté à Vienne en novembre prévoit des négociations inter-syriennes, un cessez-le-feu généralisé et un calendrier de transition. Depuis, des avancées sont constatées. L'Arabie saoudite a accueilli la semaine dernière à Riyad une réunion rassemblant des groupes armés syriens et des opposants politiques, qui a permis l'adoption d'une déclaration posant des principes clairs pour la transition politique vers un Etat démocratique, le rejet du terrorisme et l'établissement d'une représentation unifiée des opposants politiques et des groupes armés, avec une assemblée plénière réunissant tous les groupes et un comité directeur d'une quinzaine de membres chargés de mener les négociations au nom de tous.
Dans le même temps, toujours dans le cadre du processus de Vienne, la Jordanie coordonne une initiative visant à établir une liste des groupes reconnus comme terroristes, permettant d'identifier a contrario ceux avec lesquels il est possible de dialoguer. Cette initiative donne lieu à débat, notamment sur le groupe Ahrar Al-Sham et en son sein.
L'objectif est l'ouverture en janvier d'une période de négociation de six mois environ, afin de définir les contours de la future transition et les modalités d'un cessez-le-feu.
Avec les Russes, il ne s'agit pour le moment pas de coalition mais de coordination. Je vais rencontrer prochainement mon homologue russe pour examiner s'il est possible de faire progresser cette coordination. La question qui se pose avec la Russie est de savoir comment nous pouvons faire pour éliminer Daech ensemble dès lors qu'il serait reconnu comme notre principal ennemi commun.
Au Liban, nous avons cru pouvoir aboutir à une solution politique, mais celle-ci ne semble pas progresser et la situation reste instable. Nous restons présents dans le cadre de la FINUL et continuons à chercher à soutenir l'armée libanaise, institution stable dans la défense du pays.
La Libye est notre préoccupation constante depuis deux ans. Daech profite du désordre et de la partition du pays entre deux gouvernements. Implanté à Syrte au Nord, Daech étend son emprise vers le sud et les champs pétroliers, vers l'ouest et la Tunisie, dans les camps de Sabratha en particulier, et vers l'est notamment à Ajdablya, contrôlant désormais 250 kilomètres de côtes.
Le risque est, d'une part, celui d'un transfert de combattants étrangers venant du Levant, d'autre part, celui du ralliement de groupes terroristes au sud, qui permettrait une jonction avec le nord du Niger et mettrait à profit les tensions entre Toubous et Touaregs.
Le danger est proche, Syrte étant à 350 kilomètres de l'île italienne de Lampedusa.
Le nouveau représentant des Nations unies, M. Martin Kobler, qui a remplacé M. Bernardino León, tente d'accélérer les négociations entre les autorités de Tobrouk et de Tripoli afin d'aboutir avant la fin de l'année à la constitution d'un gouvernement d'union nationale, une nouvelle réunion à ce sujet devant se tenir demain à Skhirat au Maroc.
A Rome, il y a eu une initiative dans le même sens. On ne peut cependant exclure le risque qu'apparaisse un troisième gouvernement d'union nationale, constitué de tous ceux qui auront bien voulu le rejoindre, alors que demeureraient les deux autres gouvernements, constitués de ceux qui auraient refusé d'y participer. Trois questions vont par ailleurs se poser : la sécurisation du gouvernement d'union nationale, le désarmement et la maîtrise des ressources de la Libye. Si le gouvernement d'union nationale est constitué et reconnu, il sera, en outre, possible de passer à la phase 3 de l'opération militaire de l'Union européenne dans la partie sud de la Méditerranée centrale (EUNAVFOR MED), qui permettra d'intervenir dans les eaux territoriales libyennes et au sol pour éradiquer les trafics.
Au Mali, l'attentat de Bamako ne doit pas nous conduire à oublier l'essentiel : depuis janvier 2013, nous sommes parvenus à neutraliser en grande partie les groupes terroristes. Barkhane a pour rôle d'éviter la reconstitution de leur puissance, dans un contexte de grande fragilité de la Libye. Des actions sont très régulièrement menées dans le nord du pays.
Le dénouement de la prise d'otages de Bamako a été largement favorisé par l'engagement dans les plus brefs délais de 45 de nos forces spéciales basées à Ouagadougou et du GIGN malien. Ils ont, en quelques heures, neutralisé les deux terroristes et permis de limiter le drame. L'attentat de Bamako a été perpétré par deux individus appartenant au groupe Al Morabitoune de Mokhtar Belmokhtar, issu de la fusion du Mujao et des Signataires par le sang, et qui combine fondamentalisme et brigandage. Nous poursuivons la traque de Mokhtar Belmokhtar. Le groupe Ansar Dine, dont le chef est Iyad Ag Ghali, subsiste également. Globalement, nous avons bien progressé. Notre vigilance reste toutefois intacte. Dans le Sud du Mali, s'organise actuellement un groupe lié à Al Qaïda, le front de libération du Macina, qui rassemble des Peuls et a commis quelques opérations aux frontières avec le Niger et avec le Burkina Faso.
Dans ce contexte, nous devons maintenir la pression à partir de nos bases de Faya Largeau, Tessalit, Madama et Abéché. Il faut également orienter l'action de la mission European Union Training Mission in Mali (EUTM Mali) vers l'application des aspects militaires des accords d'Alger et de Bamako, qui se traduisent déjà de manière remarquable par des patrouilles armées communes entre les groupes signataires de ces accords et l'armée malienne. Il convient de mener à bien le processus de désarmement et de réintégration au sein de l'armée régulière malienne. Lors de la dernière réunion des ministres de la défense des pays membres de l'Union européenne, j'ai plaidé auprès de mes homologues pour que la feuille de route de l'EUTM soit orientée en ce sens.
En République centrafricaine, la situation s'est globalement stabilisée. Nous avions quelques craintes, dans le contexte, sur la visite du Pape François, mais celle-ci a eu un effet plutôt apaisant. Le référendum de dimanche dernier a permis à 70% de la population centrafricaine de s'exprimer. 80% des bureaux de vote étaient ouverts. Il y a certes eu des tensions dans certains quartiers de Bangui mais globalement le bilan est très satisfaisant. Le succès de ce scrutin va permettre d'organiser les élections présidentielles du 27 décembre prochain, pour lesquelles 40 candidats se sont déjà déclarés. Parmi ceux-ci, la Cour suprême ne validera pas ceux qui sont susceptibles d'être convoqués ultérieurement devant la Cour pénale internationale, tels M. Bozizé par exemple. Il restera ainsi une vingtaine de candidats. Les élections devraient avoir lieu dans de bonnes questions même si certains acteurs restent défavorables au processus de paix.
Les forces françaises de Sangaris ont été maintenues à 900 hommes suite aux poussées de violence de ces deux derniers mois. Nous pourrons sans doute diminuer progressivement cet effectif l'année prochaine, après les processus électoraux.
À cet égard, nous devrions pouvoir bénéficier d'une mission d'appui européenne au secteur de la défense centrafricain semblable, à une échelle plus réduite, à l'EUTM Mali. Il s'agira de permettre au futur Président de la République de disposer d'un outil militaire structuré, cohérent et loyal. Cette nouvelle mission européenne viendra en complément de la MINUSCA, la force des Nations unies en RCA, qui a permis, avec le soutien de Sangaris, la visite du pape François.
En ce qui concerne Boko Haram, les différents États de la région (Nigéria, Niger, Tchad et Cameroun) ont mis en place une Force multinationale mixte avec un état-major basé à N'Djamena, comme Barkhane, ce qui favorise les liens entre les deux opérations. Malheureusement, Boko Haram est toujours actif, notamment dans la forêt de Sambisa et autour du Lac Tchad, avec des attentats-suicides dans des marchés. Toutefois, il s'agit désormais d'opérations ponctuelles et pas d'actions menées par une véritable armée.
Lors de la COP 21, j'ai rencontré plusieurs chefs d'Etat des pays concernés, qui m'ont fait part de leur optimisme à condition qu'une action énergique se poursuive.
Les Américains ont contribué aux opérations par un apport de 300 hommes et des drones au Nord Cameroun, tandis que les Britanniques ont envoyé une soixantaine de personnels militaires des forces spéciales en soutien de la Force multinationale mixte.
Enfin, il existe sans doute des liens entre Boko Haram et Daech en Libye, bien que nous n'en ayons pas de preuve formelle. Certains chefs d'Etat de la région affirment en détenir. N'oublions pas que le leader de Boko Haram a prêté allégeance à Daech il y a plus d'un an. Il pourrait avoir envoyé des combattants se former auprès de Daech à Syrte.