Intervention de Jean-Yves Le Drian

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 15 décembre 2015 à 15h03
Audition de M. Jean-Yves Le drian ministre de la défense

Jean-Yves Le Drian, ministre :

En réponse à la question de M. Jacques Gautier, il me semble que l'interrogation centrale relative à l'intervention de la Russie est celle de l'agenda. Pourquoi la Russie intervient-elle maintenant et pour défendre quels intérêts ? Il est évident que la Syrie est considérée par la Russie depuis longtemps comme une région stratégique garantissant un accès direct aux mers chaudes. La deuxième raison que je vois à leur intervention et leur volonté d'être présents dans les discussions diplomatiques visant à régler la situation syrienne, en nette accélération ces derniers mois, c'est une question de statut. La troisième raison, qu'il ne faut pas négliger, est que les combattants étrangers de Daech comprennent des russophones qui peuvent menacer la sécurité de la Russie. L'attentat subi par l'avion russe qui s'est écrasé en Égypte a suscité une inflexion de la politique de frappes aériennes de la Russie. À cela il faut ajouter un élément de contexte. Il semble que les Russes ont longtemps surestimé la capacité des forces syriennes loyalistes : ils doivent s'engager plus avant et plus longtemps que prévu en soutien de Bachar el Assad.

Mais nous ne pouvons pas nous satisfaire d'un pourcentage de 20 à 30 % des frappes russes contre Daech, le reste des frappes ciblant les forces rebelles qui sont parties de la concertation menée à Riyad. Je profiterai de ma rencontre la semaine prochaine avec le ministre de la défense russe pour évoquer ces sujets.

S'agissant des frappes visant les camions transportant du pétrole, il convient de noter que les choix ont été modifiés afin de permettre de mener ces actions indispensables, tout en limitant les dommages collatéraux par des campagnes de distribution de tracts prévenant des frappes. La France entend naturellement, quant à elle, limiter au maximum les dégâts « collatéraux » pour ses frappes.

En réponse à M. Henri de Raincourt, je vous précise qu'il existe deux types de frappes aériennes. Les frappes dites « planifiées » qui visent des objectifs définis au préalable par la coalition. Un travail de vérification des renseignements permet de s'assurer en amont de l'absence de dégâts collatéraux. Sont par exemple visés des centres d'entraînement et de commandement. Les frappes dites « d'opportunité » concernent des cibles repérées lors des sorties des avions. Une demande est alors faite par le pilote ou du personnel au sol et la chaîne de commandement vérifie et valide la cible avant d'autoriser la frappe.

En Syrie, nous n'étions que deux pays à frapper cers dernières semaines ; nous sommes désormais trois avec le Royaume-Uni. Nous venons d'utiliser pour la première fois avec succès des missiles SCALP au cours des raids menés ce matin.

En ce qui concerne les opérations contre les passeurs en Libye, j'ai toujours considéré que l'opération Mare Nostrum n'avait pas du tout eu l'effet escompté, bien au contraire. Quant à l'opération Sophia, la phase 1 de fusion des renseignements à l'Etat-major situé à Rome et la phase 2a d'interception des bateaux et de sauvetage des réfugiés dans les eaux internationales ne prendront leur sens que si l'on peut passer à la phase 2b et à la phase 3 qui impliquent l'entrée dans les eaux territoriales de la Libye. Ceci ne sera possible que si un accord politique émerge dans ce pays. C'est à cette condition que nous pourrons éviter un nouvel afflux de réfugiés au printemps prochain. Ce dispositif est le seul dont nous disposons. Il s'appuie sur plusieurs frégates (belge, britannique, allemande, italienne, espagnole) qui se relaient.

En ce qui concerne l'aide au Liban, le contrat d'armement de l'armée libanaise a été un moment suspendu, notamment de crainte que certains équipements ne soient transmis au Hezbollah. Toutefois, ce qui devait être livré en 2015 l'a bien été.

Nous nous félicitons que 650 soldats allemands rejoignent la MINUSMA au Mali et je ne peux imaginer l'armée allemande se déployer avec des équipements insuffisants. Le fait que l'Allemagne ait décidé, dans la même semaine, d'envoyer en Syrie des Tornados, un ravitailleur, ainsi qu'une frégate pour accompagner le Charles-de-Gaulle et de renforcer l'aide à la formation des peshmergas est tout de même remarquable. Le chemin parcouru depuis quelques années est très important, notamment parce qu'un grand débat s'est tenu en Allemagne sur ces sujets, notamment à l'initiative de ma collègue, Mme Van der Leyen.

Notre scénario optimiste en Syrie, c'est de parvenir, avec les Américains et les Britanniques, à la déstabilisation de Daech par des coups portés à ses lieux de commandement, ses centres d'entraînement, ainsi que, désormais, aux zones permettant la production ou l'acheminement de frêt ou de richesses. Ainsi, c'est à Raqqa que se trouvaient pour l'essentiel les centres d'entraînement de combattants étrangers, que les Russes frappent désormais également. L'objectif est de faire tomber Raqqa, l'une des capitales déclarées de Daech. Il s'agit de rendre possible une prise de la ville par des forces locales au sol par une action combinée de frappes aériennes et d'appui à ces forces. Celles-ci ne devront toutefois pas être seulement kurdes, car il ne s'agit pas d'une zone d'influence kurde mais d'une zone arabe Sunnite. Nous y travaillons avec les Américains. Il s'agit ainsi de forcer les combattants de Daech à se replier afin que des forces au sol reprennent les territoires libérés et soient en mesure d'aider au rétablissement de l'autorité. La poursuite du processus politique devra ensuite permettre d'assurer la stabilité globale de la situation.

Nous avons effectivement eu des tensions sur les munitions du fait de l'intensité de nos frappes. Depuis le 13 novembre, nous avons tiré plus de 150 munitions ; plus de 770 depuis septembre 2014. Nous ferons bien sûr en sorte d'éviter toute pénurie. Nous avons d'ailleurs prévu 80 millions d'euros supplémentaires à cet effet dans le PLF 2016. Depuis le 13 novembre, nous avons détruit, notamment, quatre centres de commandement, trois centres d'entraînement, un site de stockage d'explosifs, un dépôt d'armement et plusieurs sites d'exploitation pétrolière ainsi que des convois.

Par ailleurs, nous formons des Kurdes irakiens et nous les aidons techniquement. Nous formons également l'Iraqi Counter Terrorism Service (ICTS), les forces de sécurité irakiennes d'élite à Bagdad. Nous sommes particulièrement présents à Erbil et aux environs. Les autorités de défense irakiennes sont informées de nos livraisons de matériels à Erbil dans le cadre d'un protocole.

En ce qui concerne les conséquences de nos frappes en termes de flux de réfugiés, nous avons observé des départs de Raqqa, mais pas dans des proportions importantes.

Enfin, nous aurons peut-être un cessez-le-feu si le processus de Vienne va à son terme, mais pas à courte échéance.

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