Quand on parle d'évasion fiscale, il faut distinguer trois zones. La première, que je qualifierai de zone blanche, repose sur des schémas légaux : le parlement vote une incitation fiscale, et les entreprises en profitent, sans sortir du cadre de la loi. La zone noire est celle de la fraude. Entre les deux, il y a une zone grise, avec de multiples nuances : elle va de pratiques qui, tout en restant légales, sont contraires à l'esprit qui animait le législateur, jusqu'à l'abus de droit. Or, c'est au juge qu'il revient de trancher s'il y a ou non abus de droit. On se trouve ainsi sur la crête. Bien souvent, les entreprises, tout en agissant dans un cadre légal, pratiquent une planification fiscale agressive.
Quels sont les volumes en cause, et dans quelles zones géographiques ? Le monde des affaires a changé en l'espace de deux ou trois décennies. La création de la chaîne de valeur repose de plus en plus sur les incorporels, plus faciles à délocaliser. L'OCDE est d'ailleurs attaquée aux États-Unis au motif que les recommandations du projet BEPS interdisent désormais à une entreprise qui délocalise ses profits aux Bermudes tout en maintenant ses emplois à Palo Alto en Californie. On nous reproche ainsi de provoquer des pertes d'emplois.
Tous les secteurs sont touchés par la concentration de la valeur sur les incorporels et ce phénomène de planification fiscale agressive, même si les entreprises du numérique ou encore les entreprises pharmaceutiques, où les licences comptent pour beaucoup, sont davantage concernées.
Dans la répartition géographique, plusieurs facteurs entrent en jeu. En premier lieu, plus le niveau de fiscalité globale est élevé, plus les entreprises sont incitées à planifier. Les États-Unis, avec un impôt sur les sociétés fédéral de 35 %, associé à un différé d'impôt sans limite tant que les bénéfices ne sont pas rapatriés, en sont l'illustration parfaite. Si l'on considère que les 2 100 milliards de dollars bloqués aux Bermudes devraient faire l'objet d'une taxation à 35 %, les États-Unis auraient perdu plus de 700 milliards de dollars d'impôt. Les pays européens, entre lesquels la compétition fiscale est forte, sont également concernés.
Y a-t-il une position unique de la zone euro ? Tout ce que l'on peut dire, c'est qu'il y a une position unique de l'ensemble des pays du G20 et de l'OCDE : c'est le projet BEPS. En revanche, des différences de sensibilité persistent. Les positions d'un pays comme l'Irlande ne sont pas totalement alignées sur celles d'un pays comme la France. Mais au cours des dernières années, l'Irlande, le Luxembourg, la Suisse, les Pays-Bas, la Belgique, petites économies ouvertes très concernées par la planification fiscale ont décidé de rejoindre les pays de l'OCDE, comprenant que s'ils ne participaient pas au mouvement, ils feraient l'objet de mesures unilatérales de rétorsion dommageables pour leur économie. C'est en quoi nous avons, à mon sens, engagé une dynamique de changement.
Quelle est la fiabilité des déclarations de reporting pays par pays ? Nous ne sommes pas encore dans la phase du contrôle, nous n'en sommes qu'à espérer qu'elles seront correctement remplies et échangées à l'horizon 2017-2018. Il est vrai qu'il faudra, à un moment, en vérifier la crédibilité. Nous avons laissé beaucoup de flexibilité aux entreprises, par souci de réalisme, ce qui a d'ailleurs été un peu critiqué. Nous n'avons pas cherché à concevoir un système parfait, d'un cartésianisme à la française, qui fonctionnerait à coup sûr. Mais partant de rien, et face aux oppositions fortes des entreprises et aux réticences significatives de certains pays, nous avons privilégié le pragmatisme. Nous avons fixé un seuil assez élevé, de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires, pour voir dans un premier temps ce que ces dispositions donneront avec les grandes entreprises. Nous les avons laissées libres de décider de la façon de consolider leurs comptes - top down ou bottom up - du moment qu'elles fournissaient un reporting pays par pays sur les sept points que j'ai mentionnés. Cela vise à donner une vision du paysage de l'entreprise : ses activités sont-elles localisées en Europe ou en Chine alors que ses profits se trouvent aux Bermudes ?
Quand ces mesures feront-elles sentir leurs effets ? L'action 11 permettra, grâce à des indicateurs précis, de l'évaluer. Ce qui est clair, si j'en crois ce que j'entends des avocats américains ou luxembourgeois, c'est que les choses bougent : plus aucune structure ne se met en place aux Bermudes ; nombreuses sont celles qui sont en cours de démantèlement dans d'autres pays. Bien des entreprises sont en train de changer leurs pratiques, même si certaines, comme les entreprises américaines, poussent de hauts cris en clamant qu'elles vont subir une double imposition - le fait est qu'en cette période de bouleversement, un tel risque n'est pas à exclure, qu'il faudra traiter.
Tout cela ne signifie pas pour autant que 100 à 250 milliards de dollars vont immédiatement rentrer dans les caisses des États. Il y aura assurément un élargissement des bases, mais qui peut se traduire par une diminution des taux. C'est ce que vont faire un certain nombre de pays. Même un pays comme l'Irlande a connu, au cours des derniers mois, une augmentation du rendement de l'impôt sur les sociétés de 30 % ou 40 %, parce que des profits jusqu'à présent localisés aux Bermudes correspondaient à des activités réelles sur son sol. Le temps de la planification fiscale agressive facilitée, acceptée, encouragée par les États est révolu. Les grandes entreprises sont en train de revoir leur modèle d'affaires - ceci pour le plus grand bonheur des entreprises de conseil, auxquelles il est désormais demandé de donner des conseils de conformité, ce qui vaut toujours mieux que d'encourager à l'évasion fiscale.
Faut-il prendre des mesures unilatérales sur l'économie numérique ? C'est une très bonne question. Notre rapport concluait, sur l'action 1, en trois points. En premier lieu, le rapport soulignait qu'il n'y a pas à proprement parler d'économie numérique, et que c'est bien plutôt de numérisation de l'économie qu'il convient de parler. Ce qui engage à éviter les solutions trop ciblées sur un secteur, très vite vouées à l'obsolescence. En deuxième lieu, cependant, le fait que l'économie se numérise accroît les risques d'érosion des bases et de transfert des profits, parce que les incorporels comptent davantage, parce que ces entreprises plus neuves, manquant d'une tradition d'interaction avec les États, sont beaucoup plus agressives dans leur planification, et enfin parce que le secteur, n'étant pas stabilisé, compte de nombreuses entreprises en création, un moment où l'on est un peu en dehors des clous, et donc des normes fiscales. Les mesures du projet BEPS relatives aux prix de transfert et aux conventions fiscales sont précisément faites pour régler le problème. En troisième lieu, le rapport concluait que tout cela ne suffirait pas, mais qu'il n'y avait consensus sur aucune des options en présence. Nous en avons examiné trois : peut-on taxer, ainsi que le recommandait le rapport de Pierre Collin et Nicolas Colin, la collecte de données ? Peut-on taxer des flux, à partir d'un chiffre d'affaires ? Une entreprise qui n'est pas présente physiquement dans un pays peut en effet, sans y être un acteur fiscal, y réaliser un chiffre d'affaire important. Peut-on combiner les deux premières options ? Les pays sont souverains et peuvent en décider librement, mais j'aurais tendance à conseiller d'attendre que la situation se décante. On m'objectera qu'attendre, c'est perdre de l'argent - à quoi je réponds que donner un coup d'épée dans l'eau en adoptant une disposition qui fera peut-être la une des medias mais ne se révèlera, in fine, peu utile, n'est pas de bonne politique. Attendre n'est pas rester inactif : il s'agit de voir ce que donnent les mesures du plan BEPS. Le volet TVA, très important, doit faire l'objet de la plus grande attention. S'il s'agit de taxer des flux, la TVA est plus appropriée que l'impôt sur les sociétés, qui s'apparente à un impôt sur le revenu.
Il n'existe pas de « livre noir » des paradis fiscaux. Ce que l'on peut dire, c'est qu'ils sont nombreux, trop nombreux. L'OCDE agit, dans le cadre du Forum mondial, en vérifiant ce que font les États lorsqu'ils ont pris des engagements en matière de coopération fiscale. Le Forum mondial a un pouvoir de contrôle : nous envoyons des équipes dans les pays concernés, comme ce fut le cas au Panama la semaine dernière, pour voir comment y est appliqué le standard d'échange de renseignements à la demande. Nous avons considéré, assez généreusement, que le cadre législatif était en place, ce qui permet au pays de passer de la « phase 1 » à la « phase 2 ». Il s'agit maintenant de voir ce qu'il en est en pratique. Nous allons procéder de la même manière pour l'échange automatique de renseignements. Je vous encourage à lire les rapports du Forum mondial, qui livrent des tableaux avec un code couleur. Les pays dépourvus du cadre légal et réglementaire, une douzaine - qui ne sont pas des places financières majeures mais plutôt des pays prisonniers de leur ploutocratie - apparaissent en rouge. Lorsque le cadre légal existe, nous observons, ensuite, sa mise en pratique, comme cela est le cas au Panama. Lorsque le pays n'est pas conforme, nous le dénonçons aussitôt, comme cela a été le cas de Chypre, du Luxembourg, des Seychelles, des Îles vierges britanniques. Dans les trois mois qui ont suivi, ces pays ont radicalement modifié leur approche, ainsi qu'un nouvel examen sur place nous a permis de le constater. Le Luxembourg, qui avait résisté jusqu'à la dernière minute a, sous l'impulsion de Pierre Gramegna, ministre des finances, et de Xavier Bettel, Premier ministre, radicalement changé de position. Sur les quatre standards minima du projet BEPS, nous effectuerons le même type de contrôles. Nous développerons des termes de référence, des méthodologies, et nous irons voir, dans les pays, ce qui marche et ce qui ne marche pas. C'est une procédure certes un peu intrusive, et qu'un certain nombre de pays contestent, au nom de leur souveraineté, mais c'est la contrepartie des bénéfices de la globalisation, dont les petites économies ouvertes ont indument bénéficié par défaut de régulation fiscale.
Il est très difficile, ainsi que l'a souligné André Gattolin, d'avoir une vision globale sur les conventions fiscales, en particulier pour un pays comme la France, dotée d'un large réseau conventionnel - plus d'une centaine de conventions bilatérales pour lesquelles les négociateurs se sont ingéniés à faire valoir telle ou telle petite spécificité, ce qui donne lieu à bien des particularités compliquant toute appréhension d'ensemble. Cela dit, on n'y mettra pas fin, car la dimension bilatérale n'est pas appelée à disparaître. Un observatoire des conventions fiscales ? Il en existe un en France, à l'initiative de quelques entreprises, mais qui est loin d'offrir une vision globale à l'échelle mondiale. Dans le cadre du plan BEPS, nous avons entrepris d'identifier les grands trous dans les conventions fiscales. Il en existe deux. Le premier, c'est l'abus des conventions. Dans un monde global, les entreprises pratiquent le « treaty shopping », le « chalandage fiscal ». C'est ainsi que 27 % des investissements directs étrangers en Inde viennent... de l'Île Maurice, parce que la convention conclue entre l'Inde et l'Ile Maurice prévoit une taxation des plus-values à la résidence, tandis que les conventions entre l'Île Maurice et les autres pays du monde retiennent une taxation à la source. Or l'Île Maurice n'impose pas les plus-values. Si bien que par une combinaison de conventions, une entreprise peut investir en Inde via l'Île Maurice, afin de n'être imposée ni en Inde, ni à l'Île Maurice, ni dans le pays d'origine, dès lors que le produit n'y est pas rapatrié. Ce système a permis à l'Île Maurice de se développer. Les Indiens ont calculé que des centaines de millions d'euros par an leur échappaient ainsi. S'il n'y a pas été mis fin, c'est que l'Île Maurice compte une population indienne importante, ce qui crée des relations particulières entre les deux pays. L'action 6 du projet BEPS prévoit de mettre fin à ce type de situation, selon deux options : soit par une disposition dite de « limitation des bénéfices » de la convention aux vrais résidents du pays, sur le modèle américain, qui fonctionne très bien mais est assez compliqué, soit par une clause excluant du bénéfice de la convention les opérations à but principalement fiscal.
J'ajoute que pour harmoniser les conventions et éviter un camaïeu de particularités, il a été décidé d'inscrire cela dans une convention multilatérale unique, qui viendra modifier toutes les conventions existant entre les parties. A l'heure actuelle, 96 pays participent à la négociation de cet instrument multilatéral, ce qui couvre 2 000 conventions fiscales, dont celles des États-Unis - qui sont d'ailleurs généralement conformes aux normes.
Vient ensuite la question de l'établissement stable. On sait que le paragraphe 5 de l'article 5 du modèle de convention fiscale, qui prévoit la définition de l'établissement stable et de l'agent dépendant, présente une défaillance qui permet à une entreprise de transformer un distributeur, qui fait entre 15 % et 20 % de retour sur investissement, en commissionnaire, qui n'en fait que 2 % à 3 %. Un simple changement de contrat y suffit. Devant les tribunaux, les gouvernements ont systématiquement perdu leurs recours. C'est pourquoi nous proposons de modifier la définition de l'établissement stable.
S'achemine-t-on vers un nouvel ordre international, ou ne fait-on qu'apposer des rustines ? Quel est l'équilibre entre les pays développés et les pays en voie de développement ? La France n'a-t-elle pas été naïve en concédant de nombreux avantages à des pays émergents, ainsi que le lui reproche l'association d'entreprises à laquelle je faisais tout à l'heure allusion ? L'ordre international fiscal a été construit en 1928 par la Société des Nations (SDN), sur le fondement d'un modèle de convention fiscale dont l'article 9 prévoyait les prix de transfert et le principe de pleine concurrence - qui veut que si les entreprises liées se comportent entre elles comme si elles étaient des entités indépendantes, afin que se fixe un prix de marché permettant de déterminer, dans chaque pays, quelle est la base taxable. Autrement dit, même si leur impôt sur les sociétés est le même, il faut obliger les entreprises à « jouer à la marchande ».
Quel est le modèle alternatif ? Il consiste, pour une entreprise unie au plan économique, à calculer son profit au niveau mondial, puis de le répartir entre les pays en fonction de clés de répartition - le chiffre d'affaires, relativement peu manipulable, les employés, qui peuvent certes être délocalisés, ou encore les actifs physiques. La beauté de ce modèle tient en cela qu'il est « pur et parfait » : tous les économistes vous diront, depuis leur bureau, que c'est ainsi qu'il faut procéder. Mais quand il s'agit, pour les parlements, de transformer cela en droit, puis de le faire appliquer par les administrations fiscales et les entreprises, les problèmes commencent. Un beau modèle donc, mais qui n'a pas été testé, pour la bonne raison que les pays ne peuvent pas se mettre d'accord. Les Chinois diront que la bonne clé est celle des employés, les Américains que c'est la création de valeur. Les Français estimant quant à eux, dans une vision un peu schizophrène, tantôt que c'est la valeur intellectuelle, pour les produits de luxe, tantôt la consommation, pour ceux de l'économie numérique. Il est donc extrêmement complexe de parvenir à un accord mondial. On peut en tirer une conclusion pessimiste, et considérer que l'on ne parviendra à rien parce que rien n'est jamais comparable, comme vous le souligniez à propos des actifs incorporels, mais on peut aussi tenter de remédier au problème en introduisant une approche beaucoup plus économique. Le problème des prix de transfert tient au fait qu'ils ont été conçus dans une vision économique, mais ont progressivement évolué vers une vision de plus en plus juridique. Les fiscalistes se sont emparés des prix de transfert, en élaborant des contrats juridiquement « bordés ». Ce que nous avons entrepris, avec les actions 8 à 10, c'est de nous pencher sur les contrats en regardant s'ils correspondent à la réalité économique. Il ne s'agit bien évidemment pas de les remettre en cause à la tête du client, car les entreprises ont besoin de sécurité juridique - mais renoncer à taxer les profits des multinationales en leur permettant de se livrer à une planification fiscale agressive constituerait l'insécurité juridique absolue. Il s'agit donc d'en finir avec les schémas fiscaux déconnectés de la réalité économique.
Le plan BEPS modifie-t-il le rapport de force entre pays développés et pays en voie de développement ? C'est une question fondamentale : il est légitime pour un pays de défendre ses propres intérêts. L'association de grandes entreprises françaises que je mentionnais estime que nous allons entièrement modifier le rapport de forces. Je ne crois pas que ce soit le cas. Le plan BEPS ne dit pas où un profit ne peut pas être taxé, mais où il ne peut pas être localisé. Autrement dit, il ne décide pas si les profits de l'économie numérique de source américaine doivent être taxés en France ou aux États-Unis, mais il dit qu'ils ne peuvent être localisés aux Bermudes. Il en va de même de tous les schémas fiscaux : on ne peut pas localiser les profits dans des juridictions où ils se trouvent totalement à l'abri. Ceci ne tranche pas la question du lieu de taxation - pays source ou pays de résidence -, question politique qu'il revient à chaque pays de trancher. C'est un débat plus complexe qu'il n'y paraît. On peut considérer, en première analyse, qu'en tant qu'exportateur de capitaux et en bonne place, après les États-Unis et le Japon, dans la liste des États de siège, la France devrait privilégier la taxation à la résidence pour protéger ses entreprises. Cela paraît logique et de bonne politique. Mais il faut garder présent à l'esprit que nous sommes, avec nos partenaires, dans un rapport de force. La Chine, avec 1,4 milliard d'habitants, peut poser des conditions à ceux qui veulent investir chez elle. Plutôt que d'ignorer les rapports de force économiques, ne vaut-il pas mieux s'engager dans une relation constructive ? Du point de vue des entreprises, seul doit compter, en toute logique, l'exigence de ne pas payer deux fois l'impôt - qu'elles le paient en Chine ou en France devrait leur être indifférent. À chaque pays de décider de la bonne dynamique, en gardant à l'esprit que les choses ne se décident pas unilatéralement mais se négocient.
Pour les pays en voie de développement, le débat est également plus compliqué qu'il n'y paraît. Les organisations non-gouvernementales (ONG) font valoir, comme le fait aussi dans une certaine mesure le Fonds monétaire international (FMI), qu'il faut taxer à la source, parce que ces pays ont besoin de mobiliser les ressources domestiques - l'un des enjeux fondamentaux du programme des Nation-Unies pour le développement (PNUD), que nous soutenons pleinement. Mais dans le même temps, ces pays ont besoin d'investissements. Or, plus ils taxent à la source, moins ils sont attractifs. Un pays en voie de développement qui a besoin d'importer de la matière grise serait mal inspiré de taxer lourdement des redevances à la source, car cela revient à en renchérir le coût, et donc celui du développement intellectuel du pays. Il est vrai qu'il en va un peu autrement des pays émergents, qui peuvent compter sur de grands marchés domestiques.
Sur la publicité du reporting pays par pays évoquée par Albéric de Montgolfier et Éric Bocquet, j'ai rappelé les options en présence : la transparence totale, une publicité réservée aux administrations fiscales ou une solution intermédiaire, qui est peut-être le chemin que prendra l'Union européenne. Je me permettrai une mise en garde. L'Union européenne, la France, ont-elles la possibilité de demander à une entreprise étrangère une information sur la totalité de ses comptes, y compris concernant des filiales sans aucune connexion avec leur territoire ? Peuvent-elles, comme l'ont fait les Américains avec la loi FATCA, édicter des règles unilatérales et extraterritoriales ? Si tel n'est pas le cas, la publicité ne vaudra que pour les entreprises européennes, pas pour les entreprises américaines, ce qui pose un vrai problème d'équité entre les entreprises.
Faisons en sorte que le reporting pays par pays se mette en place, sans entrer dans une guerre entre l'Europe et les États-Unis - car cela permettrait aux États-Unis de se dédire. Or nous avons besoin de l'information en provenance de ce pays. Certes, ce choix est éminemment politique, et il est difficile de renoncer à la transparence publique, mais il faut penser au coup d'après. Sécurisons avant toute chose les informations pour les administrations fiscales.
Les clauses anti-abus fonctionnent. L'action 3 prévoit un renforcement des dispositifs du type de celui de l'article 209 B du code général des impôts français. Alors que les États avaient démantelé de tels régimes, il est sans doute temps de les rétablir, raisonnablement. La solution retenue à l'OCDE, ne pénalisant pas le pays qui la mettrait en place, offre un bon équilibre. Il s'agit de rehausser le niveau d'exigence fiscale à une hauteur raisonnable, qui permettra peut-être aux États-Unis de faire enfin passer la réforme de leur système fiscal et à l'Union européenne d'avoir enfin un espace intégré permettant de lutter contre les abus.
La France a joué un rôle éminemment positif. Le projet BEPS a été initialement lancé en novembre 2012 à la demande de George Osborne, chancelier de l'Échiquier britannique, de Wolfgang Schaüble, ministre des finances allemand, et de Pierre Moscovici, alors ministre des finances français. Un rapport avait été demandé à l'OCDE en vue du conseil Ecofin de juillet 2013. La France a donc été à l'initiative, suivant en cela, il est vrai, le Royaume-Uni, dans une convergence bipartisane, associant les gouvernements de droite britannique et allemand et le gouvernement socialiste français. Michel Sapin a été, par la suite, extrêmement actif en tant que ministre des finances. La dynamique reste vive. À Shanghai, les ministres sont convenus qu'il fallait aller plus loin. Wolfgang Schaüble a déclaré qu'il fallait commencer à penser à un projet « BEPS 2 ». Le soutien politique du G20 reste très fort sur le sujet.