Intervention de Sébastien Declercq

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 9 mars 2016 à 9h10
Évolutions de la banque de détail — Auditions

Sébastien Declercq, associé, AT Kearney :

Le cabinet dont je suis l'associé accompagne depuis une vingtaine d'années les grands établissements bancaires dans leur stratégie et leur transformation. Je vais partager avec vous quelques éléments d'observation sur l'industrie bancaire en France et en Europe, et essayer de tracer quelques perspectives pour les prochaines années.

Tout d'abord, la crise financière a profondément bouleversé les équilibres des grands acteurs bancaires. La rentabilité sur capitaux propres est passée d'environ 15 % avant la crise à 4 % à 5 % l'an dernier.

Ce bouleversement a commencé dans les métiers des capitaux et de banques d'investissement mais on constate aujourd'hui que la banque de détail, métier historique des acteurs bancaires, est aussi touchée.

Si l'on étudie les évolutions du marché français depuis cinq ans, on constate que les revenus des acteurs de la banque de détail ont marqué le pas et n'ont crû que de 0,9 % en moyenne depuis cinq ans. Plusieurs grands établissements ont commencé à observer une baisse des revenus sur cette période.

Cette baisse s'accompagne a contrario d'une augmentation des charges supérieures à l'évolution du produit annuel bancaire d'environ 1,3 point par an, soit 7 % sur la période. Ceci se traduit par une dégradation de la rentabilité opérationnelle des acteurs bancaires en France, et notamment du coefficient d'exploitation, qui représente le rapport des charges sur les revenus, passé de 63 % à 65 % l'an dernier.

Ce coefficient d'exploitation nous situe parmi les plus mauvais élèves d'Europe. Bien entendu, les marchés bancaires européens sont tous très différents. Chaque pays a un certain nombre de spécificités. Cette tendance s'est renforcée avec la crise, les grands acteurs bancaires internationaux s'étant recentrés sur leur marché domestique.

Les acteurs les plus efficaces d'un point de vue opérationnel se trouvent dans différents pays - Angleterre, pays nordiques, Espagne - dont les coefficients d'exploitation sont de l'ordre de 50 % à 55 %, sensiblement inférieurs à ceux des banques françaises. Depuis cinq ans, dans chacun de ces pays, on a vu que les banques accentuaient leur transformation. Cela s'est traduit notamment par un certain nombre d'éléments, comme la réduction du nombre d'agences bancaires, de l'ordre de 20 % par an pour l'Angleterre et l'Espagne depuis cinq ans, et même de 35 % dans les pays nordiques. Cette évolution s'accompagne d'une réduction des effectifs totaux des établissements bancaires de l'ordre de 5 à 10 % depuis cinq ans.

Dans d'autres pays plus comparables à la France, les banques ont aussi entrepris une rationalisation de leur modèle opérationnel qui s'est également traduite depuis cinq ans par une réduction du nombre d'agences de 5 % en Allemagne, ou de 20 % en Italie.

En France, les réseaux d'agences n'ont pas beaucoup varié depuis cinq ans. Ils sont à peu près stables, à l'exception de quelques établissements. Vous avez peut-être pu noter quelques annonces de BNP Paribas, qui a déjà commencé à réduire le nombre de ses agences depuis deux ans, ou du Crédit agricole, qui a prévu la fermeture d'environ cinquante agences en Île-de-France dans les prochaines années. La Société générale a annoncé un plan de réorganisation de son réseau, qui va se traduire par la fermeture de 400 agences d'ici 2020.

Cette pression traduit la baisse de fréquentation des agences bancaires et, plus profondément, l'évolution fondamentale des comportements des clients. Depuis 2010, le canal de l'Internet s'est énormément développé. Beaucoup de consommateurs consultent leur compte en ligne. 2016 va marquer une nouvelle étape, puisque le canal préféré des Français sera le mobile et non plus l'Internet. On constate donc que les canaux à distance - mobile, Internet, téléphone - complètent les canaux traditionnels, notamment le dispositif d'agences.

Selon nos estimations, on peut s'attendre dans les cinq prochaines années à une rationalisation du nombre total d'agences bancaires, en France, de l'ordre de 15 %.

Cette rationalisation, il ne faut pas la vivre comme une fatalité. Elle traduit une évolution des comportements qui est aussi une multiplication des points de contact, tous s'ajoutant et permettant en principe une meilleure connaissance des clients et la capacité des acteurs bancaires à bien répondre à leurs attentes et à utiliser la technologie pour le faire.

Les banques directes se sont développées ces dernières années et gardent un potentiel de développement important. Elles représentent environ 3 % à 5 % des banques principales sur le marché français, et de l'ordre de 10 % à 12 % des relations de banques secondaires.

C'est une proposition attractive, puisqu'elle repose sur un positionnement de prix plus agressif et plus attractif pour les consommateurs, notamment en matière de cotisations de cartes bancaires, mais aussi dans les services de banque au quotidien.

Cette montée en puissance des banques directes qui reste à venir va probablement être complétée par de nouvelles formes de concurrence, et entraîner une refondation de certains états de la chaîne de valeur dont le service aux consommateurs.

À ce titre, les investissements de la « FinTechs », dont on constate une très forte vague en ce moment, ont été multipliés par sept au niveau mondial entre et 2010 et 2014. La France, qui avait un peu de retard, est en train de le rattraper depuis dix-huit mois.

Ce développement est facilité par la symétrie avec les grands acteurs bancaires. Ce sont des acteurs rapides, innovants, dont la structure de coûts est réduite, et qui utilisent massivement le big data pour introduire de nouveaux usages.

Ils profitent aussi de la réglementation bancaire, qui a introduit plus de fluidité dans les différents compartiments, notamment dans les paiements, qui permettent à ces nouveaux acteurs de trouver de nouvelles voies d'accès au marché.

Le marché bancaire français, aujourd'hui, reste dominé par les acteurs historiques. Après des années de taux bas, d'exigences réglementaires accrues, ces acteurs sont confrontés à un pincement de leur marge opérationnelle et doivent continuer à s'adapter.

Ils font face à des transformations majeures, des changements profonds des habitudes de consommation, de nouveaux concurrents et de nouveaux services digitaux, des enjeux de sécurité des données et d'adaptation de leurs modèles et des réseaux d'agence.

On peut dire que la transformation des établissements de crédit est nécessaire. Elle s'accompagne d'investissements et d'une évolution de leur modèle opérationnel financier et économique, qui devrait continuer à peser sur leur niveau de rentabilité dans les prochaines années.

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