C'est à mon tour de vous remercier de me donner la possibilité de m'exprimer aujourd'hui, en espérant que la présentation de ce rapport pourra être utile à la réforme du droit foncier en Guyane.
L'étude que je vais vous présenter est extrêmement fouillée et précise. Il serait assez rébarbatif d'entrer dans les détails. Je vous présenterai donc le contexte de l'étude tout en vous expliquant les contours de ce travail et vous soumettrai ensuite une brève présentation de la problématique et les principaux points du rapport, avant de laisser la place au débat et aux questions.
Il nous est tout d'abord apparu qu'il manquait une étude exhaustive sur la question des droits fonciers au profit des communautés amérindiennes ou bushinengue en Guyane, même s'il existe quelques études sectorielles ou des études de cas bien précises. Il nous semblait donc important d'amorcer cette tâche, vingt-cinq ans après la création des zones de droits d'usage collectifs (ZDUC), dispositif qui date de 1987, notamment au regard des changements juridiques et institutionnels que la Guyane a connus ces dernières années.
Il nous a paru important de mener cette étude avec un regard double, à la fois anthropologique et juridique. Trop souvent, les travaux qui sont menés sont monodisciplinaires. Or, en particulier en ce qui concerne l'articulation entre droit coutumier et droit étatique, un regard anthropologique et un regard juridique sont absolument nécessaires. Il faut croiser ces regards et essayer de comprendre comment le droit est vécu et interprété par les populations locales, et comment il est concrètement mis en oeuvre.
Le contexte de l'étude est assez particulier. Pour avoir noué au cours des vingt dernières années des relations avec les Amérindiens et les Bushinengue, nous avons eu la chance d'avoir des contacts avec un grand nombre de chefs coutumiers et de populations locales, ce qui a permis de travailler sur le terrain en toute confiance et de récolter le maximum de données intéressantes et exploitables.
Cette tâche a duré environ un an et a mobilisé quatre personnes. Damien Davy, anthropologue au CNRS, et moi-même, juriste à l'IRD, avons coordonné cette étude. Pour l'occasion, nous avons embauché deux personnes, une juriste et une anthropologue, pour nous assister dans la rédaction, la collecte des données et l'analyse des textes juridiques.
Nous avons rencontré environ deux cents personnes, surtout des chefs coutumiers, des habitants des communautés et bien entendu tous les acteurs institutionnels de Guyane, notamment les responsables des autorités déconcentrées ou décentralisées.
Nous avons voulu débuter le rapport par une brève partie historique afin de retracer l'émergence de la prise en compte de ces droits fonciers par la République française. Nous avons ensuite élaboré une partie anthropologique, ce qui n'avait jamais été fait, avec la description des villages, des communautés et des ethnies concernées, et les activités menées par les personnes sur ces zones et concessions. À chaque fois, nous avons essayé de rendre compte des problèmes que connaissent les communautés dans la jouissance de leurs droits.
Une valeur ajoutée de ce rapport est d'avoir cartographié ces zones, d'avoir représenté leurs frontières, que finalement peu d'acteurs connaissent précisément sur le terrain, et surtout d'avoir superposé les différents zonages juridiques et institutionnels avec ces territoires coutumiers.
Nous avons également élaboré une analyse juridique relativement précise, sans doute parfois un peu absconse - je m'en excuse - mais fournissant des réponses à des questions susceptibles d'intéresser les praticiens du droit.
Une spécificité du territoire de la Guyane est qu'il relève en quasi-totalité du domaine privé de l'État et qu'il existe aujourd'hui une volonté politique des collectivités territoriales - communes et nouvelle collectivité de Guyane - de se réapproprier le foncier Cela concerne quinze zones de droits d'usage collectifs, neuf concessions et trois cessions, qui couvrent 8 % du territoire guyanais, ce qui n'est pas rien.
La problématique de ce rapport porte sur le contenu des droits fonciers aujourd'hui reconnus par l'État français en Guyane au profit des communautés, et leur incidence sur les droits fonciers et les logiques coutumières. Ceci pose la question de la pertinence des droits fonciers actuels par rapport au développement d'une société guyanaise en pleine mutation.
Pour finir, je présenterai les principaux constats dressés par le rapport.
Il faut se rendre compte que la situation des populations amérindiennes et bushinengue résulte de leur inclusion très tardive dans le paysage juridique guyanais. Même si quelques traités ont été signés au 17e siècle, relatifs aux populations autochtones, ce n'est qu'à partir des années 1960, avec la campagne de francisation, selon le terme de Jean Hurault, un des pionniers des études foncières sur la Guyane, que l'on a donné la nationalité française à ces populations amérindiennes et bushinengue mouvantes, qui allaient d'un territoire à l'autre et passaient les frontières. Un statut leur a été reconnu, des droits et des obligations leur ont été octroyés. Le caractère récent de cette évolution peut expliquer la relative sécheresse du paysage juridique, très peu de normes concernant ces populations.
Une autre raison de la rareté de ces dispositifs juridiques est la tentative de donner des droits spécifiques à ces populations différentes de la société française, tout en évitant des discriminations, positives ou négatives, contraires au droit français. C'est ce qui explique sans doute que ces droits soient assez vagues, et les pratiques variées sur le terrain.
Autre point important du rapport : la question foncière est politiquement extrêmement sensible en Guyane, et ce depuis les années 1980, quand l'Association des Amérindiens de Guyane française (AAGF), devenue en 1992 la Fédération des associations amérindiennes de Guyane (FOAG), s'est positionnée publiquement pour revendiquer des droits fonciers collectifs s'inscrivant dans le mouvement international de la revendication des peuples autochtones. On peut souligner que tous les représentants des organisations amérindiennes et bushinengue de Guyane ont été fortement influencés par les mouvements autochtones du bassin amazonien, dont je suis personnellement spécialiste pour le Brésil.
Il faut également relever une importante différence entre le droit écrit en vigueur et son utilisation par les acteurs locaux. Les outils sont parfois détournés de leur finalité. Ainsi, aujourd'hui, dans les zones forestières de Guyane, les zones de droits d'usage collectifs (ZDUC), prévues initialement pour assurer des droits d'usage - chasse, pêche, agriculture sur brûlis - sont utilisées pour construire des villages. Les populations de l'intérieur n'utilisent pas les concessions ou les cessions prévues pour cela. Ceci pose de nombreux problèmes, qu'on a essayé de résoudre dans le rapport en donnant une interprétation large de ce qu'est la subsistance et de ce qu'il est possible de faire dans ces ZDUC.
Une explication de la préférence donnée aux ZDUC, de l'aveu même des acteurs locaux, est l'obligation pour la communauté de créer une association de type loi 1901 ou une société commerciale pour obtenir une concession ou une cession foncière. Or, les communautés ne savent pas toujours comment utiliser ces dispositifs juridiques, et ont peur d'une déconnexion entre la communauté et ces structures possédant la personnalité morale.
En effet, les communautés se créent, se dissolvent, et la permanence des structures juridiques est difficilement compatible avec la fluidité de l'organisation politique.
Les concessions et les cessions peuvent donner des droits de propriété collectifs mais, en cas de cession de la terre, il peut y avoir division et individualisation de la propriété.
Il existe des cas, comme dans le village de Balaté, près de Saint-Laurent-du-Maroni, où des membres de la communauté, en désaccord avec l'association gestionnaire du foncier, demandent une parcellisation et une individualisation de la propriété privée.
Enfin, les zones de droits d'usage collectifs, surtout au sud du territoire, dans la forêt, sont des zones beaucoup plus vastes qui permettent de reproduire la dynamique traditionnelle d'occupation du territoire et de création de villages au gré des conflits qui peuvent naître au sein des communautés, d'une part, et de la pratique agricole du brûlis, façon la plus durable d'utiliser les sols pauvres guyanais, d'autre part.
Cette pratique nécessite un espace suffisamment grand pour créer de nouveaux terroirs agricoles et laisser reposer les anciens. C'est sans doute pour cela que les droits d'usage collectifs ont été privilégiés par ces populations.
Les différences entre le littoral et l'intérieur du territoire constituent également un sujet important. La pression démographique est très importante sur le littoral, et les zones octroyées aux communautés y sont plus petites, avec la menace d'une prochaine indisponibilité de nouvelles terres agricoles. Dans les communes de l'intérieur, au contraire, l'espace se prête à la création de nouveaux villages et de nouveaux terroirs agricoles, mais l'orpaillage illégal pose de gros problèmes en matière de sécurité et en matière sanitaire.
Je précise que se pose également aujourd'hui le problème de la prise en compte des cessions et droits d'usage collectifs par les documents d'urbanisme, notamment les PLU.
Enfin, les contours de la notion de subsistance, à la base de ces droits d'usage collectifs, sont incertains : que signifie-t-elle aujourd'hui, alors que les besoins des communautés vont grandissants, qu'il existe de plus en plus de liens entre les communes de l'intérieur et du littoral, et que 2007 a vu la création du parc amazonien de Guyane ?
Je vous remercie de votre attention.